Une conférence-débat du Cermtri : Jean-Jacques Marie a présenté ses derniers ouvrages sur le stalinisme
L'attention était soutenue, mercredi 6 septembre, dans la grande salle du 87 faubourg Saint Denis, pour la conférence-débat organisée par le Cermtri (Centre d'études et de recherches sur les mouvements trotskystes et révolutionnaires internationaux) avec Jean-Jacques Marie.
- Tribune libre et opinions
L’historien Jean-Jacques Marie, rappelons-le, est lui-même membre fondateur du Cermtri, qui archive depuis plus de quarante ans les documents des mouvements révolutionnaires et trotskystes internationaux. Françoise Charpenel, directrice des Cahiers du Cermtri et du site internet cermtri.com (ou trotsky.com) présidait la séance. Outre la présentation de ses deux derniers ouvrages, Des gamins contre Staline et La collaboration Staline-Hitler, Jean-Jacques Marie a indiqué l’économie générale des cinq tomes des Ecrits militaires de Léon Trotsky, récemment parus chez L’Harmattan, dont il est l’un des traducteurs. Les Cahiers du mouvement ouvrier, revue en ligne en libre accès, ont ouvert une souscription, à prix réduit, pour ces Ecrits, jusque fin novembre (cahiersdumouvementouvrier.org)
Des gamins contre Staline
Des groupes d’adolescents, voire d’enfants, parfois à peine une poignée, ont constitué, sous le régime de terreur de la dictature stalinienne ce qu’ils ont appelé des partis. Des tracts écrits à la main, destinés à être diffusés dans les manifestations du 1er mai, appelaient à la lutte contre le « fascisme » de Staline, au retour à Lénine, à la révolution d’Octobre. L’historien a lu un tract de 1944, où ces jeunes appelaient à en finir d’abord avec Hitler, puis à renverser Staline, bourreau du peuple. Si, en pleine terreur policière ces tracts étaient rédigés, c’est que leurs jeunes auteurs étaient certains de rencontrer le secret assentiment de la population. Des années de prison, de goulag punissaient la moindre tentative des citoyens soviétiques de calmer leur faim, même en glanant quelques épis. Bien entendu, l’omniprésente police politique arrêtait ces groupes de jeunes en formation, saisissait les tracts, les affiches manuscrites, si possible avant toute diffusion. Si ces tentatives, apparemment dérisoires, mobilisaient et affolaient la police du régime totalitaire, c’est que le maître du Kremlin était obsédé par la crainte de soulèvements populaires. Lui qui ne se déplaçait qu’avec cinq voitures blindées, dont quatre leurres, et disposait tout le long des rails de son train des armées de policiers, n’ignorait rien de la haine qui l’entourait – même si des poètes officiels chantaient : « Staline a créé le printemps ».
La collaboration Staline-Hitler
La lettre dans laquelle Staline formalise son pacte avec Hitler se conclut par une proposition au chef nazi de collaboration. Cette partie de la lettre, observe Jean-Jacques Marie, a été le plus souvent « oubliée », ignorée, par les historiens et chroniqueurs. Cette étroite collaboration fut avant tout économique : la fourniture de toutes les matières premières nécessaires par le Kremlin a garanti aux nazis les moyens de leurs invasions à l’ouest. Staline fut, selon l’expression de Trotsky « l’intendant de Hitler ». Au moment où Hitler mit un terme à cette collaboration obséquieuse, préférant s’approprier militairement les ressources et territoires soviétiques, Staline intriguait avec Molotov pour être admis dans le pacte dit « anti-Komintern », Allemagne-Italie-Japon. Il aurait mis sur la table comme droit d’entrée la dissolution de la IIIe Internationale. C’est finalement à Roosevelt et Churchill qu’il fit ce présent, après son renversement d’alliances obligé de 1941. L’aveuglement criminel du dictateur, livrant littéralement l’URSS aux hordes nazies, interdisant toute défense contre ce qu’il déclare être une provocation de généraux hostiles à son allié Hitler, inflige à l’Armée rouge des pertes désastreuses – mille avions détruits au sol dans les premières heures de l’attaque. On retient ce symbole des communistes allemands sous l’uniforme, désertant dans la nuit précédant l’attaque pour alerter leurs frères soviétiques, et que Staline fait fusiller. Sauf un : l’attaque commence avant son supplice. Aux terribles souffrances et massacres infligés par les nazis aux peuples soviétiques s’ajouta la cruelle répression stalinienne, sous toutes ses formes. Notamment l’envoi au goulag des soldats et officiers qui avaient survécu aux camps nazis, survivants qualifiés de traîtres. Ce sont ensuite ces soldats qui, le plus souvent, organisèrent les grèves et révoltes dans les bagnes staliniens… Parmi les questions posées au conférencier, celle-ci : n’y a-t-il eu aucune opposition, aucune rébellion dans l’appareil dirigeant ? Jean-Jacques Marie donne tous les exemples des procédés policiers méticuleux par lesquels Staline maintenait en permanence la terreur parmi ses serviteurs les plus proches. Ceux-là mêmes qui dirigeaient la police politique, les liquidations et exécutions de masse, les Iagoda et Iéjov, sont le moment venu eux-mêmes liquidés. Iéjov, après avoir fait supplicier tant de Soviétiques comme agents de la Gestapo devait l’être à son tour pour le même « motif », mais le pacte de Staline avec Hitler obligea à modifier le prétexte. L’un des moyens favoris de pression, de chantage, de terreur du dictateur était d’emprisonner les épouses des membres du bureau politique, au besoin de les faire fusiller. En fin de séance, la librairie Sélio a été dévalisée de tous les exemplaires disponibles des deux ouvrages, d’autres sont commandés. La traditionnelle et sympathique file d’attente pour les dédicaces a clos cette instructive conférence-débat.