« Rue de la justice », le dernier livre de Danièle Sallenave

Dans son dernier livre, "Rue de la justice", Danièle Sallenave recherche ce qu’a pu être la vie de son arrière-grand-mère, née en 1863, qui était blanchisseuse dans un bateau-lavoir au bord de la Loire.

Editions Gallimard, 360 pages. 22 euros. En vente à la Selio.
Par Nicole Aurigny
Publié le 11 juin 2023
Temps de lecture : 2 minutes

On connaît, grâce à son livre Jojo le gilet jaune (Gallimard, collection « Tracts »), l’intérêt et l’estime que Danièle Sallenave a porté à ces « manifestations populaires spontanées » parce qu’elle y a vu une soif légitime d’égalité, de reconnaissance.

Dans son dernier livre, Rue de la justice, elle recherche ce qu’a pu être la vie de son arrière-grand-mère, née en 1863, qui était blanchisseuse dans un bateau-lavoir au bord de la Loire. Les difficultés quotidiennes, la vie dure que mènent les « gens d’en bas » et leurs espoirs indéracinables de justice et d’égalité sont au centre de la réflexion. L’auteur emprunte à Gracchus Babeuf le néologisme « impropriétaires » pour désigner ces gens « simples et modestes », termes qu’elle récuse pour leurs connotations religieuses.

Tout le XIXe siècle est exploré afin de trouver ce qui a changé, au plan politique et social, pour les « impropriétaires », et ce que la République leur a apporté.

Elle étudie le « poids des châteaux » de l’Ancien Régime dans cette région angevine qu’elle connaît bien. En 1889, l’évêque d’Angers écrivait sur la Révolution : « C’est l’un des événements les plus funestes qui aient marqué dans l’histoire du genre humain. » En 1890, il considérait « la République française » comme « la forme la plus radicale et la plus antichrétienne de la Révolution ». Et, aujourd’hui encore, on voit Retailleau, président du conseil départemental, rendre hommage aux chouans. Elle s’intéresse de près à la IIIe  République. Première déception, le 4 septembre 1870 : « La foule qui s’était assemblée aux cris de “Vive la république ! Vive la sociale” n’a pas été véritablement entendue. » Et elle souligne à plusieurs reprises que « la IIIe République s’efforce de parer à tout glissement vers “la sociale” ». Mais on trouve sous sa plume un bel éloge de Louise Michel, d’André Léo et de l’œuvre des femmes pendant la Commune.

Après le « poids des châteaux », les impropriétaires sont victimes du poids de l’Eglise.

Toute la vie quotidienne est soumise au regard, à l’intervention de l’Eglise : la naissance, le mariage, la maladie, la mort. La vie politique avec la presse, l’école, les livres de classe, rien n’échappe au contrôle de l’Eglise. Même une crue importante de la Loire suscite le commentaire d’un évêque qui voit un lien entre la crue et la réédition des œuvres de Voltaire ! Toutefois, l’Eglise est surtout attentive à l’école, en prenant soin qu’elle se développe peu. L’évêque d’Angers considère que l’enseignement primaire constitue une menace pour « l’heureuse ignorance qui préserve nos campagnes ». Danièle Sallenave consacre de nombreuses pages de son livre à examiner la question scolaire, dont on sait combien elle lui tient à cœur.

Pour elle, voici la question centrale : « L’instruction contribue-t-elle à l’émancipation du peuple, ou à en faire un serviteur docile ? »

Après avoir salué les réalisations de la IIIe République avec les lois laïques, tout en soulignant l’aspect idéologique des livres d’histoire, où le paternalisme et la défense du colonialisme dominent, elle dénonce le fourre-tout que devient l’école d’aujourd’hui, avec « le tri citoyen des déchets » et « l’éducation à la sécurité routière », et l’abandon de l’enseignement de l’histoire.

Si l’école occupe une large part de ce livre, bien d’autres sujets sont abordés au fil des pages et de la réflexion de Danièle Sallenave, comme le racisme officiel développé avec le colonialisme, comme la place de Victor Hugo dans la défense de la laïcité et de l’école ; mais surtout on lit la confiance inébranlable de Danièle Sallenave dans la volonté du peuple de conquérir l’instruction, la reconnaissance, l’égalité.