Cinq questions à Haim Bresheeth
Membre fondateur du Jewish Network for Palestine (Réseau juif pour la Palestine) et professeur à l'université SOAS de Londres, Haim Bresheeth sera l’un des orateurs à l’assemblée de militants organisée à l’initiative du POI le 5 mai prochain, à Paris.
- Antisionisme, Grande-Bretagne, Palestine

Quel est votre point de vue sur la situation au Royaume-Uni et au sein du Parti travailliste ?
Haim Bresheeth : Je pense que la situation va bien au-delà du Parti travailliste. Le Parti travailliste est maintenant une organisation défunte. Sous Corbyn, il a été relancé. Il comptait moins de 100 000 membres lorsque Corbyn en a pris les rênes. Je l’ai rejoint avec un demi-million d’anciens membres et de nouveaux membres. Principalement des nouveaux. Il est devenu une organisation de 600 000 personnes, le plus grand parti politique d’Europe. C’est un exploit pour les socialistes que nous n’apprécions pas encore à sa juste valeur, et il a été totalement détruit.
Aujourd’hui, il ne compte plus que 150 000 membres. Nous avons tous quitté le parti. Certains d’entre nous en ont été expulsés.
J’ai quitté le parti lorsque Ken Loach, le cinéaste, a été dénoncé comme antisémite. Je suis également cinéaste et c’est un ami très cher. Quand Ken Loach, qui est un antiraciste de 75 ans, a été expulsé pour antisémitisme, j’ai dit, non, je ne peux pas être dans ce parti. J’ai écrit une lettre publique et j’ai démissionné (voir encadré en fin d’interview). C’est ce qui est arrivé à des milliers de socialistes juifs ; plusieurs dizaines de milliers d’entre eux ont quitté le parti.
Le parti n’est plus que l’ombre de ce qu’il était il y a seulement sept ans. Son problème n’est pas l’antisémitisme. Le problème, c’est que les socialistes le quittent. Qu’ils soient juifs ou non, les socialistes l’ont quitté parce qu’il a pris des positions inacceptables. Il soutient le génocide de Gaza. Il soutient ce qu’il appelle le droit à l’existence d’Israël, qui est un droit à attaquer Gaza, à tuer autant de Palestiniens qu’il veut. Son dirigeant a soutenu le blocus de la nourriture, de l’eau, des médicaments, de carburant, de tout – comme le Premier Ministre Rishi Sunak. Ils partagent la même position sur la Palestine. Ils soutiennent le génocide. Ils devraient être traduits devant la Cour internationale de justice, car ils sont personnellement responsables de la promotion du génocide.
Le problème du parti n’est pas seulement les fausses accusations d’antisémitisme. Le principal problème est que ce parti est hostile aux socialistes et au socialisme. Son leader est à la fois sioniste et admirateur de Mme Thatcher, ce n’est pas ce qu’il faut à un leader travailliste.
Existe-t-il aujourd’hui de nouvelles formations politiques ?
Oui, il existe de nombreux groupements politiques, à la fois nationaux et locaux, de socialistes qui s’opposent aux travaillistes. Là où je vis, par exemple, tous les conseillers de gauche du parti local ont démissionné et ont créé une nouvelle alliance socialiste. Vous avez probablement entendu parler de l’élection partielle à Rochdale où un socialiste, George Galloway, a gagné contre le parti travailliste avec une énorme majorité. D’autres candidats, y compris à Londres, vont faire de même. L’un des plus importants antisionistes de Londres, Andrew Feinstein, qui a été ministre en Afrique du Sud sous Mandela, se présente aujourd’hui contre Keir Starmer1Keir Starmer est l’actuel dirigeant du Parti travailliste (Ndlr) dans sa circonscription. Keir Starmer pourrait, c’est une possibilité, ne même pas être élu dans sa propre circonscription si les socialistes votent pour le bon candidat.
Vous savez, de nouvelles choses très intéressantes sont en train de se produire. Mais dans l’ensemble, je ne suis pas très optimiste pour le Parti travailliste, car son opposition aux politiques de gauche est tellement ancrée que nous ne pouvons pas gagner facilement.
Je vis à Londres depuis près de 55 ans. Le parti travailliste de mon vivant, mais aussi avant, n’a jamais été un parti de gauche, sauf en 1945. Vous connaissez ce qu’il s’est passé après 1945. Ils ont mis en place le premier État-providence d’Europe. Mais avant et après, ils ont toujours soutenu le sionisme.
Et ils ont soutenu le sionisme parce qu’ils croyaient aux mythes sur le sionisme de gauche, que la Histadruth était une organisation socialiste parce que c’est une fédération syndicale. Ils croyaient que les kibboutzim étaient socialistes bien qu’ils aient toujours été ultra-sionistes et de droite dans un sens. Aucun kibboutz n’a jamais accepté un Palestinien comme membre – ils étaient l’avant-garde du sionisme, menant la bataille contre la Palestine.
Le Parti travailliste a pris le parti du sionisme un peu comme l’Union soviétique l’a fait en 1947 en votant pour l’État juif. Mais l’Union soviétique a changé de position. Le parti travailliste ne l’a jamais fait. Le parti a également soutenu la déclaration Balfour en 1917. L’histoire du sionisme au sein du Parti travailliste remonte à plus de 100 ans. Je pense que nous devons nous rappeler que l’élection de Corbyn a été la première fois que le Parti travailliste a adopté une position progressiste sur la Palestine. Et c’est pour cela qu’il a été destitué, par les Tories, la droite travailliste et le lobby israélien.
Depuis des mois, il y a d’énormes manifestations en Grande-Bretagne, les plus importantes peut-être en Europe. Comment l’expliquez-vous ?
Il y a deux choses. Je voudrais vous poser une question à ce sujet également parce qu’il est important pour nous de comprendre ce qu’il se passe en France. Cette réunion d’aujourd’hui va devenir, je pense, et je vais lutter pour cela, un forum pour une fédération antisioniste européenne2Le 30 mars s’est tenu à Paris un grand meeting juif International contre la guerre coloniale en Palestine, contre l’antisémitisme et contre les répressions. Il était organisé par le Tsedek (collectif juif décolonial crée en 2023) et l’UJFP (Union juive pour la paix). Il a rassemblé près de 25 intervenants (dont Haim Bresheeth), de différentes organisations de France et du monde, avec plusieurs centaines de participants. Le POI a accueilli cet évènement dans la grande salle de son siège national (Ndlr).. C’est ce que nous voulons. C’est important. Et cela se passe en France – pouvez-vous l’imaginer ? Pouvez-vous y croire ? Je suis très heureux que cela se produise. J’aurais aimé que ce soit à Londres, mais cela se passe en France parce qu’il s’agit de l’Europe et que nous, au Royaume-Uni, sommes sortis de l’Europe et du jeu européen maintenant, ce qui nous attriste tous. Nous étions contre le Brexit.
Dans un sens, ce qui se passe à Londres est atypique.
Nous avons eu 1,8 million de personnes dans les rues de Londres le 11 novembre, jour de commémoration de la Première Guerre mondiale. De nombreuses personnes ont quitté le Parti travailliste en raison de leur colère contre Keir Starmer et ce qu’il a fait à Corbyn, au parti et à la Grande-Bretagne, en mettant en place des politiques de droite, des politiques anti-immigration, des politiques contre la Palestine et en faveur du génocide. C’est très grave.
La colère est grande à gauche. La gauche qui était endormie, mais qui a été réveillée par Corbyn, cherche maintenant un sujet autour duquel s’organiser, et la Palestine est ce sujet. C’est donc l’une des raisons. La gauche a identifié la Palestine comme un symbole.
L’autre raison, la plus importante, c’est qu’il s’agit du premier génocide qui se déroule sur des téléphones portables. C’est le premier génocide que les personnes génocidées rapportent. Mes voisins immédiats ont deux enfants et leur petite fille a dit à son père : « Papa, que ferons-nous si Israël vient nous tuer ? » Parce qu’ils le voient à la télévision. Ils le voient sur leur téléphone. Ils l’entendent. Ils ne comprennent pas. Ils ont peur parce qu’ils voient des enfants se faire tuer. Cela ne s’est jamais produit auparavant. Il n’est jamais arrivé que des milliards de personnes assistent à un génocide en cours.
Vous savez, tous les membres de ma famille ont été tués lors du génocide des Juifs pendant l’Holocauste. Ils venaient de Pologne. Mon père et ma mère ont tous deux été internés à Auschwitz et ont perdu toute leur famille. Ils étaient les seuls survivants de leur famille, mais personne ne le savait à l’époque. Ils savaient que les nazis étaient horribles. Ils savaient qu’il fallait combattre les nazis. Certains d’entre eux ont combattu les nazis, y compris en France, mais il n’y avait pas de reportage quotidien sur Auschwitz, sur Birkenau. Tout cela n’était pas connu. Et même lorsque des personnes se sont échappées d’Auschwitz, seules deux personnes ont réussi à le faire, leur rapport n’a pas été rendu public et n’a eu aucune incidence.
Les chaînes de télévision britanniques retransmettent-elles le massacre des Palestiniens ?
Elles ont commencé par rapporter principalement les nouvelles de l’armée israélienne. C’est ce qu’elles ont fait en octobre et en novembre. Mais dès la fin du mois d’octobre, plus d’un million de personnes sont descendues dans la rue à deux reprises. Puis ils ont commencé à réfléchir.
De toute évidence, les journalistes sur le terrain et de nombreux journalistes de la BBC, de Channel 4 et d’autres chaînes, ainsi que les lecteurs des journaux, se sont dit : « Attendez une minute, les gens regardent Al Jazeera. Tout le monde peut regarder Al Jazeera. Nous regardons nous-mêmes toutes sortes d’informations en provenance de Gaza. Les gens regardent cela et nous n’en parlons pas. La BBC n’en parle pas, Channel 4 non plus. Ce n’est pas correct. » Ils ont donc commencé à faire pression sur la BBC et sur d’autres chaînes.
La BBC a commencé à changer en décembre. Mais le grand changement a eu lieu en janvier, après l’intervention de la Cour pénale internationale, parce que les choses sont devenues officielles. Israël est jugé, en quelque sorte, pour génocide.
La CIJ n’aurait même pas accepté le soupçon de génocide s’il n’y avait pas une base juridique pour l’accepter. Elle ne l’a pas accepté simplement parce que l’Afrique du Sud est venue le dire, parce qu’elle sait manifestement elle-même qu’il y a plus qu’un soupçon de génocide. Il s’agit bien d’un génocide. Une fois que cela s’est produit, tout a commencé à changer.
Le problème est qu’en France, contrairement au Royaume-Uni, il n’y a pratiquement pas eu un seul mot à la télévision sur l’affaire de la Cour internationale de justice. Et très peu, très, très peu de fois sur le massacre des Palestiniens. Et pour couronner le tout, l’un des plus gros problèmes que nous ayons en France est une campagne orchestrée par le gouvernement pour assimiler l’antisionisme et l’antisémitisme. A chaque fois que quelqu’un parle du massacre des Palestiniens et de ce que fait le gouvernement israélien, il est accusé d’antisémitisme. En particulier Jean-Luc Mélenchon. Il y a une énorme campagne qui vient de partout, y compris de la gauche, y compris du Parti communiste, pour dire qu’il est antisémite parce qu’il critique la politique israélienne. Il a soutenu l’affaire sud-africaine devant la CIJ. Il s’agit d’un problème majeur en France. C’est aussi la raison pour laquelle il n’y a pas eu de manifestation aussi importante qu’en Grande-Bretagne. Bien qu’au début du mois de mars, nous ayons eu 40 000 personnes dans les rues de Paris et que chaque samedi depuis le mois d’octobre, il y ait de nombreuses manifestations. L’autre problème en France est que nous nous battons au sein des syndicats pour participer aux manifestations et c’est difficile. En Grande-Bretagne, les syndicats semblent plus impliqués.
Pas tous. Jusqu’en janvier, on ne voyait jamais de drapeau syndical dans une manifestation. Après que des millions de personnes sont descendues dans la rue, seul le syndicat des universités et des collèges, l’UCU, dont je suis membre, y participait, parce que dans les universités, il y a évidemment des professeurs radicaux et ils sont descendus dans la rue. Ce ne sont pas les autres travailleurs, mais les universitaires qui menaient la danse. Mais aucun autre syndicat.
Nous nous battons toujours avec le plus grand syndicat, Unite, qui compte un million et demi de membres. Sa dirigeante soutient Israël. Mais les membres du syndicat sont totalement contre elle. C’est un problème difficile. Ils ne sont pas autorisés à participer aux manifestations. La politique du syndicat soutient la Palestine. Mais elle refuse d’autoriser les drapeaux du syndicat à aller manifester. Le syndicat a un congrès annuel, les délégués votent tous pour la Palestine, et une minute plus tard, c’est fini, retour à la normale, retour au soutien d’Israël, retour au refus d’un cessez-le-feu, refus de soutenir les gens qui meurent de faim. Nous ne pourrons pas changer cela immédiatement, mais les membres le feront.
La situation n’est pas différente en Grande-Bretagne. Le jeu du faux antisémitisme est le même en Grande-Bretagne. Ce gouvernement utilise l’antisémitisme de la manière la plus dégoûtante qui soit contre des Juifs comme nous. Voilà ce qu’ils font.
Mais je n’ai pas abordé la deuxième raison pour laquelle les manifestations de Londres sont si importantes. Nous n’avons pas autant de musulmans qu’en France. Mais nous en avons beaucoup. Depuis la guerre en Irak, la première fois qu’ils sont descendus dans la rue, en 2003, ils sont restés très discrets parce que le gouvernement, après la guerre en Irak, a adopté des règlements très draconiens contre les activistes musulmans. Il ne l’a pas dit ouvertement. Mais il s’agissait clairement d’une législation islamophobe appelée Prevent, pour prévenir l’extrémisme. Et l’extrémisme, c’était essentiellement l’islam. Tout le monde l’a compris. Vous voyez ce que je veux dire. Ils avaient très peur. Il n’y avait pas beaucoup de musulmans du Moyen-Orient. La plupart d’entre eux venaient du Bangladesh, du Pakistan, de l’Inde. Ils étaient musulmans, mais pas arabes.
Mais la guerre en Syrie, la poursuite des guerres en Irak et en Libye ont produit, après 2003, des millions de personnes venues du monde arabe, mais aussi de Turquie et du Kurdistan. Toutes ces guerres occidentales au Moyen-Orient ont produit une quantité énorme de réfugiés qui sont venus au Royaume-Uni. Et ils se soucient de ce qui se passe en Palestine. Il y a donc eu un changement.
Au début, ils étaient très peu nombreux. J’ai participé à toutes les manifestations, à l’exception de celle d’aujourd’hui. Je connais donc la constitution des manifestations.
J’ai pris la parole lors de plusieurs manifestations à Londres et en Écosse. Je sais de quoi sont faites les manifestations. Lors des premières manifestations, il y avait déjà 200 000 personnes. Il s’agissait principalement de jeunes musulmans, de jeunes britanniques et de très vieux juifs. Mais plus le gouvernement parlait d’islam et d’antisémitisme, comme si être musulman, c’était être antisémite, plus les gens étaient en colère.
La ministre de l’Intérieur, Suella Braverman, ministre de la police, était mariée à un juif sioniste. Elle était tellement raciste envers les musulmans et les Arabes, un peu comme Modi en Inde, qu’elle a fait descendre 1,8 million de personnes dans la rue parce qu’elle disait que les musulmans inondaient la Grande-Bretagne d’extrémisme, qu’ils étaient des terroristes, et d’autres absurdités de ce genre. Et ils sont descendus dans la rue avec leurs enfants, leurs femmes, des familles entières. Et cela n’a pas changé depuis. Et dans les manifestations, le slogan a changé : outre « libérez la Palestine, de la rivière au fleuve », il s’agissait de se débarrasser de Suella Braverman. C’était les mots d’ordre. Et nous nous sommes débarrassés d’elle – ils l’ont licenciée le lendemain de la plus grande manifestation !
Lettre de Haim Bresheeth à la direction du Labour Party, initialement publiée en anglais sur le site Mondoweiss le 14 février 2020. Chère Jennie Formby, Je vous écris à la suite des événements récents – l’expulsion de Jo Bird et l’excellente lettre de Natalie Strecker, car je voudrais vous demander de bien vouloir me convoquer devant la commission de contrôle (Compliance Unit), pour « antisémitisme » – pour les raisons que je détaille ci-dessous. Je souhaite vous parler de mon parcours, afin d’appuyer ma demande. Je suis un universitaire, auteur et cinéaste, un ancien juif israélien actif depuis plus de cinq décennies en tant que militant socialiste, antisioniste et antiraciste. Mes parents étaient des Juifs polonais, survivants d’Auschwitz et d’autres camps. Ils furent forcés de participer aux marches de la mort du Troisième Reich après que les SS eurent quitté le camp d’Auschwitz à la mi-janvier 1945. Ma mère fut libérée par les forces britanniques à Bergen-Belsen et mon père fut libéré par les forces américaines à Mauthausen. Je suis né dans un camp de personnes déplacées en Italie et je suis arrivé en Israël alors que j’étais bébé, en juin 1948, car aucun pays européen n’acceptait alors de survivants de l’Holocauste. J’ai servi dans l’armée israélienne en tant qu’officier d’infanterie junior et j’ai pris part à deux guerres, en 1967 et 1973, après quoi je suis devenu un pacifiste engagé. Je suis venu étudier en Grande-Bretagne en 1972 et, peu de temps après, j’ai appris beaucoup de choses sur le sionisme que je n’avais pas appris en Israël, devenant ainsi un ardent défenseur des droits des Palestiniens et un militant antisioniste. J’ai été un partisan actif du mouvement anti-apartheid en tant que membre travailliste dans les années 1970 et j’ai agi contre les organisations racistes tout au long de ma vie. Mes films, livres et articles reflètent les mêmes opinions politiques décrites ici ; il s’agit notamment d’un livre populaire sur l’Holocauste (Introduction à l’Holocauste , avec Stuart Hood, 1994, 2001-2014), entre autres, d’un film documentaire de la BBC (State of Danger avec Jenny Morgan, BBC2, mars 1988) sur la première Intifada, et un prochain volume sur l’armée israélienne (An Army Like No Other, mai 2020). J’ai réintégré le Parti travailliste après des décennies, lorsque Jeremy Corbyn a été élu à la direction, alors que j’ai retrouvé l’espoir de promouvoir un programme progressiste pour le parti, après des années de blairisme. Il est évident que mes antécédents me qualifient d’antisémite selon les critères travailliste basée sur la « définition » erronée de l’IHRA de l’antisémitisme, ou plutôt, la version militarisée de la propagande sioniste dirigée contre les partisans des droits humains et politiques des Palestiniens. Mais j’aimerais ajouter quelques preuves accablantes supplémentaires, afin de rendre l’affaire inébranlable, si vous me le permettez. Au fil des décennies, j’ai participé à des centaines de manifestations contre les brutalités israéliennes et j’ai agi contre les atrocités commises par l’occupation militaire, dans divers pays – en Israël, en Europe et aux États-Unis. J’ai publié des articles, réalisé des films et contribué à de nombreux livres et je me suis largement prononcé dans un certain nombre de pays contre la colonisation militarisée par Israël de la Palestine, le déni de tout droit à la plupart des Palestiniens, les graves violations des droits humains et politiques des citoyens palestiniens d’Israël et l’impact brutal de Tsahal sur la société juive israélienne. J’ai également analysé la fausse nature de la campagne de l’IHRA dans un article récent, rédigé dans une perspective antisioniste et axée sur les droits de l’homme. Je suis actif dans un certain nombre de groupes politiques affiliés ou proches du Parti travailliste, qui soutiennent les droits des Palestiniens – Jewish Voice for Labour et Jewish Network for Palestine, dont je suis membre fondateur. Je suis conscient que, selon les règles du Parti travailliste, tout ce qui précède constitue ce que vous définissez comme de l’antisémitisme. Personnellement, il est clair pour moi que de telles accusations sont fausses et écoeurantes, mais personne n’a interrogé les membres sur l’adoption de la définition de l’IHRA et de ses exemples. La définition adoptée fait d’Israël le seul État au monde qu’on ne peut pas critiquer, à moins de vouloir s’accuser d’antisémitisme. Critiquer l’Empire britannique, par exemple, n’est pas anti-britannique et, à l’heure où nous parlons, est toujours autorisé par les règles du Parti travailliste. Critiquer le gouvernement américain pour ses attaques contre l’Irak en 1991 et 2003 n’est pas antiaméricain et est toujours autorisé par la réglementation américaine. Critiquer le colonialisme de l’apartheid israélien n’est ni anti-israélien, ni antisémite, bien sûr. Ce qui est antisémite et raciste, ce sont les règlements actuels du parti, et tant qu’ils ne seront pas modifiés, les Juifs et autres partisans de la Palestine n’auront aucune raison de soutenir un parti qui les traite de cette manière. Les règlements du Parti travailliste sont ce qu’ils sont. Cependant, je n’ai pas l’intention d’arrêter mes activités, de les atténuer ou d’abandonner mes principes afin de satisfaire la logique tordue du Parti travailliste. J’insiste sur mon droit, en effet, sur mon devoir en tant qu’ex-Israélien, en tant que juif, en tant que citoyen, en tant que socialiste et enfin et surtout, en tant qu’être humain, d’agir et de critiquer ouvertement l’apartheid et les injustices israéliens aussi longtemps que je le peux. Je crois également qu’en tant que membre d’un parti que je croyais être devenu une organisation politique progressiste, cela devrait être mon droit et mon devoir ; mais je me rends compte que mes activités vont à l’encontre du dogme, de la réglementation et des intérêts actuels du parti travailliste, c’est pourquoi je m’accuse ouvertement à travers cette lettre et vous demande de me convoquer devant la commission de contrôle, afin que justice soit rendue et que je sois traité comme mes nombreux amis qui se sont retrouvés dans la même situation – le professeur Moshe Machover, Jackie Walker, Elleanne Green, Tony Greenstein, Glyn Secker et bien d’autres confrontés au système inquisitorial stalinien développé par le Parti travailliste. Si vous voulez séparer les « bons Juifs » des « mauvais », veuillez m’inclure dans ce dernier groupe, car rien dans mes résultats universitaires, mon enseignement de l’histoire, mes publications ou mes activités politiques ne peut étayer l’affirmation selon laquelle je ne suis pas un juif antisémite selon vos règles. J’exige que justice soit rendue. J’espère que ma demande sera prise au sérieux et suivie d’effet, avec la même combinaison de rapidité, d’intolérance et de préjugés envers les autres membres déjà accusés de cette infraction. Ne pas le faire équivaudrait à prouver que les critères permettant de juger de l’existence de l’antisémitisme ne sont pas uniformément appliqués. Je suis prêt à fournir toutes les preuves qui pourraient être exigées par les enquêteurs de la commission de contrôle, pour prouver ma culpabilité. N’hésitez pas à demander de l’aide sur des points qui restent flous. Salutations, Professeur Haim Bresheeth |
Haim Bresheeth est membre fondateur de la Campagne pour un seul Etat démocratique (ODSC).