1939-1945, aux Etats-Unis : « Cette guerre n’est pas la nôtre »
Le SWP, section des Etats-Unis de la IVe Internationale, pendant la Seconde Guerre mondiale : une politique d'indépendance de classe, contre l'union sacrée.
- Histoire
Des exclus du Parti communiste des Etats-Unis stalinisé fondent, en 1928, la Ligue communiste d’Amérique qui devient, en janvier 1938, le SWP (Socialist Workers Party). Lorsque la guerre éclate en Europe en septembre 1939, le SWP est la principale section de la IVe Internationale proclamée en septembre 1938. En mai 1940, l’Europe est ravagée par la guerre depuis huit mois, la France est en passe d’être vaincue et Hitler prépare l’offensive contre la Grande-Bretagne. Contre l’union nationale qui s’annonce au nom de la « guerre de la démocratie contre le fascisme », le SWP va maintenir, tout au long du conflit, l’orientation du Manifeste sur la guerre impérialiste et la révolution prolétarienne mondiale que vient d’adopter la conférence de la direction de la IVe Internationale : « Cette guerre n’est pas la nôtre. »
- 1er Mai 1940
« La seule guerre qui vaille la peine d’être menée est la guerre de la classe ouvrière internationale contre la classe capitaliste internationale ! »
Avant l’entrée en guerre des Etats-Unis, dans son manifeste du 1er mai 1940, le SWP défend la solidarité internationale des travailleurs « contre tous les patrons “démocratiques” ou fascistes ».
« Travailleurs d’Amérique, joignez-vous à nous pour célébrer le 1er Mai, le jour dédié à la solidarité internationale de la classe ouvrière et à la lutte du mouvement ouvrier pour un monde meilleur.
Rejoignez-nous pour affirmer en ce jour que les travailleurs de tous les pays sont nos frères, qu’ils parlent français, allemand, italien, russe ou anglais. Les travailleurs de tous les pays forment un tout, unis contre leurs oppresseurs. Vive la solidarité internationale du travail contre tous les patrons, “démocratiques” ou fascistes !
Joignez-vous à nous avec la ferme résolution que, quoi qu’il arrive, la classe ouvrière américaine ne se rendra pas aux faiseurs de guerre ; que dans le “temps de paix” qui reste encore et dans le temps de guerre que le gouvernement et les patrons ont déjà planifié dans les moindres détails, nous poursuivrons sur tous les fronts la lutte de la classe ouvrière contre les patrons et leur gouvernement. Pas de renoncement aux droits et aux justes revendications des travailleurs au nom du patriotisme !
Des dizaines de millions de nos frères ont été fourrés dans des uniformes avec des fusils dans les mains – pour qu’ils s’entretuent. Consacrons-nous aujourd’hui à mettre un terme à ce massacre des travailleurs par les travailleurs. Si beaucoup d’entre nous sont condamnés à mourir, alors mourons dans la seule guerre qui vaille la peine d’être menée, la guerre de la classe ouvrière internationale contre la classe capitaliste internationale ! (…)
Roosevelt ne fait même plus semblant d’être neutre. Les usines d’avions de Los Angeles et du Connecticut sont aussi étroitement liées à la machine de guerre alliée que celles de Manchester et de Montréal. La grande presse quotidienne, qu’elle soit démocrate ou républicaine, prend ouvertement parti dans la guerre.
« Les actes de guerre du gouvernement »
Le gouvernement prend des mesures qui étaient jusqu’alors impensables avant une déclaration de guerre. (…) La loi sur la neutralité de 1939, par laquelle Roosevelt a obtenu du Congrès la légalisation des ventes d’armes aux Alliés en échange d’une disposition interdisant les zones de guerre à tous les navires américains, est cyniquement violée par les « ventes », approuvées par le gouvernement, de nombreux navires à des sociétés étrangères fictives. Nouveaux et anciens
« newdealers », républicains et démocrates, le groupe dominant de la classe dirigeante se dirige délibérément vers la guerre. Pour quoi faire ? Pour aider l’Angleterre et la France à préserver la démocratie ?
« Une guerre entre maîtres d’esclaves »
Pour chaque Anglais blanc “libre”, il y a onze esclaves noirs, bruns ou jaunes qui travaillent dans l’Empire britannique ; pour chaque Français “libre”, deux ou trois sont ouvertement tenus en esclavage dans les colonies. Quelque 560 millions de personnes, soit un quart de la population mondiale, vivent dans les colonies des “démocraties” dans des conditions non moins terribles que celles de l’Allemagne. L’alliance anglo-française combat Hitler uniquement sur la question de savoir qui doit être le maître des esclaves – c’est l’objet de la guerre. En menant cette guerre, les impérialistes “démocratiques” privent progressivement les travailleurs de leur pays des quelques libertés qui leur restent. (…) Le système capitaliste ne peut même pas nourrir ses esclaves salariés dans le pays le plus riche du monde. Sur ses propres vastes marchés, il ne peut vendre ses produits ou investir son capital. Il est poussé par ses contradictions internes à trouver de nouveaux champs d’investissement et de marchés. Mais le monde est déjà divisé, et la redivision ne peut se faire que par la force des armes. C’est l’objet de cette guerre (…). »
- Septembre 1940
« Nous sommes des militaristes prolétariens »
A la conférence plénum des 27-29 septembre 1940, les délégués adoptent la « politique militaire prolétarienne » du SWP. Dans son rapport final, le dirigeant du parti, James Cannon, revient sur la discussion entre les délégués.
« Un camarade a tenté de justifier une politique d’antimilitarisme. Ses remarques étaient, à mon avis, une réminiscence de jours révolus. (…) Tout va se régler par des moyens militaires, les armes à la main. Alors, pouvons-nous maintenant être antimilitaristes ? Pas du tout ! Au contraire. Nous devons dire : très bien, la situation n’est pas de notre fait, c’est que la force militaire décide. Il ne reste qu’une chose à faire pour les travailleurs. C’est d’apprendre à devenir de bons combattants avec des armes modernes. (…) Cela ne contredit pas l’attitude quelque peu différente que nous avons adoptée à des époques quelque peu différentes – lorsque la possibilité d’empêcher la guerre par la révolution ne pouvait être exclue. (…)
« Les masses sont dans l’armée »
“Comment travaille-t-on dans une armée de conscrits ?”, a demandé quelqu’un. Nous travaillons de la même façon que dans un atelier. En effet, l’objectif principal de l’industrie est maintenant d’approvisionner l’armée.
Où traceriez-vous la ligne de démarcation ? Il n’y a guère d’industrie qui ne soit pas mobilisée soit pour la fabrication, soit pour le transport du matériel destiné à l’armée. Les masses sont dans l’armée ou travaillent pour approvisionner l’armée. Les travailleurs sont soumis à l’exploitation militaire. Nous y allons et défendons les intérêts des esclaves de l’exploitation militaire, tout comme nous allons à l’usine et y luttons contre l’exploitation capitaliste. Partout, notre ligne fondamentale est la ligne de classe. (…) Comment, dans un monde dominé par le militarisme, pouvons-nous envisager le salut du monde autrement que par des moyens militaires ? Et comment pouvons-nous obtenir ces moyens militaires si ce n’est en entrant dans l’armée telle qu’elle existe ? »
Le témoignage de l’historien Howard ZinnL a campagne menée par le parti va permettre de recruter de nouveaux adhérents en particulier dans l’industrie automobile et la marine commerciale. Les militants touchés par la conscription mise en place après l’entrée en guerre des Etats-Unis défendront courageusement la politique adoptée au congrès. L’historien Howard Zinn, à l’époque jeune engagé volontaire dans l’US Air force, en témoigne : « J’ai demandé à mon camarade [fusilier de l’équipage d’un autre bombardier] pourquoi il acceptait de risquer sa vie dans une guerre à laquelle il ne croyait pas. Sa réponse fut stupéfiante : “Pour discuter avec des gens comme toi.” J’ai découvert plus tard qu’il était membre du Socialist Workers Party, qui, bien qu’opposé à la guerre, estimait qu’il valait mieux participer à l’action et militer contre la guerre partout où c’était possible plutôt qu’essayer d’échapper au service actif. »1Howard Zinn, Nous, le peuple des Etats-Unis, Agone, 2004, p. 118. |
- 1941-1943
Les dirigeants du SWP poursuivis et emprisonnés au nom de la « loi bâillon »
Le ministère de la Justice accuse 28 dirigeants du SWP et du syndicat des Teamsters de « complot ».
En 1940 l’administration Roosevelt continue à avancer ses pions en faveur d’une intervention militaire, malgré le sentiment antiguerre de la majorité de la population et le bloc isolationniste du Congrès.
Le premier acte, simple entrée en matière, c’est le Voorhis Act voté en 1939 qui impose « l’enregistrement de certaines organisations soumises à un contrôle étranger qui préconiserait le renversement du gouvernement des Etats-Unis. » Il oblige le SWP à se désaffilier de la IVe Internationale, ce qui ne sera fait qu’officiellement.
Le deuxième acte ne tarde pas. Daniel Tobin, membre du Comité syndical du parti démocrate et dirigeant national du syndicat des Teamsters (camionneurs), entre en conflit avec la section (local 544) de Minneapolis qui refuse d’abandonner le combat syndical et s’oppose à l’entrée en guerre des Etats-Unis. Il fait appel à Roosevelt. Une provocation est montée. Le 20 juin 1941 les agents du FBI font une descente au bureau du SWP de Minneapolis. Le ministère de la Justice accuse 28 dirigeants du SWP et du syndicat des Teamsters de « complot dans l’intention de renverser le gouvernement par la force et la violence » en violation de la loi de 1861, et de « conspiration en vue de prôner et de défendre l’idée d’un renversement du gouvernement américain par la force » en violation du Smith Act du 28 juin 1940 (la « loi bâillon »). L’histoire du droit à la liberté d’expression, garantie en théorie par le premier amendement de la Constitution, est instructive. Le premier amendement stipule que « le Congrès ne fera pas de loi (…) restreignant la liberté de parole de la presse. » Pourtant, analyse l’historien Howard Zinn, « le puissant message du premier amendement semble perdre de sa force au moindre coup de canon et même dans les périodes qui précèdent les guerres. (…) Lorsque les Etats-Unis décidèrent de participer à la Première Guerre mondiale, le Congrès vota une autre loi qui entrait en totale contradiction avec cet amendement. Cette loi c’est l’Espionage Act de 1917. (…) A la veille de la Seconde Guerre mondiale, le Congrès vota une nouvelle loi (…), le Smith Act de 1940 [qui] étendait l’application de l’ Espionage Act au temps de paix et criminalisait le fait de distribuer des textes ou de faire des discours dans l’intention d’inciter “à l’insubordination ou au refus de servir dans les forces armées.” La loi considérait également comme un crime “de prôner ou de défendre ou de conspirer en vue de prôner ou de défendre” le renversement du gouvernement par la force. »2Howard Zinn, ibid., pp. 261 à 274.
Le procès pour « sédition » commence à Minneapolis le 27 octobre 1941 quelques semaines avant l’entrée en guerre des Etats-Unis. Les accusés utilisent le procès comme tribune politique et y défendent leur programme révolutionnaire. Si les 28 sont acquittés pour la première accusation, ils sont jugés coupable de violer le Smith Act et condamnés à des peines de prison de 12 à 16 mois. L’appel rejeté, ils seront arrêtés le 31 décembre 1943 et emprisonnés.
Le ralliement des directions syndicales et du Parti communiste des USA à l’union nationale
Roosevelt n’a pas besoin de loi ou de décret pour imposer l’union nationale, les dirigeants syndicaux le devancent.
Comme Philip Murray, président du CIO (Congress of Industrial Organizations)3Le CIO est issu d’une scission de l’AFL en 1938. Il se réunifie avec l’AFL pour former l’AFL-CIO en 1955., le déclarera en septembre 1944, « le 17 décembre 1941, dix jours après l’entrée en guerre de notre pays, (…) sans demande formelle de la part du président des Etats-Unis, nous avons volontairement accepté de donner à notre commandant en chef, et par son intermédiaire au peuple de notre pays, notre engagement à ne pas recourir à la grève. »
En échange de l’engagement du « no strike pledge » (pacte d’engagement à ne pas appeler à la grève), Roosevelt concède aux syndicats « l’union shop » (syndicalisation obligatoire et cotisations prélevées sur les salaires) dans les industries de guerre.
En 1942, toute une série de mesures sont prises par l’administration avec l’accord des directions syndicales pour encamisoler toujours plus la classe ouvrière.
Une commission nationale du travail (National Labor War Board) est créée le 12 janvier 1942 pour « résoudre » les conflits du travail. Composée de 12 membres nommés par le président, composée de représentants du patronat des grandes entreprises, des syndicats et du gouvernement, elle impose un arbitrage obligatoire avant toute grève. Des décrets peuvent être pris contre les syndicats récalcitrants et leurs adhérents peuvent être mobilisés s’ils refusent de reprendre le travail. Les directions syndicales s’engagent égale ment à une renonciation « volontaire » à la double paie les dimanches et jours fériés.
En juillet 1942 le National Labor Board décrète le blocage des salaires. Pour faire accepter la mesure, un office des prix (DPA) est créé, sans effet notable contre la hausse des prix. L’executive order pris en avril 1943 par le président Roosevelt, sur proposition de la Commission nationale du travail – dont, ne l’oublions pas, les directions syndicales sont membres –, lie les ouvriers à leurs emplois pour la durée de la guerre afin de les empêcher de les quitter pour d’autres mieux payés.
Le PCUSA, après avoir dénoncé la guerre et l’impérialisme américain pendant la période du pacte germano-soviétique (23 août 1939), va se rallier, avec un zèle remarquable, à l’union nationale après l’agression hitlérienne contre l’URSS, le 21 juin 1941. Il va dénoncer comme traîtres tous ceux qui se mettent en grève ou se déclarent partisans des grèves. Pour le parti stalinien, le soutien à l’impérialisme américain, la trahison de la classe ouvrière ne doivent pas se limiter à la période de la guerre.
En septembre 1944, Earl Browder, le secrétaire général du parti, l’affirmera on ne peut plus clairement : « De toutes nos forces, nous avons aidé à contenir toutes les tentatives de faire grève existant parmi les ouvriers et à préparer les ouvriers en vue de sauvegarder l’unité nationale après la guerre. » Preuve supplémentaire de son allégeance à l’impérialisme américain, le PCUSA s’auto-dissout le 20 août 1944 « dans l’intérêt de l’union nationale » pour faire place à une « Association politique communiste des Etats-Unis »
Le rôle du SWP dans la reprise de la lutte des classes
Si le nombre de grèves a décliné en 1942, à partir de 1943 la tendance s’inverse.
A près l’attaque de la base militaire de Pearl Harbor par l’aviation japonaise le 7 décembre 1941, il y a peu d’opposition à la mise en place de la conscription pour une guerre « contre le fascisme, pour la démocratie », en défense de la nation attaquée. Ce que la politique du « New Deal », menée par l’administration Roosevelt contre la crise économique, n’a pas réussi – le nombre de chômeurs est remonté à 11 millions en 1939 –, la guerre va le rendre possible : la conscription et les besoins toujours croissants de l’industrie de guerre nécessitent le recrutement massif d’ouvriers. Mais les besoins militaires sont prioritaires et la population va connaître le rationnement des biens de consommation imposé par décret du gouvernement – générant corruption et marché noir –, ainsi que le gel des salaires. La lutte des classes va reprendre ses droits à partir de 1943.
Le slogan « égalité de sacrifice » utilisé pour convaincre les travailleurs qu’ils devaient sacrifier leurs droits sociaux aux nécessités de la guerre a fait long feu. Les entreprises se sont enrichies avec la production de guerre aux débouchés et aux profits garantis. Pour le peuple, le fardeau de la guerre est devenu insupportable. Devant la hausse du coût de la vie, nourrie par le rationnement et le blocage des salaires, la résistance à « l’engagement de pas recourir à la grève » se développe.
Si le nombre de grèves a décliné en 1942, à partir de 1943 la tendance s’inverse. À la fin de la guerre, le « no strike pledge » est mort et enterré. Les grèves sont votées, contre la volonté des dirigeants syndicaux nationaux de l’AFL et du CIO, sous l’impulsion de militants de base du CIO formés dans les grandes luttes des années 1930.
Les membres du SWP y jouent un rôle important, en particulier dans les grandes villes industrielles du nord. En 1943 ce sont les mineurs puis les cheminots, les ouvriers des aciéries, du textile qui se mettent en grève pour les augmentations de salaire. Les grèves s’accompagnent d’une montée de la syndicalisation. En 1940, l’ALF et le CIO syndiquaient près de 9 millions de travailleurs. À la fin de l’année 1945, ils sont près de 15 millions. Cette remontée est annonciatrice du déferlement des grèves de l’immédiate après-guerre.