Une provocation d’Etat pour masquer la réalité de la rentrée scolaire

Derrière la provocation d’Etat sur l’interdiction de l’abaya, le ministre Attal confirme la politique de liquidation de l’école menée par Macron et engagée par Blanquer et Ndiaye ces dernières années.

Pap Ndiaye et Gabriel Attal, lors de la passation du 20 juillet au ministère de l'Education nationale (Photo AFP)
Par Rosalie Albani
Publié le 1 septembre 2023
Temps de lecture : 6 minutes

« Attal à l’offensive » titre le Journal du Dimanche du 27 août, « le plan d’attaque du nouveau ministre de l’Education nationale », « Macron siffle la fin de la récré » (Le Parisien du 28 août). Le vocabulaire autoritaire voire guerrier est au premier plan dans la presse en réaction aux annonces réactionnaires de Gabriel Attal sur la rentrée. En effet, dimanche 27 août, Gabriel Attal annonce qu’il a décidé d’interdire l’abaya, robe longue traditionnelle originaire du Moyen-Orient, dans les établissements scolaires à la rentrée, sous prétexte d’atteinte à la laïcité.

Macron et la macronie ardents défenseurs de la laïcité, de la loi de 1905 ? Il ne cesse de la piétiner, que ce soit avec la loi sur le séparatisme ou la loi Blanquer dans l’Education nationale, et de l’instrumentaliser pour ses basses œuvres de division et de diversion.

« Si Gabriel Attal se souciait vraiment de la laïcité de l’école, il récupérerait les milliards d’euros donnés chaque année aux écoles privées confessionnelles. Et il supprimerait les heures d’enseignement religieux dans les écoles publiques d’Alsace Moselle. Hypocrite », remarque avec raison le député LFI de Loire Atlantique Matthias Tavel. C’est en effet 8 milliards d’euros qui sont dépensés tous les ans pour subventionner les écoles privées… à 96 % catholiques !

« Nous devons faire bloc » a dit Attal au sujet de l’interdiction des abayas.

0,03 % des élèves

Il y aurait une hausse inquiétante des cas ? 4 700 signalements en 2023. Rapportés aux 12 millions d’élèves en France, cela concerne donc… 0,03 % des élèves ! Dans la réalité, la majeure partie de la population n’a jamais entendu parler des abayas…

Depuis l’annonce, une large protestation monte. Certains pointent déjà l’impossibilité juridique pour le gouvernement d’imposer cette décision. Nous verrons bien. On lira ci-dessous les points de vue du député LFI Paul Vannier et du philosophe Benoît Schneckenburger. Par ailleurs, LFI a déjà annoncé vouloir saisir le Conseil d’Etat sur cette affaire.

Cette annonce faite par Attal est une opération de division pour le gouvernement : division de la population, entre les enseignants, les parents d’élèves et les élèves.

Diviser pour mieux régner

Pourquoi vouloir à tout prix diviser ? Pour casser le front majoritaire qui existe contre le gouvernement et sa politique dans les établissements scolaires. Entre janvier et juin, des centaines de milliers d’enseignants ont fait grève, parfois de manière reconduite contre la réforme des retraites de Macron. En juin, des milliers se sont rassemblés en réunion syndicale pour rejeter le pacte Ndiaye. Des rassemblements devant les inspections d’académie ont regroupé parents, élèves et enseignants contre les fermetures de classe.

Et diviser pour masquer la réalité de cette rentrée ! Quelle est-elle ?

Dans la continuité de ses prédécesseurs Blanquer et Ndiaye, Attal, au service de Macron, entend poursuivre l’œuvre de liquidation/privatisation de l’Ecole publique en maniant expérimentations en tout genre, territorialisation et contractualisation.

1 500 postes sont supprimés. Des professeurs vont manquer partout ainsi que des personnels psychologues, médecins, infirmières scolaires et assistante sociale, personnels administratifs et AESH. Les heures manquent dans de nombreux établissements et les classes s’annoncent d’ores et déjà chargées.

Marché de dupes

Dans sa conférence de presse, Gabriel Attal a martelé que « tous les professeurs de ce pays toucheront entre 125 et 250 euros nets en plus par mois de manière inconditionnelle ». Ce que Libération a démenti dès le lendemain en titrant, chiffres à l’appui que « la majorité des enseignants (seraient) augmentés de moins de 100 euros » !

« La minorité vraiment augmentée », c’est celle qui accepterait de pactiser pour quelques primes en échange de missions supplémentaires. Comme les remplacements de courte durée, réponse du gouvernement pour pallier le manque de professeurs sous statut au lieu d’organiser leur recrutement qui encourage les enseignants à se saisir du « pacte ».

Un vrai marché de dupes qui va placer les enseignants sous tutelle et organiser la garderie généralisée pendant les absences des enseignants en lieu et place de cours disciplinaires.

Le bac Blanquer est maintenu

Dans les lycées, la rentrée est également placée sous le signe de la mise en œuvre de la « réforme » des lycées professionnels qui vise à placer les jeunes sous la coupe du patronat. En témoigne la présence de la ministre chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels Carole Grandjean aux universités d’été du Medef qui déclare sur Twitter (X) : « La réforme des lycées professionnels comme le développement de l’apprentissage et la simplification des reconversions professionnelles sont des priorités de mon ministère. C’est avec vous, chers présidents départementaux et régionaux du Medef que nous les réussirons ».

Malgré les annonces d’Attal pour reporter les épreuves de spécialité en juin, le bac Blanquer demeure. On se souvient de la grève des enseignants pour rejeter la réforme Blanquer notamment le passage des épreuves de spécialité en mars. Cette année, leur tenue en mars qui avait provoqué stress et désorganisation puis démotivation des élèves, avait soulevé critiques et large condamnation. Attal a forcément ça en tête quand il annonce le report en juin.

Pour autant, le caractère national du bac comme premier grade universitaire permettant l’accès aux études de son choix a toujours disparu ! Encore cette année, ParcourSup a empêché l’accès de milliers de bacheliers aux études supérieures.

Ce dont se félicite Macron dans son interview au Point du 23 août : « Ce n’est pas vrai que tout le monde a vocation à aller à l’université et qu’aller à l’université est une fin en soi ». C’est ça la rentrée de Macron et Attal. Oui mais voilà, enseignants mais aussi parents et élèves n’en veulent pas. Colère et résistance ne manqueront pas de s’exprimer sous mille et une formes en cette rentrée contre les plans destructeurs de Macron.

Réactions

« Je crains qu’on instaure un régime de contrôle au faciès généralisé » (Paul Vannier sur BFMTV, lundi 28 août)

Je suis un fervent défenseur de la laïcité. Dans un pays laïque, c’est l’Etat chez lui et l’Eglise chez elle.

Alors je ne comprends pas pourquoi un ministre de la république, un ministre de l’Education nationale veut ainsi s’immiscer dans un débat religieux pour caractériser tel ou tel vêtement. Il le fait alors que le Conseil français du culte musulman (CFCM) à propos de l’abaya a indiqué qu’il ne s’agissait pas d’un vêtement religieux.

Je crois donc que c’est une polémique, une diversion, je pense raciste, qui vise à écarter les vrais enjeux de cette rentrée : le prix des fournitures scolaire qui met les familles en difficulté, le manque d’enseignants (3 000 postes d’enseignants non pourvus, il va encore manquer des profs dans les classes), la réforme du lycée professionnel qui massacre cette voie qui accueille aujourd’hui un tiers des élèves de ce pays.

En forçant les chefs d’établissement à faire la distinction entre abaya et robe longue, je crains qu’on instaure un régime de contrôle au faciès généralisé en fonction des origines ou des appartenances religieuses supposées de tel ou tel élève.

Abaya : « Une polémique qui fait diversion » (Par Benoît Schneckenburger, philosophe, auteur de Insoumission Emancipation Laïcité, aux éditions Bruno Leprince)

Le ministère allume un contre-feu en pleine pré-rentrée. L’annonce du report à juin des épreuves de spécialité du baccalauréat atteste que les enseignants qui se sont tant battus contre la réforme Blanquer avaient raison (…)

Il sait d’ailleurs qu’une profession fragilisée depuis des années peut trouver dans une attitude d’autorité un élément rassurant. Ce faisant il va allumer les dissensions entre collègues qui se saisiront de cet élément pour se rassurer contre ceux qui ne voudront pas embrayer dans la manipulation. Nous devons donc répéter que l’enjeu de la rentrée c’est son coût pour les familles, la désagrégation des conditions d’enseignement, les postes qui manquent, et les salaires des personnels que le Pacte ne vient évidemment pas renforcer.

Première remarque, au vu de la loi de 2004 ce n’est pas par nature – contrairement à une grande croix, une kippa, un turban sikh ou un voile – un signe explicite (…) Du point de vue de l’élément culturel, l’abaya n’est pas par nature un vêtement religieux, mais il fait partie, comme d’autres, de pratiques culturelles propres à certaines zones géographiques. (…)

En juin 2023, le Conseil français du culte musulman indique que ce n’est pas un vêtement religieux.

En déterminant de l’extérieur – du point de vue du ministre – ce que serait le port de l’abaya, c’est confessionnaliser et assigner les élèves à une religion prétendue, ce qui est tout à fait contraire à l’esprit de la laïcité. On se demande bien comment cette tenue sera distinguée d’autres robes amples si ce n’est par discrimination. (…)

Il y va au même titre que la polémique sur les crop tops d’une police des corps féminins, comme l’a montré la manifestation récente pour le droit aux femmes à se promener poitrine nue si elles le souhaitent comme les hommes à Aurillac.

D’ailleurs plus généralement la laïcité dans l’espace public ne participe pas de la politique de censure des vêtements, ce qu’avait déjà dit Aristide Briand lors de la loi de 1905 en refusant d’interdire la soutane : « Ce costume n’existe plus pour nous avec son caractère officiel… La soutane devient un vêtement comme un autre, accessible à tous les citoyens, prêtres ou non » (…) La laïcité au titre des articles 1er et 2 de la loi de 1905 c’est la liberté de conscience et de culte et la neutralité de l’Etat, pas la neutralisation des citoyen·ne·s.