Il y a 64 ans, Pierre Lambert fondait Informations ouvrières

En octobre 1958, paraissait, sous la direction de Pierre Lambert (1920-2008), le premier numéro d’Informations ouvrières, sous la forme d’un modeste bulletin ronéotypé, diffusé par les militants trotskystes combattant pour le reconstruction de la IVe Internationale. Quels étaient leurs objectifs, poursuivis jusqu’à aujourd’hui ? Voici ce qu’en disait Pierre Lambert lui-même.

Pierre Lambert (Photo Christian Avril)
Par la rédaction d'IO
Publié le 24 novembre 2022
Temps de lecture : 5 minutes
Socialisme ou barbarie, la lutte pour la survie de l’humanité

Lors du soixantième anniversaire de la IVe Internationale, Pierre Lambert avait insisté en 1998 sur le niveau déjà atteint par la crise de décomposition du système capitaliste et de la destruction à grande échelle des forces productives .

« A l’échelle mondiale et dans tous les pays, la lutte pour la survie de l’humanité se confond avec la lutte pour la survie du prolétariat et des masses exploitées et opprimées. Le processus en cours du système capitaliste de production entré dans sa phase de décadence spéculative n’a pas encore atteint sa phase achevée.

L’économie spéculative détruit les forces productives, met en œuvre la destruction des bases de l’économie productive, mais la spéculation est nourrie par l’extorsion de la plus-value, ce qui implique l’existence d’un prolétariat, qui reste la force motrice de la lutte des classes. 

D’une part, la chute du mur de Berlin par l’activité des masses insurgées, les grèves et mobilisations contre les privatisations et, d’autre part, l’effondrement de l’URSS sous les coups combinés de la caste restaurationniste et de l’impérialisme, la destruction spéculative de l’économie productive, donnent les contours d’un processus en cours, inachevé, configurant l’alternative « socialisme ou barbarie ».

Nous disons à tous ceux qui, dans le mouvement ouvrier, s’opposent aux privatisations, à la déréglementation, au chômage, à la destruction des nations, qui veulent défendre les réformes et non pas les liquider, à ceux qui veulent défendre la protection sociale et non pas la détruire, à tous ceux qui veulent défendre tous les acquis : nous vous proposons, dans le respect mutuel de nos positions respectives, d’œuvrer pour, ensemble, rechercher les issues pour sauver l’humanité de la déchéance. »

Publié dans La Vérité n° 629 (1998)

 

La révolution russe, chaînon de la révolution mondiale

A l’occasion des journées d’études, tenues en 1997, sur le quatre-vingtième anniversaire de la révolution d’Octobre, Pierre Lambert expliquait en quoi elle fut un chaînon de la révolution mondiale et son actualité aujourd’hui.

« La révolution russe, chaînon de la révolution mondiale du prolétariat, ne pouvait survivre que par la révolution mondiale ouvrant la voie à la République universelle des conseils ouvriers, des délégués élus et révocables. Staline, en 1925, y a opposé le socialisme dans un seul pays.

L’effondrement de l’URSS ne donne-t-il pas la réponse, hélas ! sous forme négative, à la frauduleuse théorie du socialisme dans un seul pays ?

La privatisation-destruction, la mafiosisation en cours dans l’ex-URSS, dans tous les pays sous le joug du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale, de l’Union européenne et de tous les gouvernements inféodés au marché libre, baptisée par les apprentis sorciers qui dirigent les appareils « l’économie sociale de marché », ne justifie-t-elle pas, en fait, plus que jamais le mot d’ordre sur lequel tout le mouvement ouvrier s’est constitué à partir de la Première Internationale : l’abolition de la propriété privée des moyens de production ? Revendication que, pour la première fois dans l’histoire, la révolution d’Octobre, premier chaînon, pour ses initiateurs, de la révolution mondiale, avait commencé à réaliser dans les faits. »

Publié dans La Vérité n° 627 (1997)

 

Lutte des classes

Inconditionnellement partisan de l’indépendance réciproque des partis et des syndicats, Pierre Lambert considérait que ceux-ci occupent une place essentielle dans la lutte des classes et constituent la classe ouvrière comme classe.

« C’est à ce moment-là (au début des années 1940, Ndlr), au moment où je m’attelle avec d’autres à la construction de syndicats illégaux, que je comprends que le syndicat, qui rassemble les travailleurs quelles que soient leurs tendances politiques, philosophiques et religieuses, ne peut pas être identifié au parti. Je commence à comprendre que ce sont deux formes d’organisation différentes dont la classe ouvrière a besoin, comme elle a besoin de toutes les formes d’organisation et conquêtes qui la constituent comme classe (les conventions collectives, la Sécurité sociale, etc.) (…).

J’estimais, pour ma part, que le syndicat devait rassembler les travailleurs quelles que soient leurs tendances politiques, philosophiques et religieuses.

En toutes circonstances, nous, militants de la IVe Internationale, nous combattons avec toute la classe ouvrière pour l’aider à préserver les conquêtes, garanties, institutions, qui la constituent comme classe sociale. C’est ce que nous appelons notre politique de front unique.

Bien évidemment, on ne fait pas le front unique avec soi-même. On fait le front unique avec des travailleurs et des militants organisés qui peuvent avoir d’autres appartenances politiques, avec des militants membres du Parti communiste, avec des responsables « réformistes », etc., dès lors que la base du front unique est la défense des intérêts des travailleurs (…). »

Publié dans Itinéraires, Editions du Rocher, mars 2002

 

Le combat pour la construction du parti

Pierre Lambert a consacré toute sa vie à la construction d’un authentique parti ouvrier indépendant. Intervenant au nom du courant trotskyste au congrès de fondation du Parti des travailleurs en 1991, il était revenu sur l’orientation qui amenait la section française de la IVe Internationale à participer à la proclamation et à la construction du PT (auquel succédera en 2008 le POI).

« Nous avons tous estimé, quelles que soient nos origines, devoir constituer ce Parti des travailleurs indépendant parce qu’ensemble, à travers nos propres expériences de militants, nous avons dégagé d’un examen objectif des événements mondiaux et, en France, que la source exclusive de la misère, des attaques contre tous les acquis et garanties arrachés par la lutte de classe réside dans l’appropriation privée des grands moyens de production.

(…) Considérant que la base principale sur laquelle s’est édifié le mouvement ouvrier est l’abolition de la propriété privée des grands moyens de production et d’échange, pierre de touche du combat pour l’indépendance des organisations, cela nous a conduits à proclamer le Parti des travailleurs.

La force contraignante des appareils au service de la bourgeoisie – et pas seulement la force de l’appareil stalinien – a cherché à rompre le fil de la continuité édifié à partir de la IVe Internationale.

Tous les courants indépendants du mouvement ouvrier – et pas seulement le courant se réclamant du trotskysme –, la classe ouvrière internationale et les peuples ont payé très cher la survie du système de la propriété privée des grands moyens de production.

Tous les courants indépendants, et pas seulement les trotskystes, ont été contraints par les appareils au service de l’ordre bourgeois, à des degrés divers, à être isolés. Isolement qui a amené à des comportements sectaires, contraires à l’exercice réel des règles de la démocratie ouvrière.

(…) Je voudrais ajouter ceci : dans la liberté de pensée et de discussion garantie pour tous par les statuts, nous constituons un Parti des travailleurs indépendant. Pour ma part, ce serait contraire à la vérité que de ne pas vous dire que je reste convaincu, comme je l’ai été à l’âge de quinze ans, que le programme de la IVe Internationale est vrai.

Discutons, agissons, construisons, aidons les exploités et les opprimés à réaliser les fières devises du mouvement ouvrier : « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. Prolétaires de tous les pays, unissez- vous ! »

 

Le rôle et la place d’ Informations ouvrières

Lors du XXXIIIe Congrès du Parti communiste internationaliste, en mai 1988, Pierre Lambert présenta un rapport sur les questions d’organisation et, dans ce cadre, sur le rôle et la place d’Informations ouvrières dans la construction du parti ouvrier indépendant. Nous en publions cet extrait.

« Le journal est donc le centre de l’élaboration politique, centralisant toutes les activités et initiatives. La nécessité de concentrer tout le parti sur l’activité du journal jouant son rôle d’organisateur collectif implique nécessairement une division du travail où chaque intervention politique, chaque activité particulière, est un segment de la centralisation organisée par la concentration de toutes les activités sur le journal.

C’est ainsi que le journal comme organisateur collectif est le fondement de toutes les interventions et activités particulières, tant par sa rédaction que par sa diffusion.

Car seul le journal, et donc l’élargissement de sa diffusion, peuvent donner à chaque militant le sentiment que son travail et ses interventions politiques sont reliés à ceux de tous les militants du parti, qu’il est un anneau de la chaîne de l’intervention de tout le parti, aidant les travailleurs et les jeunes à trouver eux-mêmes les voies de la lutte de classe qui en finira avec les institutions antidémocratiques de l’Etat bourgeois.

En ce sens, la diffusion du journal est l’expression même de l’étape de la construction du parti.

(…) Certes, répétons-le, de nombreux problèmes d’organisation demeurent, mais nous avons le cadre pour les régler. Et nous avons pu réaliser cela parce que nous avons tout reconstruit à partir de 1958, d’abord avec le bulletin Informations ouvrières ronéotypé, puis avec un IO imprimé mensuel, qui est maintenant hebdomadaire sur 16 pages. »