Les entraves au droit de manifester en partie retoquées par les tribunaux

Plusieurs arrêtés à l’initiative du gouvernement contre le droit de manifester ont été jugés illégaux par la justice. Ces arrêtés ont été suspendus.

Le 1er Mai, à Paris (photo AFP).
Par la rédaction d’IO
Publié le 7 mai 2023
Temps de lecture : 3 minutes

Paris, les 1er et 2 avril : le tribunal administratif de Paris annule un arrêté du préfet de police de la capitale interdisant des rassemblements nocturnes, jugeant qu’il portait atteinte à la liberté de manifester, et que cet arrêté n’était « ni nécessaire ni proportionné à la préservation de l’ordre public ».

4 avril : le juge des référés du tribunal administratif de Paris a ordonné au préfet de police de les publier avant leur entrée en vigueur et sur le site Internet de la préfecture, afin qu’ils puissent être contestés et, le cas échéant, suspendus par la justice en cas d’atteinte aux libertés.

Hérault, le 19 avril : la préfecture interdit les « dispositifs sonores portatifs »  sous couvert de lutte contre le terrorisme, ce qui a conduit les forces de l’ordre à saisir les casseroles des manifestants.

Loir-et-Cher, 25 avril : déplacement de Macron à Vendôme : l’arrêté préfectoral interdisant les rassemblements s’appuyant sur la loi Silt (antiterrorisme) est suspendu par la justice. L’ordonnance du juge indique que « en l’absence de circonstances particulières », un périmètre de protection ne pouvait pas être institué en utilisant l’article L.226-1, et donc la loi antiterroriste, pour un déplacement du président de la République.

De plus, « le climat social actuel et la mobilisation contre la réforme des retraites (…) ne suffisent pas à caractériser l’existence d’un risque d’acte de terrorisme ». Cet arrêté est une « atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir », conclut l’ordonnance.

Doubs, 27 avril : la préfecture retire d’elle-même son arrêté créant un périmètre de protection et interdi-sant de manifester pour la venue
d’E. Macron, avant que le tribunal administratif ne le suspende.

Seine-Saint-Denis, le 29 avril : la justice annule l’interdiction du rassemblement intersyndical et de la distribution de tracts autour du Stade de France (cf. ci-contre) .

Bordeaux, le 1er mai : le tribunal administratif de Bordeaux rejette pour « défaut d’urgence » le référé sur l’arrêté de la préfecture d’Aquitaine autorisant deux drones pour surveiller la manifestation du 1er  Mai.

Là où le président Macron se déplace, les arrêtés préfectoraux cherchant à interdire toute contestation se multiplient. Tout est bon pour violer la liberté de manifester : loi antiterroriste détournée, prétexte du maintien de l’ordre sorti de toute procédure règlementaire etc.

Bien souvent, les tribunaux brisent ces décisions et les manifestations se déroulent, massives, bruyantes, à l’image de la colère que suscitent les décisions du gouvernement.

Les nombreuses critiques que provoquent ces décisions préfectorales et le fait que les tribunaux remettent en question ces pratiques illégales inquiètent le ministère de l’Intérieur qui vient d’adresser un mail aux préfets indiquant qu’il fallait « éviter de nouvelles suspensions » .

 

Des avocats et défenseurs des libertés publiques réagissent…

Depuis le premier arrêté pris sur le fondement de la loi Silt, les associations de défense des libertés publiques, à l’instar des la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et de l’association de défense des libertés constitutionnelles (Adelico), le Syndicat de la magistrature (SM), le Syndicat des avocats de France (Saf), multiplient les interventions.

Pour les défenseurs des libertés publiques, les arrêtés (contre les manifestations non déclarées après le 49.3 en mars, pour interdire les « dispositifs sonores portatifs » (sifflets, mégaphones, casseroles…) ont été une nouvelle preuve d’une volonté politique de détourner certains textes dans une vision sécuritaire.

« C’est tout le problème des législations d’exception, note Patrick Baudoin, président de la LDH . On s’abrite derrière ces textes pour prendre des mesures liberticides qui concernent le droit commun. »

Pour l’avocat Arié Alimi « on avait déjà vu des tentatives de la même nature lors des Gilets jaunes ou de la contestation de la loi “sécurité globale” mais il n’y avait pas ce côté systématique » .

« Il y a une addiction du pouvoir public à son propre pouvoir. La liberté est la règle, la mesure de police doit rester l’exception. Or, on a l’impression que l’on a renversé le paradigme » abonde Serge Slama, professeur de droit public à l’université de Grenoble, pour qui cela s’inscrit « dans une tendance lourde » .

« Le détournement des lois antiterroristes est un phénomène ancien, souligne l’avocate Lucie Simon, spécialiste de ce domaine. Mais le vrai tournant, c’est 2015 avec l’entrée dans l’état d’urgence, dont les principales dispositions sont passées dans le droit commun en 2017 avec la loi Silt 1 renforcée par la loi Silt 2. »