Des milliers de pédiatres interpellent Emmanuel Macron

Une lettre ouverte à Emmanuel Macron, signée par près de cinq mille soignants de pédiatrie, est parue sur le site internet du journal Le Parisien, le 21 octobre. Ils alertent sur la dégradation accélérée des soins apportés aux enfants. Ils n’en peuvent plus, ils n’en veulent plus. Tous les médias s’en sont fait l’écho. Nous la reproduisons ci-dessous, suivie de l’interview de l’un des initiateurs de cette lettre ouverte, le Dr Jean-Louis Chabernaud, qui s’est exprimé régulièrement dans nos colonnes.

Mobilisation au service pédiatrique de Montluçon (Photo correspondant IO)
Par > Verbatim
Publié le 26 octobre 2022
Temps de lecture : 5 minutes

« Monsieur le Président de la République,

Après deux semaines seulement d’épidémies hivernales, habituelles et prévisibles, les services de réanimations pédiatriques partout en France sont saturés, les services d’hospitalisation débordent, les soins dits non urgents sont reportés et plus de quinze enfants parisiens ont été transférés hors région, à Reims, Rouen, Amiens, Orléans, alors que leur situation médicale était critique.

Monsieur François Braun, ministre de la Santé, a jugé récemment que nous avions l’habitude de ces pics hivernaux et que ces transferts se font sans mettre en danger les enfants.

Nous dénonçons ici la dégradation criante des soins apportés aux enfants qui les met quotidiennement en danger.

Alors, nous, pédiatres et soignants en pédiatrie, nous tiendrons, comme d’habitude.

Nous ferons le maximum pour offrir les meilleurs soins possibles aux enfants : nous garderons des enfants sur des brancards aux urgences, hospitaliserons des enfants dans des réanimations adultes, qui par solidarité essayeront de faire au mieux, rassurerons des parents désemparés de voir leur enfant transféré dans un hôpital à plusieurs centaines de kilomètres.

Nous serons auprès des patients suivis pour maladie chronique, nous tiendrons un discours rassurant en expliquant que l’annulation des examens nécessaires n’aura pas de conséquence, que le troisième report d’une chirurgie du rachis programmée pour améliorer la respiration et la qualité de vie de leur enfant sera le dernier.

Nous justifierons une sortie prématurée d’hospitalisation sur un enfant encore fragile pour libérer une précieuse place qui accueillera un autre enfant devenu plus urgent et plus grave.

Nous appliquerons les directives qui nous demandent, pour raison “de sécurité”, de limiter le nombre d’adolescents suicidaires accueillis en pédiatrie, en les renvoyant chez eux à leur désespoir et à celui de leurs parents.

Nous appellerons tous les jours une famille contrainte de gérer elle-même une situation d’urgence à domicile ou encore de réaliser seuls les soins nécessaires à leur enfant.

Nous convaincrons des parents que de réaliser des soins prévus en hospitalisation finalement dans un hôtel à proximité de l’hôpital sera sans risque.

En résumé, nous serons aux côtés des parents et des enfants que le système de soins met en danger.

Et l’hiver passera, nous ne dormirons pas, même dans notre sommeil nous veillerons sur eux au détriment de notre santé.

Certains d’entre nous partiront, encore, les internes désabusés quitteront l’hôpital dès leur formation terminée, les jeunes infir-mier.e.s changeront de métier, découragés.

D’autres lits fermeront dans l’indifférence, la santé des enfants continuera à se dégrader, insidieusement, sous nos yeux, mais sans jamais apparaître dans les tableurs Excel que vous consultez.

De nombreux rapports auxquels nous avons collaboré, dont celui de l’Igas, ont été force de propositions, rapidement enterrées au cours du Ségur de la santé.

Il est urgent de pouvoir rouvrir des lits dans les services de pédiatrie en arrêtant la fuite des soignants et en recrutant des jeunes passionnés.

Il est urgent de redonner l’espoir aux présents et d’attirer de nouveaux talents en redonnant du sens à nos missions, en nous permettant de nous recentrer sur notre cœur de métier ; en évaluant mieux la lourdeur des soins qui nous incombent ; en adaptant les ratios de patients par binôme infirmier/aide-soignant ; en réévaluant les salaires et les modalités d’exercice, en prenant en compte le niveau d’étude, la responsabilité et la pénibilité comme d’autres pays d’Europe ; en reconnaissant le service comme entité nécessaire et indispensable à la gouvernance hospitalière avec une réelle transparence des mesures prises.

Monsieur le Président, la pédiatrie ne paraît plus être une priorité, pourtant ces enfants sont l’avenir.

Les dirigeants actuels et passés ont fermé les yeux sur l’abandon de l’hôpital public et des services de pédiatrie.

Ils sont désormais responsables des conséquences sur la santé des enfants. »

 

« Le gouvernement doit prendre en urgence la décision d’ouvrir des lits supplémentaires en pédiatrie ! »

Interview du docteur Jean-Louis Chabernaud,  pédiatre-réanimateur, membre du bureau du Conseil national professionnel de pédiatrie, initiateur de l’appel des soignants de pédiatrie au président de la République

Qu’est-ce qui vous a décidé, toi et tes collègues, à écrire cette tribune au président de la République ?

Dr Jean-Louis Chabernaud : Cette année, l’épidémie de bronchiolite a débuté précocement et, dès fin septembre, les équipes hospitalières des cinq réanimations pédiatriques d’Ile-de-France ont tiré la sonnette d’alarme auprès de l’agence régionale de santé (ARS) et du ministère de la Santé et de la Prévention.

Le Dr François Braun, ministre de la Santé, ne nous a pas entendus. Il a cherché à minimiser le danger en déclarant la semaine dernière : « Ce n’est pas la première année, les professionnels ont l’habitude de ces pics hivernaux (…). Il peut arriver qu’il y ait des saturations de lits nécessitant des transferts d’enfants vers d’autres hôpitaux, voire des régions de proximité. Pour autant, ces transferts se font dans d’excellentes conditions, sans mettre en danger les enfants. »

Ajoutons que, outre les transferts de jeunes enfants vers d’autres hôpitaux, les nombreuses déprogrammations d’interventions chirurgicales qui ont été décidées dans les quatre hôpitaux pédiatriques de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris sont à l’origine de réelles pertes de chances.

Quelles sont les raisons profondes de cette situation ?

J.-L. C. : Il y trois ans déjà, près d’une trentaine de nourrissons atteints de formes sévères de bronchiolite avaient déjà dû être transférés, faute de place, dans les unités de soins critiques d’Ile-de-France, dans d’autres régions souvent lointaines.

Tout comme c’était déjà le cas à la fin des années 2019 et 2021, la raison profonde de cette situation est qu’il existe partout en France une pénurie de berceaux et de lits disponibles, en raison d’un déficit majeur de personnel soignant, aussi bien dans les hôpitaux généraux que dans les hôpitaux universitaires (CHU).

A l’hôpital de Poissy (78), par exemple, quinze médecins seraient nécessaires pour gérer correctement les urgences et les hospitalisations des jeunes patients. Ils ne seront que cinq durant les vacances début novembre et, la mort dans l’âme, ont décidé de filtrer les urgences.

Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) avait pourtant, dans un avis rendu le 18 juin 2020, jugé l’offre de soins très insuffisante en pédiatrie. Depuis la publication de cet avis, aucun lit supplémentaire n’a été créé ni aucun recrutement de personnel soignant effectué…

Depuis la parution de cette tribune, le gouvernement ne cesse de multiplier les déclarations : Olivier Véran demande aux hôpitaux de déclencher des plans blancs, Braun promet 150 millions d’euros aux hôpitaux. Qu’en penses-tu ?

J.-L. C. : On a l’impression que devant le scandale de la situation faite aux enfants malades, ils se sentent obligés de faire semblant de faire quelque chose. Mais leurs réponses sont totalement inappropriées. Nous sommes en permanence en plan blanc, c’est en permanence que des soins sont déprogrammés, que des repos sont refusés au personnel.

On ne sait pas comment seront répartis les 150 millions, mais, de toute façon, c’est notoirement insuffisant. Et quand on les compare aux trois milliards d’euros alloués à l’armée, il est clair pour tout le monde que leur priorité, ce n’est pas la santé des enfants.

Pour nous, il n’y a qu’une solution, la réouverture très rapide de lits pour hospitaliser près de leur famille tous les enfants qui en ont besoin.

Ces lits sont là, ils existent, ils sont fermés uniquement par manque de soignants. Réintégrer les personnels non vaccinés contre le Covid-19 serait déjà un signal fort vis-à-vis du personnel, qui pourrait être envoyé immédiatement par le gouvernement. Améliorer immédiatement les conditions de travail et les rémunérations, en particulier de la permanence des soins (nuit, week-end et jours fériés), de tous les personnels médicaux et soignants pour stopper leur fuite de l’hôpital public serait également essentiel. Il y a urgence, avant que n’arrivent les épidémies de gastro-entérite et de grippe !