« Extrême droite : la résistible ascension », par l’Institut de la Boétie
Cet ouvrage coordonné par Ugo Palheta comprend un large tour d’horizon sur l’extrême droite. Dans une note de lecture, Christian Eyschen, libre penseur, en évoque certains aspects et nous livre son point de vue sur la question : comment vaincre l’extrême droite aujourd’hui ?
- Extrême droite, Tribune libre
Dans cet ouvrage coordonné par Ugo Palheta, il y a un large tour d’horizon sur l’extrême droite et une description attentive sur sa montée en différents domaines. Certains articles sont extrêmement précis, quasiment le sujet est découpé au scalpel chirurgical. Ne voulant pas édulcorer la lecture, et je pense que cet ouvrage ne peut se résumer tant il est riche, je ne peux qu’inciter les personnes intéressées par le sujet à se le procurer et le lire.
Je voudrais aborder quelques points et surtout traiter une question qui, si elle est évoquée, ne me semble pas réellement traitée sur le fond : comment vaincre l’extrême droite et le fascisme ?
Tout d’abord, et avec raison, le livre ne sonne pas le tocsin ni le glas en surestimant le problème, rappelant qu’au plus haut point électoral, l’extrême droite (toute confondue) représente 40 % des voix et 20 % des électeurs. Ce n’est pas un ouvrage qui fait peur, mais qui fait réfléchir. Il constate que la dénonciation des judéo-bolcheviks a été remplacée par les « islamo-gauchistes et wokistes » sur le fond traditionnel de « l’anti-France » de Charles Maurras. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil, avait dit l’Ecclésiaste.
Un constat est fait : la destruction des forces productives ; en premier lieu, la principale force de production reste le travailleur salarié qui vend sa force de travail (les augustes fadaises sur « le travail n’est pas une marchandise » doivent être rangées au magasin des accessoires des Folies Bergères), or la désindustrialisation et le précariat généralisé ont porté un rude coup à la représentation politique du prolétariat. Pour autant, la fracture de classes demeure.
Les véritables clivages
Le vote pour Jean-Luc Mélenchon est le premier dans la catégorie des salaires de moins de 900 €, alors que celui pour Le Pen le devance dans la catégorie comprise entre 1 300 et 1 900 €, c’est-à-dire une partie de la « classe moyenne » qui, avec les artisans et commerçants, fonde le socle électoral du FN/RN. J.-L. Mélenchon est loin devant chez les chômeurs et les CDD, ainsi que chez les salariés du privé.
La véritable situation est l’installation d‘une fracture nette entre les deux pôles « extrêmes » (même si je récuse ce terme pour la France insoumise), le Centre joue l’arbitre des élégances. La lecture socio-économique n’explique pas tout, la lutte des classes est aussi et surtout « politique ».
Cela veut dire qu’un gigantesque affrontement se prépare entre les classes, et que les aléatoires manœuvres macrono-lepenistes n’empêcheront pas l’inéluctable. Il est clairement établi par l’ouvrage que le « premier parti des ouvriers » est l’abstention et non le RN.
Sont aussi analysées les fractures dans le monde du capital où les principaux appuis du RN se trouvent dans l’économie alternative et certains médias mainstream. Il y a de même une analyse de l’extrême droite dans les forces de répression dont la police, ce qui là aussi est logique (le maintien de l’ordre est celui de l’ordre bourgeois, ce qui est le fondement même du fascisme) et range aussi au magasin des accessoires les augustes fadaises sur la « police républicaine ».
Ces données vous indiquent déjà, il me semble, tout l’intérêt de lire cet ouvrage. Bien sûr est pointé le rôle des médias dans l’extrême-droitisation, non pas de la société, mais dans certains cercles dirigeants. Pour cela, je vous invite à lire l’étude faite par l’IRELP de l’ouvrage de Vincent Tiberj, La droitisation française, Mythe et réalités, qui est éclairant sur ce sujet. Il est indiqué que, contrairement à une idée reçue, les médias qui investissent dans l’extrême droite et la promotionnent sont largement déficitaires, ce qui est un signe intéressant pour juger de l’extrême-droitisation de la société.
Un autre sujet est abordé qui mérite discussion : la progression de l’extrême droite est-elle due à l’absorption de son idéologie par la population et faudrait-il combattre les idées des fascistes ? Sur ce sujet, je vous renvoie aussi à la lecture de mon article « Combattre les idées de l’extrême droite : Oxymore ou pléonasme ? » dans La Raison de septembre 2024. Comme l’indique l’ouvrage de Robert-Olivier Paxton, Le fascisme en action, il est d’abord action avant d’être idée. Mussolini a pris le pouvoir sans jamais avoir élaboré le moindre programme écrit. L’action du fascisme est de détruire le mouvement ouvrier organisé, le reste n’est qu’adaptation aux contingences du moment et en aucun cas l’application d‘une idéologie. Au début n’était pas le verbe, mais l’action.
Alors comment vaincre le fascisme ?
Cette question est souvent posée, mais sans réellement apporter une vraie réponse. Il est normal de revenir sur ce qui s’est passé en 1933 en Allemagne et en 1934 en France. Dans le premier cas, c’est la division ; organisée par le très stalinien KPD (Parti communiste allemand) usurpant le crédit de 1917 contre le SPD (Parti socialiste allemand), car les masses n’ont pu influer grandement, du fait d’une immense répression, pour le désir d’unité pourtant si fort ; et qui a permis à Hitler de prendre le pouvoir.
En France, les masses ont imposé « l’unité d’action » au non moins très stalinien PCF, ce qui a barré la route au fascisme, au moins pour un temps.
Mais la solution aujourd’hui est-elle de répéter cela comme un mantra qui réglerait derechef le problème ? Il est utile de ressortir les grands textes politiques de l’époque, de les lire, mais surtout de les comprendre dans leurs finalités. Il faudrait alors surtout analyser et comparer ce qu’étaient le PS et le PCF à l’époque et aujourd’hui pour voir que l’union de ces partis politiques ne réglerait rien, au vu de leurs places et de ce qu’ils ont comme « programmes » : la soumission à la Ve République (surtout pas de destitution de Macron !), à l’économie de marché, au capital financier, à l’Union européenne, et à « leur sainte mère l’Église ».
La solution est donc ailleurs, d’abord dans ce que dit l’ouvrage de l’institut La Boétie : dans la rupture totale avec le système sur tous les plans. On ne peut pas s’en sortir avec les Institutions de la Ve République qui est le fumier et le terreau qui font prospérer l’extrême droite.
La Fédération nationale de la Libre Pensée a rendu publique une Déclaration sur l’extrême droite le 4 novembre 2024 dans laquelle elle apporte une possible solution :
La question est de donner à la République, à toute la République, dans toute son étendue et dans toute sa profondeur, son plein sens social notamment par les services publics puissants et efficaces. Étymologiquement, la République, c’est la res publica (la chose qui appartient à tout le monde).
Actuellement, la République appartient à bien peu. Il faut reconquérir la République. En faire une vraie République sociale. Sans contenu social, toute lutte contre l’extrême droite est, dans le meilleur des cas, une posture.
Reconquérir la République, c’est notamment un système de soins et de santé pleinement républicain sur tout le territoire, c’est une Education pleinement nationale tournant le dos au séparatisme des riches, c’est un système de transports efficace et couvrant l’ensemble du territoire républicain, c’est l’abrogation des lois discriminatoires, racistes et xénophobes divisant les citoyens et les citoyennes, entre autres.
C’est aussi une question politique essentielle : la Ve République, par son viol permanent des élections, de la démocratie, du simple bon sens, favorise l’extrême droite.
Combattre l’extrême droite et la Macronie qui la nourrit, c’est donner la parole au peuple avec une Assemblée constituante.
Reconquérir la République, socialement et politiquement !
Pour écraser l’extrême droite : Constituante élue et souveraine !