La parole à Kévin Crépin, syndicaliste CGT

Le secrétaire de l'union départementale CGT de la Somme répond à nos questions, à titre personnel.

(D.R)
Par la rédaction d'IO
Publié le 19 octobre 2023
Temps de lecture : 5 minutes

Après la mobilisation historique contre la réforme des retraites, où en sommes-nous, d’après toi ?

Kévin Crépin : D’abord, je veux préciser que je vais m’exprimer ici à titre individuel. Les discussions que je peux avoir partout font que je suis convaincu que la politique de Macron est toujours massivement rejetée par les travailleurs. Le 13 octobre, comme d’autres, j’y suis allé sans illusion. On ne peut pas dire que cette journée soit un grand succès, même si les militants que j’y ai croisés étaient tout sauf résignés. Le vide de revendications, la journée sans appel à la grève, un vendredi, tout ça est largement discuté dans nos rangs, et au-delà. Mais c’est la démarche globale qui pose problème. Dans le cadre de la prise de parole décidée et écrite ensemble en intersyndicale de la Somme pour le 13, notre camarade a dit dans la manifestation amiénoise :

« Franchement, qui fait encore confiance à Macron, à ses “débats”, à ses “conférences”, à ses “conventions” ? Plus personne ! »

Il ajoutait : « Pourquoi une conférence corsetée, rapidement expédiée, avec un ordre du jour et des thèmes imposés par le gouvernement, serait différente ? Les travailleuses et les travailleurs n’ont rien à attendre de cette conférence. Ce qu’ils doivent attendre des représentantes et représentants des confédérations syndicales qui s’y rendent, c’est qu’elles imposent nos revendications ! »

Et à partir de là, la question, c’est effectivement comment les imposer, comment gagner sur nos revendications ?

Je l’ai dit, je pense que la colère des travailleurs est intacte. L’offensive de Macron continue, sur tous les fronts, sur son agenda de destruction. L’objectif annoncé d’une euromanifestation à Bruxelles avec 10 000 travailleurs français est à mon avis très loin d’être une réponse satisfaisante…

En revanche, il nous faut partout, chercher à regrouper les salariés sur les revendications. Tenir les assemblées générales pour réunir les salariés, et organiser tout ça à partir du refus des réformes de Macron, à partir des besoins chiffrés d’augmentation des salaires, ou de postes, qui deviennent des exigences vitales pour des millions de travailleurs du public ou du privé, et mettre les salariés en position de décider, c’est élaborer un début de réponse. C’est préparer la suite. Une suite où peut survenir une explication générale avec le gouvernement à tout moment, parce que non, ça ne passe toujours pas.

C’est précisément de ça que le gouvernement Macron a peur, et c’est bien pour ça qu’il remet au goût du jour, d’un côté, sa conférence sociale, de l’autre, qu’il déploie une brutalité folle, sur tous les plans.

Il craint l’explosion sociale. A nous de la préparer, axés sur les revendications, pied à pied, en réunissant les salariés.

Que penses-tu de la situation actuelle ?

C’est évidemment la situation d’horreur absolue à Gaza, le blocus, les massacres, et les réactions autour qui me choquent en premier, je vais y revenir. Et ce sera l’occasion de rappeler ce qu’est la charte d’Amiens. Elle n’interdit à aucun syndiqué d’avoir une expression politique à titre individuel. Plus généralement, je suis surpris de voir comment la charte d’Amiens est brandie aujourd’hui par ceux qui, pendant des années, offraient comme seule perspectives au mouvement syndical que le PS arrive au pouvoir, avec l’appui de leurs alliés du PCF… Dont on a vu la politique quand ils étaient au pouvoir : la poursuite et l’extension de la liquidation systématique des droits et garanties collectives. 

Or, qui est visé aujourd’hui ? LFI et Mélenchon, attaqués sans relâche – et jusqu’à l’absurde – par le gouvernement, les médias, mais aussi tous ceux à gauche qui voudraient bien avoir les mains libres pour revenir à leurs petites affaires, et balayer le résultat de l’élection présidentielle de 2022, les 22 % qui exigeaient la rupture, et les autres, ratatinés, qui ont été contraints de s’aligner sur cette exigence de rupture de la Nupes.

Si on ne part pas de là, on ne comprend pas, pourquoi Mélenchon fait l’objet sans relâche d’accusations plus répugnantes et absurdes les unes que les autres.

Interviewé à la Fête de l’ Huma, il dit que le congrès de la CGT était celui de « l’organisation syndicale dans laquelle il y a sans doute le plus d’Insoumis au mètre carré, pour des raisons qui sont les leurs, parce que nous ne nous mêlons pas de la vie des syndicats » . Soulignons au passage que les statistiques lui donnent raison, c’est bien parmi les militants CGT qu’il y a eu le plus de votes pour LFI, et ce quoi qu’en pensent ou aimeraient les uns et les autres.

Cette déclaration, dans un courrier de protestation de la secrétaire générale de la CGT, qui est adressé à Mélenchon, et que je découvre avant tout sur les réseaux sociaux partagé par des camarades du PCF, se transforme en : Mélenchon a raconté que le résultat du congrès « pourrait être le résultat d’une stratégie de La France insoumise » . Ça pourrait n’être qu’un détail, factuellement complètement faux, très agaçant, s’il ne s’inscrivait pas dans un contexte global où tout est fait pour que le pôle de résistance agrégé autour de LFI soit l’ennemi public numéro 1. Fausse polémique après fausse polémique.

Revenons sur la Palestine, cas stupéfiant : LFI, tout comme toutes les grandes confédérations syndicales en France, fait un communiqué, dénonce l’horreur des attaques du Hamas, revient sur le contexte d’intensification de l’occupation israélienne en Palestine. Ils appellent à un cessez-le-feu. Communiqué dont chacun est libre de penser ce qu’il veut, mais qui est très clair et que je partage. Immédiatement, patatras ! Ce sont des soutiens des « terroristes », des islamistes, parce qu’ils n’ont pas écrit ce mot dans leur communiqué. S’ensuit la séquence de matraquage à laquelle personne n’aura échappé, qui trompera peut-être de bonne foi certains militants honnêtes.

L’insinuation tourne en boucle : LFI n’aurait pas écrit « terroriste » pour capter les voix des musulmans et français d’origine arabe. Indigne accusation raciste, nauséabonde, qui assimile tous nos concitoyens arabes ou musulmans à de potentiels soutiens du « terrorisme ».

Mais les organisations syndicales dont la mienne, dans leurs communiqués, n’ont pas non plus écrit le mot terroriste, d’ailleurs je me félicite des propos de la secrétaire générale de la CGT qui a déclaré sur France Inter le 8 octobre : « Au lieu de générer des polémiques assez décalées avec la gravité du moment, la Première ministre devrait mettre toute son énergie à demander que l’Onu demande un cessez-le-feu immédiat. » Elles n’ont pas eu droit au même sort de la part des commentateurs autorisés. C’est certainement parce que l’enjeu est d’empêcher que la colère trouve un débouché politique dans LFI, dans une situation où les sondages donnent Mélenchon au second tour face à Le Pen à la prochaine présidentielle !

Faire refluer, terroriser tous ceux qui auraient espoir qu’une issue politique se trouve derrière LFI : voilà l’objectif du capital et ses serviteurs. Et forcément, pour nous, comme syndicalistes, nous ne sommes pas indifférents à ce que nos revendications disposent ou non d’une force politique pour nous appuyer.

Tu parlais de la situation en Palestine et à Gaza, que penses-tu des réactions syndicales face à la barbarie qui est en cours ?

A Londres, Glasgow, Madrid, Amsterdam, on manifeste partout pour l’arrêt des massacres à Gaza. Des milliers de morts au moment où je vous parle, sept cents enfants, et le gouvernement d’Israël nous promet que ce n’est que le début. Mais en France, le gouvernement Macron et le ministre Darmanin ont décidé qu’il était interdit de manifester pour la Palestine, pour la paix et le cessez-le-feu ! Les quelques manifestations qui se sont tenues malgré tout ont fait l’objet d’arrestations, d’une répression brutale. Il y a eu des réactions syndicales rapides, à différents niveaux, pour dénoncer l’horreur des massacres en Israël et à Gaza. Mais il manque une réponse d’ampleur pour dire :

De quel droit nous interdit-on de manifester contre l’horreur absolue de la guerre, contre l’alignement total de Macron derrière l’offensive israélienne qui plonge Gaza dans la barbarie ?

 Il y a un lien avec ce qui a été dénoncé et combattu dans la manifestation du 23 septembre pour les libertés : un tournant de plus en plus autoritaire, brutal, des institutions de la V e  République. Sur les rassemblements concernant la Palestine aussi, seules les manifestations allant dans le sens du gouvernement sont désormais autorisées. J’apprends en ce moment même que la résistante palestinienne Mariam Abou Daqqa, combattante des droits des femmes, est menacée d’expulsion par le ministre de l’Intérieur. J’apprends que des procédures judiciaires sont à l’étude contre des organisations démocratiques comme le NPA ou contre une députée LFI comme Danièle Obono… On va où, là ?

Franchement, je ne comprends pas comment c’est possible que les dirigeants des principales confédérations, qui se sont tous vus hier à la conférence sociale, ne se soient pas réunis en urgence dans la foulée et n’aient pas appelé les travailleurs à manifester tout de suite pour exiger : « Liberté de manifester ! Arrêt des massacres ! Levée du blocus à Gaza ! » . Ça m’échappe…

Propos recueillis le 16 octobre 2023