« L’avenir du peuple nigérien est avant tout l’affaire du peuple nigérien »
Interview de Pacôme Attaby , syndicaliste ivoirien, responsable de l’Entente internationale des travailleurs (EIT) en Côte d’Ivoire
- Côte d'Ivoire, International, Niger

Avec l’inflation qui se poursuit au niveau mondial, quelle est la situation des salaires et du niveau de vie pour les travailleurs et la population de Côte d’Ivoire ? Quel rôle jouent les organisations syndicales dans cette situation ?
Pacôme Attaby : Les travailleurs ivoiriens ne sont pas épargnés par la flambée mondiale des prix. En effet, sur une population de 28 641 432 habitants, il n’y a que 8 millions d’actifs, dont seulement 1 250 000 sont en situation d’emploi. Soit environ 4,5 % de la population, qui doit, en théorie, nourrir les 95,5 % restants, si nous ne tenons pas compte du secteur informel qui gère 75 % de l’activité économique ivoirienne. On pourrait aller plus loin pour se poser la question de la consistance des revenus avec lesquels ces 4,5 % prennent en charge les 95,5 %, dans l’hypothèse indiquée, quand on sait que dans la fonction publique, 85 % des fonctionnaires sont dans les secteurs sociaux dont les revenus mensuels moyens sont de l’ordre de 250 000 francs CFA, soit environ 381 euros. Avec ces 250 000 francs CFA, le fonctionnaire doit assurer un loyer qui coûte en moyenne 150 000 FCFA (229 euros) à Abidjan et 90 000 FCFA (137 euros) pour l’intérieur du pays. Les salaires dans le privé sont instables et plus bas que ceux des fonctionnaires. Concernant le marché, tout a augmenté : le piment, la banane, le riz, la graine, etc. C’est donc une situation difficile à laquelle la majorité des Ivoiriens a fini par s’accommoder. Face à cette conjoncture, le syndicalisme censé être le rempart des travailleurs est dans l’impasse. Cependant, en contrepartie de quelques réponses apportées à certaines revendications sociales des travailleurs, les principales centrales syndicales ivoiriennes ont conclu une trêve sociale d’une durée de cinq ans avec le gouvernement le 9 août 2022. Ce texte interdit formellement aux syndicats signataires de faire grève sur la période. C’est là une aubaine pour le gouvernement qui a ainsi trouvé son sésame contre les mouvements revendicatifs des travailleurs. Les signataires de la trêve tentent, insidieusement, de lier tous les travailleurs à leur convention par diverses formes de pression et de ruse. Cette pression est donc à l’origine de la torpeur qui secoue actuellement la majorité des syndicats, y compris ceux qui n’ont pas signé le protocole d’accord portant trêve sociale. Quoi qu’il en soit, le mouvement syndical est dynamique.
Alassane Ouattara soutient les menaces d’intervention militaire de la Cédéao, de l’Union africaine, des USA, de la France… et dit avoir déjà réuni un bataillon de soldats ivoiriens pour aller se battre contre le Niger. Qu’en pensent le peuple et les travailleurs de Côte d’Ivoire ?
Je n’ai pas connaissance de ce que la question d’une intervention militaire au Niger ait fait l’objet de débat au Parlement ivoirien. Le jour où un tel sujet sera soumis à l’appréciation du peuple ivoirien, je reste persuadé qu’il posera les questions de l’objectif réel de l’intervention ainsi que de sa légalité. En outre, pour les travailleurs ivoiriens que nous représentons, notre position est que l’avenir du peuple et des travailleurs nigériens est avant tout l’affaire des Nigériens eux-mêmes. Les autres peuples doivent accompagner le peuple nigérien dans la voie qu’il se sera tracée librement et en toute souveraineté. Il faut éviter les actes de guerre. La vraie guerre pour laquelle la Cédéao est attendue par les peuples qui la composent n’est pas celle procurée à l’impérialisme, mais une croisade contre l’intégrisme religieux qui infeste l’Afrique de l’Ouest.
En septembre, les élections municipales et régionales vont avoir lieu en Côte d’Ivoire, avant l’élection présidentielle de 2025. Est-ce qu’une opposition de rupture avec la politique d’Alassane Ouattara s’organise pour ces échéances ?
L’opposition ivoirienne n’est pas unie. Elle est idéologiquement hétéroclite et foncièrement vénale et viscéralement sans cran. Elle n’affiche aucune volonté de rupture d’avec le système gouvernant. Elle lorgne juste le pouvoir pour s’enrichir à son tour. La division au sein de l’opposition ivoirienne a atteint son paroxysme dans la perspective des élections locales du 2 septembre prochain. En effet, si par endroits, le PPACI (le parti de l’ancien président Laurent Gbagbo revenu sur la scène politique, ndlr) et le PDCI-RDA (l’ancien parti de Félix Houphouët-Boigny fondé en 1946, ndlr) , les deux grosses formations politiques de l’opposition, ont réussi à accorder leurs violons, notamment pour l’élection des présidents des conseils régionaux, ce n’est pas vraiment le cas pour les municipales où ils s’affrontent dans plusieurs localités. Donc, il n’y a vraiment pas d’organisation de l’opposition visant à battre le parti au pouvoir aux élections locales. Nous espérons que chaque partie tirera les enseignements de ces élections en vue de mieux préparer 2025.
Propos recueillis le 17 août 2023.
