Tchad : « Nous appelons au boycott ! »
Interview de Adam Mahamat Zene, membre de l’Organisation collégiale du mouvement Le Pacte des Bâtisseurs, à propos des élections prévues en mai prochain au Tchad.
- Actualité internationale, Tchad

Le général Mahamat Idriss Déby Itno, qui a d’ailleurs fait ses classes au lycée militaire d’Aix-en-Provence, a officialisé ce 2 mars sa candidature aux élections présidentielles du 6 mai. Cette annonce intervient trois jours après l’assassinat de Yaya Dillo, du Parti socialiste sans frontières (PSF), principal opposant au régime, lors d’un assaut de l’armée tchadienne à son domicile.
Le président de la transition du Tchad, Mahamat Idriss Deby est censé organiser des élections en octobre. Il a juré lors de son coup d’Etat constitutionnel en 2021, qu’aucun membre de la transition, lui compris, ne se présentera aux élections de 2024. Pourtant, le 13 janvier 2024, il a été désigné candidat officiellement par le parti de son père, le MPS, pour quelles raisons ce revirement ?
Adam Mahamat Zene : Il convient de souligner que toute mention du général Mahamat Idriss Deby, fils de l’ancien président du Tchad, ne saurait être abordée sans faire référence au président français Emmanuel Macron, son adoubeur, ainsi qu’à l’Union africaine (UA), qui conserve une certaine affinité à son égard du fait de son ascendance en tant que fils d’un ancien président de l’UA et ami proche de certains dirigeants africains. Après les massacres du 20 octobre 2022 orchestrés par le général Deby-fils, afin de maintenir une crédibilité envers les autres putschistes, le président Emmanuel Macron a insisté sur la nécessité d’une transition pacifique, démocratique et inclusive au Tchad, rejetant tout plan de succession dynastique. Cependant, cette exigence a subitement disparu après le coup d’Etat du 26 juillet 2023 au Niger contre le président Mohamed Bazoum. Le président Emmanuel Macron s’est retrouvé confronté à une opposition soutenue par une grande partie de la population nigérienne, qui a refusé la présence de soldats français et de matériel militaire français dans leur pays.
Les symboles du pouvoir français au Niger ont été attaqués par des manifestants, remettant en question l’avenir de certains dirigeants africains de la région et mettant en péril la Cédéao. Face à ces défis, il apparaît que des compromis ont été conclus au détriment du peuple tchadien, permettant à Deby-fils de se présenter aux élections de 2024 pour succéder officiellement à son père. En contrepartie, il a accepté l’installation de la base militaire française au Tchad, en plus de ceux de l’opération Barkhane, et s’est engagé à garder ses distances vis-à-vis de l’Alliance des Etats du Sahel.
En conclusion, ce revirement est le résultat de la confiance accordée par le peuple tchadien, en particulier sa jeunesse, à un militaire dépourvu de formation politique ou idéologique, ainsi qu’à une Union africaine dont l’efficacité s’est révélée limitée, et à un président français dont le pragmatisme semble l’emporter sur les principes fondamentaux. Les conséquences de cet événement seront étudiées afin d’en tirer des leçons pour les luttes à venir.
Dans cette situation, comment l’opposition tchadienne en général aborde ces élections ?
Après le pré-dialogue de Doha au Qatar le 13 mars 2022 et le Dialogue national inclusif et souverain à N’Djamena le 20 août de la même année, l’opposition tchadienne s’est divisée en trois blocs face à la dynastie en place. Ainsi, il n’y a pas une opposition tchadienne unifiée, mais des oppositions, chacune abordant les élections de 2024 selon son propre point de vue. En ce qui concerne notre mouvement politique, le Pacte des Bâtisseurs, membre du CPCR*, nous ne reconnaissons pas la transition actuelle, ni la constitution promulguée le 29 décembre 2023, taillée sur mesure pour Deby-fils et dépourvue de digues face à ce pouvoir dynastique.
Par conséquent, nous appelons au boycott des élections de 2024 qui ne répondront à aucun critère démocratique ni de transparence, à l’instar des élections du référendum constitutionnel du 17 décembre 2023.
Certes, le simple rejet de ce pouvoir dynastique ne constitue pas un projet, mais il sert déjà de base politique commune à toutes les forces vives de la République qui souhaitent mettre fin à ce système. L’un de nos objectifs à court terme est de parvenir à construire une union politique autour de nos revendications communes avec tous ceux qui luttent véritablement contre ce système, afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs du passé qui ont permis à Deby-père de régner pendant trois décennies, et qui permettront aujourd’hui à son fils de poursuivre ses héritages désastreux sur le plan humain, économique et écologique.