La parole à Dominique Saint-Eloi, coordonnateur général de la Centrale nationale des ouvriers haïtiens

« Cela fait des mois voire des années que les travailleurs et le peuple de Haïti vivent une situation catastrophique. ». Un appel à la solidarité internationale du mouvement ouvrier et démocratique est lancé.

Des enfants tuent sur le quai de Cité Soleil à Port-au-Prince, le 30 juillet 2019, (AFP).
Par la rédaction d'IO
Publié le 23 septembre 2023
Temps de lecture : 4 minutes

Tavayè é Peyizan : Compte tenu de la situation terrible que vous vivez avec vos familles, que vivent les travailleurs et le peuple de Haïti ; Quelle appréciation portes-tu ?

Dominique Saint-Eloi : Un trajet qui met la vie de la classe ouvrière haïtienne en danger. Je savais qu’en tant que membre d’une confédération de syndicats en Haïti je ne pourrais vivre que dans certains quartiers et que je devrais faire attention à qui je parle de ma lutte. Au cours de la dernière année, alors que la situation sécuritaire s’est détériorée de jour en jour, j’ai également dû faire attention aux routes que j’emprunte pour me rendre à des activités. C’est le cas pour moi et d’autres camarades syndicalistes et les travailleurs (euses) qui vivent dans des zones telles que Carrefour, Poste Marchand, Fort National, Belair, Solino, Nazon, Cité Soleil. (…) Ma femme et moi sommes obligés de rester en famille à Santo. (…) Les déplacements sont très dangereux. Les autorités ont perdu le contrôle de la jonction de plusieurs routes. (…) Les choses étaient vraiment différentes, avant. Durant les années passées, ces zones-là étaient comme beaucoup d’autres quartiers de Port-au-Prince. Il y avait beaucoup de familles pauvres, de mères célibataires et d’enfants dont les parents n’avaient pas les moyens de les nourrir ou de les envoyer à l’école, mais il y avait moins de criminalité. 

Aujourd’hui en Haïti, des idées telles que le libre choix, la libre circulation et la sécurité s’éloignent de plus en plus de la réalité. 

Ma famille et plusieurs familles des camarades syndicaux et les ouvriers et ouvrière vivent dans l’enfer. J’ai l’impression d’être dans un pays qui se meurt. L’avenir de Haïti est très certain. Nous vivons dans un Etat failli. Je ne pense pas que nous ayons les dirigeants en position d’autorité pour rétablir l’ordre. (…) Compte tenu de la situation actuelle, de nombreuses personnes ont quitté le pays et bien d’autres envisagent de partir. (…) Malgré tout je ne pense pas que Haïti soit nécessairement condamné. Nous pouvons sortir de ce pétrin, tant qu’il y a un réveil collectif, et qu’une masse critique décide de nous remettre sur les rails. Mais cela demandera beaucoup de sacrifices, et une volonté d’agir dans l’intérêt collectif de la classe ouvrière haïtienne.

TéP : Comment s’organisent les organisations pour résister, en particulier les organisations syndicales ?

D. S.-E. : Mobilisations pour un salaire minimum et des accompagnements sociaux. Si les manifestations n’ont pas repris, la situation demeure tendue pour les travailleurs (euses). La mobilisation d’abord. Il faut repasser de la rue à l’usine. Et des tentatives de négociations sont en cours avec le gouvernement. Mais la frustration et la colère continuent à dominer auprès des travailleurs et travailleuses en butte à un salaire de misère, une situation sécuritaire intenable et au mépris de l’Etat. A la gifle que constitue la fixation du salaire minimum à 2 500 gourdes. La police, que la communauté internationale entend renforcer, largement absente lorsqu’il s’agit de se confronter aux bandes armées sévissant dans le pays, semble autrement plus active et « efficace » pour réprimer la contestation sociale.

TéP : Que voudras-tu dire aux organisations du mouvement ouvrier et démocratique de la Caraïbe et d’ailleurs ?

D. S.-E. : Aujourd’hui, les groupes criminels du CoreGroup obtiennent une puissance de feu bien supérieure par rapport aux forces de sécurité. En plus d’être sous-dimensionnés par rapport au standard des normes internationales sur le ratio police et nombre habitants, les policiers n’ont plus confiance dans la hiérarchie de leur institution et dans la gouvernance du pays. Certaines organisations de droits humains qualifient cette violence d’insécurité d’Etat et comme une stratégie de gouvernance pour détourner l’attention de la population. L’encerclement de Port-au-Prince par les groupes criminels du Core Group est systématique, chaque jour ils gagnent de nouveaux territoires face aux forces de police qui sont contraintes d’abandonner leurs commissariats. Les organisations criminelles contrôlent la totalité de la région métropolitaine et tous les couloirs d’accès sur Port-au-Prince.

Les massacres dans les quartiers populaires deviennent plus meurtriers.

La grande majorité des entreprises ont déjà plié bagage ou fonctionnent au ralenti dans une économie déjà exsangue, les écoles et universités sont dysfonctionnelles et certaines villes de provinces font face à une grande vague de migration interne totalement incontrôlée. Malheureusement les politiques publiques priorisées par ce pouvoir en ce moment se résument à fournir des pièces d’identité pour favoriser le départ des Haïtiens à l’étranger, inclus les membres de la police nationale qui sont privilégiés par des facilités à l’intérieur de certains commissariats. En effet, des centres de livraison de documents de voyage sont ouverts sur tout le territoire national. Donc voici la mission du Core Group pour Haïti.

Communiqué de soutien de l’Association des travailleurs et des peuples de la Caraïbe, ATPC
Lawond a Travayè é Pèp an Karayib’la

Guadeloupe, le 17 septembre 2023

Aux camarades et amis du mouvement ouvrier et démocratique de la Caraïbe, des Amériques et du monde entier,

Chers camarades, chers amis,

Cela fait des mois voire des années que les travailleurs et le peuple de Haïti vivent une situation catastrophique.
Loin de s’améliorer, elle empire, l’insécurité s’amplifie, la population est terrorisée : viols, assassinats, rackets, kidnappings, misère et pauvreté, etc. Le gouvernement et les gouvernements dits « amis de Haïti » semblent s’accommoder de cette tragédie.

Cette catastrophe est la conséquence de la politique criminelle imposée aux travailleurs et au peuple de Haïti par l’impérialisme et les gouvernements du Core Group avec les gouvernements fantoches à leur solde.

Ne chercheraient-ils pas à créer les conditions du chaos afin de justifier leur intervention militaire dans le pays ?

Nos camarades, amis, et la plupart des organisations ouvrières et populaires de Haïti, qui ont toujours combattu « Pour une solution haïtienne pour Haïti sans ingérence externe : Binuh dehors, Core Group dehors ; pour un gouvernement de transition chargé d’organiser des élections démocratiques dans les plus brefs délais », font appel à notre solidarité. Ils nous demandent d’abattre le mur du silence sur la situation criminelle dont les travailleurs et le peuple de Haïti sont victimes.

Chers camarades et amis du mouvement ouvrier et démocratique, au nom de l’amitié entre les travailleurs et les peuples, nous faisons appel à vous afin d’organiser cette solidarité (politique, financière, etc.…).

Messages de protestation à adresser :

– Gouvernement de Haïti, Aryel Henri : communication@primature.gouv.ht

– Onu, à M. António Guterres, Secretary-General United Nations, e-mail : sgcentral@un.org.

– Interpellation des ambassades ou consulats des Etats-Unis, de la France, du Canada, dans vos pays. Copie à ATPC : atpc-caraibe@orange.fr

VIVE LA SOLIDARITÉ INTERNATIONALE !                                                                                  

Pour l’ATPC

Robert Fabert et Jocelyn Lapitre.