Retraites : quand Macron emprunte la rhétorique de Pétain
Dans une tribune libre, un syndicaliste dans l’enseignant met en regard la réforme des retraites voulue par Macron, ses appels à la « responsabilité » et les « valeurs » réactionnaires que le maréchal Pétain transforma en lois.
- Retraites
Pour imposer le recul de l’âge légal de départ à la retraite, les autorités se sont efforcées d’alarmer les salariés. Le régime par répartition serait menacé de graves déséquilibres. Pour le sauver, il n’y aurait pas d’autres choix que de le réformer. En 1960, il y avait 4 actifs pour 1 retraité, aujourd’hui respectivement 1,7 pour 1. Certes, mais dans le même temps, le produit intérieur brut par habitant a été multiplié par 3,4.
Les deux dernières années, le système de retraite n’était pas en déséquilibre, malgré la soixantaine de milliards d’exonération accordés par le gouvernement.
Le véritable objectif de l’exécutif n’est pas de sauver le régime par répartition. Il s’agit d’augmenter la durée de cotisation afin que les salariés ne puissent avoir les annuités nécessaires pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Avec la masterisation des concours de l’Education nationale, les agents qui seront recrutés au plus tôt à 23 ans pourront difficilement continuer à travailler jusqu’à 66 ans. Pour éviter de toucher des pensions de misère, ils seront obligés de souscrire des retraites complémentaires. C’était d’ailleurs dit expressément à l’article 65 du précédent projet de retraite par points : « Le secteur de l’assurance est appelé à se mobiliser, afin que le recours à ces véhicules se généralise et que l’économie française puisse ainsi bénéficier pleinement du dynamisme de l’épargne retraite généré par la loi Pacte. »
Loin de vouloir sauver la retraite par répartition, la réforme Macron-Borne vise à introduire puis à généraliser le système par capitalisation, non pour financer l’économie réelle mais pour alimenter la spéculation boursière des fonds de pension. Les salariés l’ont compris et ont rejeté massivement les projets ministériels.
Le projet Macron-Borne cherche-t-il à réhabiliter la valeur travail ?
Le discours officiel a donc évolué. La réforme est désormais présentée comme cherchant à « réhabiliter la valeur travail » ; ceux qui s’opposeraient à elle seraient des paresseux, des fainéants, des profiteurs, des parasites. Ce discours n’est pas sans rappeler celui du maréchal Pétain qui, le 20 juin 1940, dénonçait « l’esprit de jouissance » qui l’aurait « emporté sur l’esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu’on a servi. On a voulu épargner l’effort ; on rencontre aujourd’hui le malheur. » « L’esprit de jouissance », à l’époque, c’étaient les congés payés et la semaine de 40 heures ! Aujourd’hui ce serait refuser de travailler deux ans de plus.
Le recours à une telle rhétorique choque dans la bouche d’un homme qui s’est fait réélire en prétendant faire barrage à l’extrême droite. Elle n’est pas seulement injurieuse, elle est mensongère.
Quand on est syndicaliste, on ne méprise absolument pas le travail et c’est pour cela qu’on revendique qu’il soit rémunéré à son juste prix. C’est le gouvernement qui, en sous-payant notre travail, le méprise et « bordélise » le pays. La situation dans l’Education nationale est emblématique. On nous parle de « revaloriser » le métier. Les 10 % d’augmentation promis pour tous (« socle ») ne compenseront ni les 25 % de perte de pouvoir d’achat accumulés depuis 2000 ni celle de 10,75 % prévue pour la fin du quinquennat puisque le pouvoir a indiqué au Cor (Conseil d’orientation des retraites, Ndlr) son intention de geler de nouveau la valeur du point d’indice.
Ces maigres augmentations – qui seront loin d’atteindre les 10 % pour tous – seront versées essentiellement en indemnitaire et non en indiciaire, c’est-à-dire qu’elles ne seront pas prises en compte pour le calcul de la retraite…
Reste le « pacte Macron » qui exige que l’on travaille (beaucoup) plus pour perdre (un peu) moins. Pour bénéficier d’une hausse de rémunération de 3 650 € par an, selon les déclarations du ministre Pap Ndiaye le 2 février 2023, il faudra assurer un « volume annuel d’environ 72 heures » de tâches supplémentaires, notamment des « remplacement de courte durée, de l’orientation et de l’accompagnement des élèves ». Ce n’est pas revaloriser notre métier que devoir travailler plus pour simplement espérer maintenir notre pouvoir d’achat, alors même que nous gagnons moins que la moyenne des professeurs de l’OCDE et que nos salaires sont inférieurs de 23,9 % à ceux des autres fonctionnaires français de catégorie A.
Pourquoi il n’est pas possible de travailler deux ans de plus
Si, comme les autres salariés, les enseignants refusent la réforme Macron-Borne, c’est parce qu’elle est injustifiée, qu’elle est profondément injuste et aussi parce que les conditions de travail deviennent insupportables : toujours plus de classes en charge (en cinquante ans, le nombre a doublé pour un professeur de français en collège), toujours plus d’élèves (30 en collège, 35, 36 voire 37 en lycée), toujours plus de missions liées alors qu’un professeur certifié travaille déjà en moyenne 43 heures par semaine.
Contrairement à son étymologie, tripalium, instrument de torture à trois pieux, le travail ne doit pas être une expiation ( « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » ) pour racheter une prétendue faute ou un supposé « esprit de jouissance ». Il est un moyen pour améliorer le bien-être de la population, d’où les efforts des syndicats pour le réglementer par l’interdiction du travail des enfants, la limitation du temps de travail, l’amélioration des conditions de travail, le droit à la retraite…
Ce ne sont pas les hommes qui doivent être au service du travail mais le travail au service des hommes. La réforme Macron-Borne tourne le dos à ce principe.
Elle prétend ignorer qu’une vraie revalorisation du travail passe par une vraie augmentation de salaire, augmentation de salaire qui permettra de financer les retraites par répartition.
Le pouvoir ne nous laisse pas d’autre choix, dès le 7 mars 2023, nous devons bloquer le pays :
– pour pérenniser le système par répartition,
– pour réhabiliter la valeur de notre travail,
– pour faire reconnaître notre dignité de salariés.
Nous ne nous laisserons pas « macroniser » notre retraite.