Les institutions de la Ve République en 1958 : des institutions nées d’un coup d’Etat

Aux « Amfis » de l’an dernier, en août 2023, s’est tenue une conférence intitulée « La Ve République, aux origines du mal ». Un thème toujours d’une brûlante actualité ! Au moment ou Macron cherche à conserver le pouvoir pour appliquer la réforme des retraites jusqu'au bout.

Manifestation contre le coup d’Etat de De Gaulle, le 29 mai 1958, place de la République à Paris. (AFP)
Par Mélinda Sauger
Publié le 21 septembre 2024
Temps de lecture : 6 minutes

Aux « Amfis » de l’an dernier, en août 2023, s’est tenue une conférence intitulée « La Ve République, aux origines du mal ». Un thème toujours d’une brûlante actualité ! Notre camarade Mélinda Sauger y a prononcé l’une des introductions à la discussion, où elle est revenue, notamment, sur les circonstances de l’instauration de la Ve République, en 1958. Extraits de son rapport. Une intervention et une conférence à retrouver en intégralité sur le site du POI : ici.

Je suis membre du comité de rédaction d’ Informations ouvrières, hebdomadaire du Parti ouvrier indépendant, tribune libre de la lutte des classes.

Notre journal a un destin qui est très lié à la Ve République, tout simplement parce que ce journal est né en octobre 1958, quelques mois après la mise en place de la Ve République, en faisant le constat – c’est ce que disait son fondateur Pierre Lambert, militant de la IVe Internationale – des défis à relever avec l’instauration de cette nouvelle Constitution.

Lambert avait caractérisé cette Constitution comme une offensive contre la classe ouvrière. D’où la nécessité d’avoir un journal, une publication qui puisse aider les militants à s’organiser et à combattre.

La question de la Ve République a une actualité très forte aujourd’hui, on l’a tous vu pendant la bagarre contre la réforme des retraites. Pendant plusieurs mois, il y a eu une mise en avant de la Constitution quasi quotidienne. On n’y connaissait pas forcément tous grand-chose et puis on est devenu finalement tous plus familiers avec cette Constitution.

Pendant l’une des manifestations pour le retrait de la réforme des retraites, le 23 mars qui était une des plus grosses manifestations, il y avait énormément de pancartes dans le cortège dirigées contre la Ve République, contre Macron et qui associaient Macron à Louis XVI, la Ve République à la monarchie. Cela m’avait marquée, ce lien que faisaient tous ceux qui se mobilisaient entre la bagarre contre les retraites et la bagarre contre la Constitution. Il y en a une qui me revient, c’était: «  65 ans de la Ve, ça suffit, à la retraite !  »

Je trouvais que c’était un bon condensé de la situation qui reliait le combat immédiat pour l’abrogation de la réforme des retraites au combat pour l’abolition de la Ve République.

Je pense qu’on est nombreux à s’interroger sur comment faire pour en finir avec ces institutions. Cette question a traversé les derniers mois et évidemment c’est encore plus d’actualité aujourd’hui (…).

Quelques mots pour revenir sur l’aspect historique des choses sans trop m’attarder. 1958, c’est la naissance de la Ve République, dans un contexte bien particulier : celui de la guerre d’Algérie qui dure déjà depuis quatre ans. Le tableau est celui d’une crise coloniale, crise de l’impérialisme et crise politique en France. Les gouvernements de la IVe République sont régulièrement en crise. Un moment va être saisi, un événement qui n’était probablement pas prévu, qui est ce fameux « coup de force d’Alger » du 13 mai 1958, et qui va être instrumentalisé pour remettre en cause de la IVe République et mettre en place les institutions de la Ve République. C’est ce qu’on appelle le coup d’Etat d’Alger.

Il intervient alors qu’il y a une mobilisation à Alger notamment de cette minorité européenne française, menée par des individus assez peu recommandables, notamment le fameux Lagaillarde qui deviendra un des fondateurs de l’OAS… Je vous laisse imaginer un peu le tableau… Les fameux généraux d’Alger vont s’appuyer dessus et qui vont créer un « comité de salut public » – sans aucune honte, puisque le Comité de salut public, c’est quand même 1793 et Robespierre ! – au son de « vive la France ! Vive l’Algérie française ! Vive le général de Gaulle !  »

Pouvoirs spéciaux votés par communistes et socialistes

(…) Tout de suite, Pfimlin, qui est le président du Conseil à l’époque, laisse faire les généraux. Il laisse, en quelque sorte, pourrir la situation. L’appel à de Gaulle est formulé donc dès le 13 mai. Et très rapidement, les choses vont s’accélérer. Quelques dates : les pouvoirs spéciaux sont votés au général Salan le 20 mai à l’unanimité à l’Assemblée nationale, Parti communiste compris ; les pouvoirs spéciaux pour l’Algérie sont reconduits pour le gouvernement Pfimlin là encore à une écrasante majorité, partis communiste et socialiste compris ; l’état d’urgence est voté aussi à l’unanimité de l’Assemblée nationale… Donc, on voit bien qu’il y a un basculement. Une rencontre a lieu entre les socialistes (dont Guy Mollet), Pfimlin et de Gaulle pour passer un accord sur la prise du pouvoir du général de Gaulle.

Et puis il y a la réponse sur le terrain de la mobilisation : il y a cette puissante manifestation du 29 mai qui réunit 500 000 personnes à Paris contre de Gaulle, contre son coup de force, et puis la grève des enseignants du 30 mai où il y a de 70 à 90 % de grévistes ce jour-là. Les confédérations syndicales réagissent de manière, disons, extrêmement timide, pour ne pas dire autre chose. Le Parti socialiste et le PC ne donnent aucune consigne d’action claire alors qu’ils représentent à l’époque une force qui est sans commune mesure avec celle d’aujourd’hui. Le 1er juin, de Gaulle est investi par l’Assemblée nationale. Donc vous voyez : en trois semaines, cette affaire-là est pliée.

Pas d’assemblée constituante

La suite va assez vite sur le plan du changement institutionnel.

Il n’y a pas d’assemblée constituante pour la Ve République, ça n’a échappé à personne, on n’allait pas s’embarrasser avec ça ! Donc, c’est fait directement par les proches de De Gaulle, des ministres, par certains anciens pétainistes aussi.

Que du beau monde ! Avec un certain Michel Debré, ils vont en quelques mois d’été rédiger cette Constitution, avec dans la foulée des élections législatives et présidentielle.

Cette Constitution va concentrer en quelque sorte ce coup de force. Vous savez que Mitterrand a parlé du « coup d’Etat permanent » en caractérisant la Ve République. On est vraiment sur un régime bonapartiste qui s’appuie largement sur les expériences passées de Napoléon Ier ou de Napoléon III, d’essence totalement monarchique, et ce n’est pas inauguré par Macron, ça fait déjà longtemps que ça dure.

C’est un pouvoir qui doit dès le début s’appuyer sur un exécutif extrêmement fort et qui doit permettre de contrer la mobilisation, de contrer la menace révolutionnaire qui pourrait venir, comme de Gaulle le disait souvent.

Caractère antidémocratique et antiparlementariste

Voilà ce qu’il écrit dans ses mémoires, quand il caractérise ce qui s’est passé en 1958 : « Vais-je m’en tenir à rétablir dans l’immédiat une certaine autorité du pouvoir, à remettre momentanément l’armée à sa place, à trouver une cote mal taillée pour atténuer quelque temps les affres de l’affaire algérienne puis à me retirer en rouvrant un système politique détestable, une carrière de nouveau dégagée ou bien vais-je saisir l’occasion historique que m’offre la déconfiture des partis pour doter l’Etat des institutions qui lui rendent, sous une forme appropriée aux temps modernes, la stabilité et la continuité dont il est privé depuis 169 ans.  »

Quand il dit « 169 ans », si on fait le calcul, on revient donc en 1789 ! Donc il considère finalement qu’il faut rétablir l’Ancien Régime sous une forme « moderne », appropriée, celle des institutions de la Ve République. Ça résume assez bien ce pouvoir autoritaire, basé sur un exécutif extrêmement fort, où la séparation des pouvoirs est plus que douteuse, avec un caractère antidémocratique, antiparlementariste (…) avec cette volonté d’écraser le mouvement d’en bas, d’écraser la classe ouvrière et de se doter d’institutions au caractère autoritaire (…).

Il y avait vraiment cette idée de permettre à une minorité de diriger au cœur de l’Etat. On le voit très bien en ce moment avec Macron qui est suspendu en l’air et qui tient grâce aux institutions de la Ve ce qui lui qui permet d’imposer sa « réforme des retraites » à l’immense majorité qui n’en veut pas.

La puissance de ces institutions, pour une certaine classe sociale, la bourgeoisie, est bien résumée par un ancien ministre de François Hollande, Jean-Jacques Urvoas, qui disait, alors qu’on était en pleine mobilisation sur les retraites dans le journal L’Opinion : « La Constitution de 1958 n’a peut-être pas encore révélé tous ses secrets. Cette capacité à fournir des possibilités juridiques à un pouvoir déterminé politiquement mais fragile numériquement au Parlement est d’ailleurs l’un des fondements à la solidité du régime. Il ne faut pas s’en étonner : la Ve République a été conçue pour que l’exécutif ne perde jamais la main.  »

(…) Voilà face à quoi on est : sur un régime qui se dit légal ou qui dit porter la légalité républicaine (…), alors qu’en fait il est à l’opposé de la démocratie, alors qu’il est totalement illégitime d’un point de vue démocratique.

Pendant la réforme des retraites, l’exécutif a sorti de sa besace toute une série d’articles qu’on a appris à connaître et qui on fait partie de notre quotidien pendant plusieurs semaines : le 47.1 le 44.3 le 49.3 (…). Ils ont permis de passer en force. L’autre aspect de la Ve République (…), c’est son caractère répressif : la répression des Gilets jaunes, des manifestants quels qu’ils soient, syndicalistes, associatifs, écologistes…

(…) Au cœur du système de la Ve, il y a aussi la corruption (…). (…) Dans nos échanges aujourd’hui, il y a cette question à mon avis centrale : oui, il faut abroger la Ve République et le plus vite sera le mieux. (…) Et ça ouvre des discussions : la démocratie, laquelle ? Parce qu’il y a des républiques qui sont dites « démocratiques », mais qui ne le sont pas pour autant. La démocratie, pour qui ? Ce qui est au centre c’est la question du mandat. Je pense à la Commune de Paris, notamment. (…) C’est aussi la question du Parlement qui va permettre quelle politique, pour faire quoi ?

La dernière question, à mon avis, c’est celle du rapport de force et de la mobilisation puisque, oui, la question de la Constituante, la perspective de nouvelles institutions, c’est celle aussi de celle de la mobilisation : quelle mobilisation, quel rapport de force on aide à créer, à renforcer pour ouvrir cette perspective. Donc c’est bien la manière dont la France insoumise peut jouer à plein son rôle d’aide à la mobilisation, qui doit être au cœur de nos échanges également aujourd’hui (…).