Interview d’Alekseï Sakhine et Liza Smirnova de la coalition des « Socialistes contre la guerre »
Ces deux militants livrent à « Informations ouvrières » un témoignage saisissant sur la réalité de la situation en Russie, deux ans après le début de la guerre en Ukraine.
- Actualité internationale, Russie

Y a-t-il une résistance en Russie contre la guerre engagée depuis 2 ans et demi par Poutine ?
L’opposition à la guerre, dans les premiers mois, s’est appuyée sur une opposition qui existait avant avec les libéraux. Ce sont souvent les partisans de Navalny qui ont organisé les premières protestations.
Quand il y a eu la réforme des retraites en France, vous avez participé aux mobilisations, vous avez utilisé les syndicats, les organisations locales. Vous aviez différents partis de gauche, des organisations locales, qui collaient des affiches. Et les médias en rendaient plus ou moins compte. En Russie, ces possibilités n’existaient que pour la classe moyenne isolée. Les pauvres n’ont jamais entendu parler de ce que nous faisions. Au début de la guerre, nous avons organisé des manifestations contre la guerre, contre l’enrôlement obligatoire. Et les seuls qui lisaient nos appels, c’étaient des gens issus de l’intelligentsia de la classe moyenne, à Moscou, à Saint-Pétersbourg et dans une ou deux autres villes. Mais ce sont d’autres gens qu’on recrute pour la guerre. Ceux qu’on enrôlait n’avaient jamais entendu parler de nos protestations. Et s’ils en avaient entendu parler, c’est seulement à la télévision où on leur expliquait que nous étions des agents de Biden.
La police réprimait sévèrement nos manifestations. Et les jeunes qui étaient arrêtés, on les envoyait à la guerre. Ou bien ils écopaient d’énormes peines de prison.
Ensuite, un million de personnes ont quitté la Russie. Et c’était justement le million qui constituait le noyau de la société libérale. Il n’existe plus.
Maintenant, il y a un million de gens qui servent dans l’armée et qui chaque jour endurent les épreuves de Verdun. Et la majorité d’entre eux ne connaît pas l’existence des défenseurs du droit, et n’a pas accès à un avocat personnel. Avoir un avocat personnel, pour eux, c’est quelque chose d’inaccessible, ça coûte trop cher. Quant aux avocats d’état, ce sont de facto des représentants de la police.
Que sait-on sur l’état d’esprit des soldats au front ?
Les contrats des soldats qui s’engagent, signés avec le ministère de la défense sont illimités et on ne peut pas les dénoncer, c’est un véritable servage. Si on regarde ce qui se passe dans les provinces reculées, dans les petites villes où les gens n’ont pas de travail depuis 20 ans, certains, par exemple, s’occupaient de récupérer de la ferraille – et buvaient de la vodka. Et là arrive l’État. Et il te dit : « On va te donner tout de suite 5 000 euros. Et chaque mois on va te verser 2 000 euros de plus. Et si tu meurs, on va payer à ta famille 70 000 euros et même plus. » C’est une somme d’argent que sa famille ne pourrait jamais gagner de toute sa vie. Il y a dans toute la Russie des centaines de milliers de femmes qui ont dit à leur mari : tu ne sers à rien, ça n’a pas de sens, va au front et meurs-y, ce sera un appartement pour nos enfants. Et ces hommes et ces femmes n’avaient d’informations que par la télévision d’État. Beaucoup d’entre eux pensaient qu’en arrivant au front ils n’allaient pas participer aux combats. Ils allaient rester sur le territoire russe et défendre quelques bâtiments administratifs. Ils croyaient qu’en Ukraine il n’y a que des nazis. Les moyens de propagande les préparaient au fait qu’ils n’auraient pas à se battre comme leurs grands-parents lors de la Seconde guerre mondiale.
Est-ce que l’état d’esprit change après 2 ans de guerre ?
Maintenant le type qui arrive au front, au lieu du tableau héroïque de l’homme invincible qui patrouille avec son fusil dans sa ville de l’arrière et à qui les habitants locaux offrent des fleurs, il se retrouve à Verdun, dans des tranchées boueuses.
Il croyait qu’il s’agissait d’attaquer des vieux hangars dans des (…)
Vous avez lu 20% de l'article. La suite est réservée aux abonnés. Pour accéder au contenu, vous pouvez :
- vous abonner, ou
- acheter un accès au contenu protégé pendant 7 jours pour 1,50€.
