La grenouille qui voulait un ministre
Quand, après la démission du recteur de Paris, une syndicaliste exige "un ministre crédible pour pouvoir dialoguer avec la communauté éducative"...
- Ecole, Tribune libre et opinions
Marseille n’est pas si loin de Paris : ce 4 février, dans son éditorial de La Provence, François Tonneau, chef du service politique du journal du patron de la CMA-CGM, Monsieur Saadé, proche du président, est inquiet. « Prévenu, sans autre forme de procès, par un tweet du syndicat FO » écrit-il, le recteur de Paris « a jeté l’éponge ».
Quel est cet évènement qui suscite tant d’inquiétude jusqu’au bord de la Méditerranée ? Le 31 janvier, la nouvelle ministre de l’Education nationale, Amélie Oudéa-Castera, a reculé face à la mobilisation des personnels et des étudiants qui, avec leurs organisations, exigeaient l’annulation de la fermeture de trois classes préparatoires aux grandes écoles, à Paris. Cette victoire syndicale a provoqué un séisme au sein de l’appareil d’Etat lui-même, déjà fragilisé par un gouvernement ultra-minoritaire.
F. Tonneau conclut : « Les caprices d’Amélie risquent de se retourner contre le Palais. » Et dans l’organe officiel du petit monde de « la communauté éducative », le Café pédagogique, François Jarraud qui félicite le recteur de Paris « d’avoir rué dans les brancards », conclut de son côté que cette démission « permet aussi à C. Kerrero [c’est le recteur] de se positionner pour la suite de sa carrière… ».
En effet, le recteur de Paris, ancien directeur de cabinet de Jean-Michel Blanquer, n’a pas manqué dans une lettre adressée, avant son départ, aux « personnels du rectorat de Paris » de citer tous les poncifs macronistes de destruction de l’héritage historique de l’Enseignement public pour justifier la fermeture des trois classes prépas. Bradant l’égalité des droits au nom de « l’égalité des chances », livrant chacun à la loi du hasard d’une société inégalitaire, il vante les mérites d’une « mixité sociale » qui a pour but, en réalité, ce qu’il appelle un « élargissement des élites », c’est-à-dire permettre à la classe dominante de se trouver, dans le peuple, quelques mercenaires dans le genre de Rachida Dati, ou d’Alexandre Benalla.
Pendant ce temps, la grande masse doit quitter la salle de classe, pour aller en stage en entreprise, ou porter l’uniforme et marcher au pas du SNU, avant de voir, adultes, les acquis ouvriers de l’Ecole, de la santé et de la Sécurité sociale attaqués chaque jour, pour satisfaire les marchés financiers. Mais cela n’intéresse pas beaucoup le petit monde corporatiste de « la profession de l’éducation » qui prend fait et cause pour le recteur.
Pauvre recteur…
Les dirigeants du SNES-FSU, – qui ne peut pas ne pas se féliciter du recul, vis-à-vis de ses adhérents, professeurs de classe prépa – n’en font pas moins la fine bouche. Pire, ils titrent : « Un recteur et une profession empêchée ». Au lieu de prendre appui sur le succès revendicatif pour aller de l’avant, ces « syndicalistes » considèrent que le « recteur » est une « victime » du « dogme – à moyens constants ». Pauvre recteur…
Les « caprices d’Amélie » n’inquiètent pas que La Provence. Interrogée sur France Info, Sophie Binet a déclaré : « Il faut mettre en place un ministre crédible pour pouvoir dialoguer avec la communauté éducative. »
Quand on entend la secrétaire générale de la CGT parler de « communauté » comme si des salariés, que ce soit dans l’enseignement ou dans d’autres professions, avaient les mêmes intérêts que ceux qui les emploient, on commence à saisir le sens et le danger des négociations pour une fusion avec l’organisation autonome qu’est la FSU. Le recteur de Paris, se réclamant de la politique gouvernementale, dans sa lettre aux personnels du rectorat, leur disait également : « Nous formons une communauté unie ». C’est ce que les salariés entendent souvent dans la bouche de leurs patrons qui tentent de leur faire accepter des choses inacceptables.
Quand on entend Sophie Binet demander la mise en place d’un « ministre crédible », on ne peut s’empêcher de penser à la fable de La Fontaine, Les Grenouilles qui demandent un Roi. Extrait :
« Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue.
Le monarque des dieux leur envoie une grue,
Qui les croque, qui les tue,
Qui les gobe à son plaisir (…) »
Une chose est certaine, avec la force politique qui se développe, y compris pour protéger l’indépendance des syndicats de lutte de classe, la France Insoumise, les travailleurs des villes et des campagnes, comme on vient de le voir avec les agriculteurs, ne sont pas près de se laisser « gober ».