Chili : le malaise ne cesse de s’amplifier

Comment se fait-il que la coalition de partis, Unité pour le Chili, formée par le gouvernement, subisse une lourde défaite et que le parti de Kast (Républicains) soit le principal vainqueur du scrutin ? Lors de la dernière élection présidentielle en 2021, Boric, qui gouverne le pays depuis mars 2022, avait pourtant battu Kast au second tour.

Les élections qui ont eu lieu le 7 mai ont été marquées par une abstention significative : malgré le vote obligatoire, 3 millions ne se sont pas rendus aux urne (photo AFP).
Par correspondant
Publié le 28 mai 2023
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Le gouvernement de Gabriel Boric avait déjà montré des signes d’abandon des revendications populaires qui avaient été à la base de son élection au second tour contre l’ultra-droite pinochétiste à la fin de 2021. Après le résultat du référendum de septembre 2022, au cours duquel la majorité s’était prononcée contre la nouvelle Constitution élaborée par une Convention, en parallèle de la Chambre et du Sénat qui continuaient à fonctionner, ce virage à droite du gouvernement s’est accentué.

En décembre dernier, lorsque Boric annonce l’Accord pour le Chili, c’est en réalité un semblant de Constituante, sans le peuple.

En effet, vingt-quatre experts nommés par les partis politiques (la majorité du centre et de la droite) ont élaboré un texte de base qui devait être analysé par cinquante conseillers élus. L’élection de ces conseillers était l’objet du scrutin du 7 mai. Ce processus constituant s’est inéluctablement vidé de sa participation populaire.

Et cette rustine institutionnelle cache d’autres mesures régressives, comme celles visant à protéger les  carabineros  (corps de police intervenant dans le cadre du « maintien de l’ordre » et responsable de dizaines de morts et blessés lors du soulèvement de 2018- 2019) ou les propriétaires terriens contre les communautés mapuches, pour ne prendre que deux exemples.

virage à droite et rejet de la population

Pour ce qui est du virage à droite du gouvernement, le dernier signe date de fin avril, lorsque manipulant la revendication historique de réduction de la semaine de travail à 40 heures, la Chambre des députés a adopté, à l’initiative du gouvernement, une loi qui, en fait, flexibilise la journée de travail et porte atteinte à d’autres droits du travail.

Pour ce qui est du résultat en tant que tel, sur les quinze millions de Chiliens ayant le droit de vote, plus de cinq millions (plus d’un tiers) ont exprimé, d’une manière ou d’une autre, leur malaise et leur rejet du processus constitutionnel.

Malgré le vote obligatoire, trois millions ne se sont pas rendus aux urnes. Plus de 2,1 millions, soit 17 %, ont voté nul, exprimant ainsi leur rejet catégorique des candidats et des partis qui ont imposé cet accord (sachant que, le 4 septembre, pour le référendum sur le texte constitutionnel, le vote nul n’atteignait que 1,54 %). En outre, 568 000 personnes (4,55 %) ont voté blanc.

La somme des votes nuls et blancs a donc atteint plus de 2,6 millions de voix (21,53 %), bien plus que ce qu’ont obtenu plusieurs des partis politiques présents au Congrès et dont les représentants occupent chaque jour les médias.

Le malaise profond qui traverse le pays est le produit du rejet massif par la population des représentants institutionnels, tous bords confondus, qui continuent d’imposer leurs intérêts particuliers au compte du modèle néolibéral, sur la base de privilèges jamais remis en cause, et par tous les moyens, y compris par la dictature s’il le faut.

Les droits fondamentaux et sociaux avaient alors subi des attaques féroces, que les gouvernements qui ont suivi Pinochet ont poursuivies : contre les retraites, le droit à la santé, à l’éducation, au travail, etc.

Ces gouvernements, jusqu’à celui-ci, sont les principaux responsables de l’émergence des problèmes de sécurité, du trafic de drogue, des bandes criminelles, de migration, du coût élevé de la vie ou de l’endettement.

Le populisme d’ultra-droite, avec des composantes néo-fascistes, représenté par le Parti républicain, au côté de la droite traditionnelle, a fait un pas de plus dans la restauration conservatrice et détient désormais le contrôle total de la rédaction du nouveau texte constitutionnel proposé.

Face à l’absence répétée de réponses, à l’abandon des programmes et des engagements, à la conciliation avec la droite et les milieux d’affaires d’une partie de la gauche, des partis progressistes et de l’ex-Concertation (alliance PS et Démocratie chrétienne), le peuple, lassé des promesses non tenues, finit en partie par se laisser séduire par l’ultra-droite, espérant illusoirement y trouver la solution à ses problèmes.

Le cas particulier de la réforme des pensions est illustrateur et se révèle être la « chronique d’une mort annoncée ».

La droite avait déjà posé des conditions auxquelles le gouvernement a cédé et abandonné le peu de positif de sa proposition, maintenant elle va se sentir soutenue pour imposer le maintien de la capitalisation individuelle et l’essentiel du système de l’AFP (fonds de pension privés).