Qui menace la laïcité à l’Ecole ?

« A la veille du 20e anniversaire de la loi sur la laïcité de 2004 contre le port de tenues ou de signes religieux ostentatoires à l'école. », dans un entretien à l’AFP, le Premier Ministre de Macron annonce que la laïcité est menacée à l’Ecole.

Gabriel Attal. Photo AFP.
Par François Chaintron
Publié le 16 mars 2024
Temps de lecture : 4 minutes

Attal, premier ministre d’un gouvernement qui envoie des armes aux régimes authentiquement « laïques » … que sont Israël ou l’Arabie saoudite, qui leur permettent d’accomplir des massacres et génocides authentiquement « laïques » à Gaza ou au Yémen…est certainement l’homme de la situation.

Contrairement à ce que disait en août dernier, Fabien Roussel au journaliste Jean Jacques Bourdin, en approuvant l’interdiction de l’ « abaya » par Gabriel Attal : « Depuis 2004, les signes religieux sont interdits dans les écoles, c’est une bonne chose et s’il y avait besoin de consignes claires, elles sont données. », la loi de 2004 qui impose des règles vestimentaires, en vertu de suspicion de prosélytisme à l’égard d’élèves supposés « musulmanes » [ parlons clair : des arabes ] n’a rien à voir avec la laïcité, c’est-à-dire avec la loi de 1905 qui est la seule et véritable loi instituant la séparation des églises et de l’Etat. Depuis 1905, combien d’élèves ont porté un symbole religieux au bout de leur chaîne sans être inquiétés ? Des dizaines de millions. Depuis 1905, combien d’aumôneries catholiques présentes dans les lycées publics ou dans les hôpitaux publics ont été fermés au nom d’une loi ? Aucune. Alors ?

Monsieur Attal interdit les robes longues mais veut imposer les uniformes avec, comme à Beziers ou dans les Bouches du Rhône, des blasons, à la vieille mode de l’Ancien Régime. Monsieur Attal est un grand laïque et un républicain…

Pour Gabriel Attal, la « laïcité » serait menacée parce qu’il y a des « résistances, voire des contestations » de la part d’élèves à l’égard des enseignements délivrés par des professeurs. Et alors ? Depuis les origines de l’Ecole laïque, les instituteurs ont eu à faire face aux résistances et aux contestations face à leurs enseignements, de la part des curés, des pères de famille, des patrons et des élus locaux. Jules Ferry – qui, sans doute en matière de laïcité, était mieux placé que Gabriel Attal aujourd’hui – recommandait aux enseignants la prudence. Il fallait convaincre et non contraindre. En tous cas, il ne lui serait pas venu à l’idée de faire des gendarmes ou des gardes champêtres des « défenseurs de la laïcité ». Cette laïcité est, en réalité, – rappelons-le – une victoire posthume de la Commune de Paris, manifestation du rapport de force réel entre le mouvement ouvrier en reconstitution et la bourgeoisie face au cléricalisme.

Gabriel Attal indique que, selon lui, les défenseurs de la laïcité sont : « nos professeurs », mais aussi « nos fonctionnaires », et même « nos forces de l’ordre » (sic) dont on sait combien elles sont aimées par la jeunesse de nos écoles… Il est vrai que, dans notre pays, les « forces de l’ordre » sont réputées pour défendre la laïcité : les rafles des juifs sous Vichy, puis les ratonnades des arabes sous De Gaulle…sont dans toutes les mémoires. Les « gilets jaunes » et les jeunes des quartiers devraient comprendre également qu’ils menaçaient la « laïcité » selon Monsieur Attal.

Gabriel Attal, peut-être nostalgique de certains régimes, veut envoyer dans les classes des « professeurs référents », avec la « présence physique d’un personnel non enseignant », plus un agent « des équipes académiques Valeurs de la République. » Une ambiance qui vise à culpabiliser les professeurs pour culpabiliser les élèves, sous le regard des missi dominici du pouvoir.

Voudrait-il revenir au temps des dragonnades envoyées par Louis XIV pour convertir, dans les Cévennes, les protestants aux « valeurs » définies alors par l’Etat ? Veut-il créer derrière cette religion d’Etat – qu’il appelle par antiphrase « laïcité » -, une sorte d’inquisition scolaire ? Au nom de cette fausse « laïcité », il se fiche de renforcer les illusions religieuses dans la jeunesse. Il est, sur ce point, comme Staline qui, trahissant la révolution, a renforcé la religion orthodoxe en persécutant les croyants. Il veut imposer ainsi une marque ultra-réactionnaire à l’Enseignement public.

Le savoir n’a pas besoin de « choc » pour être défendu. Au contraire. Il a, depuis Galilée, toujours trouvé sa force dans l’abolition des privilèges, ces privilèges dont monsieur Attal est l’un des représentants, comme tous les dirigeants de la Vème république… Depuis la loi Debré de 1959, la Vème république a doté l’Eglise catholique de dizaines de milliards pour ses écoles. Quelle belle « laïcité » monsieur Attal !

Une belle « laïcité » qui offre des centaines de milliers de jeunes à l’apprentissage patronal, vidant les classes laïques des lycées professionnels laïques en opposition aux professeurs laïques qui y enseignent. La classe dominante a toujours eu recours à des camouflages idéologiques pour justifier l’exploitation et la répression de la jeunesse et de la classe ouvrière.

Après les « équipes Valeurs de la République » de Blanquer, voici donc les « cellules d’appui pédagogiques » de Gabriel Attal. Pour cela, il n’y a pas de restriction budgétaire. Au lieu de créer les postes nécessaires comme le revendiquent les professeurs mobilisés toujours plus largement contre son « choc contre les savoirs », ce petit monsieur – ignorant de ce qu’est l’enseignement public – leur propose de joindre directement ses troupes de « choc » quand ils « appréhendent une séquence d’enseignement »

Si l’Education nationale répondait aux besoins élémentaires des professeurs, en matière déjà de respect de leur dignité, de leur statut avec une vraie formation initiale et continue de droit, avec le respect de leur indépendance pédagogique, protégée par des corps d’inspection eux-mêmes indépendants, sans manuels scolaires imposés par l’Etat, avec une médecine du travail réelle et le retour des CHSCT, des petits effectifs par classes, et des rémunérations assurées grâce à l’augmentation du point d’indice pour tous, le tout dans des locaux salubres et agréables, sans encadrement de leur liberté syndicale par celui de leur droit de grève, ne peut-on penser qu’ils seraient mieux à même d’appréhender l’exercice de leur mission ? Mais cette Education nationale là, on le sait, ce n’est pas l’Education nationale réelle, celle de Gabriel Attal et de madame Belloubet, dans un monde réel marqué par un capitalisme déliquescent et discriminatoire par nature.

Aujourd’hui, ce que les professeurs toujours plus mobilisés aujourd’hui contre le « choc du savoir » de monsieur Attal, dans leur immense majorité « appréhendent », et rejettent comme la majorité de la population, c’est Gabriel Attal lui-même, c’est Macron et LePen, c’est le maintien de ce vieux monde qui est la vraie menace contre la vraie Laïcité contradictoire avec la Vème république.