Des organisations juives du monde entier condamnent la résolution parlementaire allemande sur l’antisémitisme
TRIBUNE. Des organisations juives de 18 pays, opposées au génocide en cours en Palestine, expriment leur indignation face à la résolution adoptée par le Bundestag allemand le 7 novembre.
- Antisémitisme, Tribune libre
Le Bundestag (la Chambre des députés allemands) vient d’adopter à une écrasante majorité une résolution sur l’antisémitisme, rejetant l’antisémitisme sur les migrants présents en Allemagne. Elle a été votée par les partis allant de l’AFD (extrême droite) au SPD (Parti socialiste). Die Linke s’est abstenue, et seule l’Alliance Sarah Wagenknecht (BSW) a voté contre. 18 organisations juives, de différents pays, s’en sont insurgées, dans une tribune publiée notamment par l’organisation allemande Jüdische Stimme für gerechten Frieden in Nahos (Voix juive pour la paix au Proche-Orient). En voici une traduction.
« Nous, organisations juives de 18 pays sur six continents, représentant des membres de divers horizons et traditions juives, exprimons notre indignation et notre condamnation face à la résolution adoptée par le Bundestag allemand le 7 novembre, intitulée Plus jamais ça, c’est maintenant : protéger, préserver et renforcer la vie juive. Le contenu de la résolution ridiculise son propre titre.
Tout en prétendant soutenir “toutes les facettes” de la vie juive, la résolution réduit celle-ci à un seul élément : l’Etat d’Israël. Après un rappel de la responsabilité de l’Allemagne après les crimes de l’Holocauste, le texte passe directement à une référence à l’attaque du 7 octobre 2023 depuis la bande de Gaza, qui est le résultat de décennies de dépossession, d’oppression et d’assassinats de Palestiniens par Israël, et qui a déclenché une offensive génocidaire qui dure maintenant depuis plus d’un an. L’Allemagne a été complice de ce génocide dès le départ en fournissant une aide militaire et politique permanente, devenant le deuxième plus grand fournisseur d’armes d’Israël, et en promettant même son soutien à Israël dans le procès pour génocide engagé par l’Afrique du Sud auprès de la Cour internationale de justice de La Haye.
La résolution réaffirme l’approche adoptée par tous les grands partis depuis le début du génocide, en identifiant l’opposition aux crimes d’Israël comme le principal lieu de l’antisémitisme. Cela sert à placer les migrants et les réfugiés, en particulier les Arabes et les musulmans, sous une suspicion particulière d’antisémitisme, tout comme les rares éléments de la gauche politique qui soutiennent leurs droits.
Dans ce contexte, il est cohérent que les partis soi-disant centristes aient été soutenus avec enthousiasme par le parti fasciste Alternative pour l’Allemagne (AfD), qui a formulé un plan concret de “remigration” de deux millions de migrants d’Allemagne vers l’Afrique du Nord et qui jouit d’une popularité plus élevée que tout autre parti au pouvoir ; l’AfD a exprimé sa satisfaction face à l’adoption de son expression « antisémitisme importé », une formule visant à minimiser l’antisémitisme des Allemands blancs et à stigmatiser les migrants.
Beatrix von Storch, membre de l’AfD, dont le grand-père était ministre des Finances d’Adolf Hitler, a exprimé sa satisfaction dans un discours. En s’alliant aux fascistes pour soutenir une résolution qui appelle à durcir les règles en matière d’immigration et de citoyenneté basées sur les attitudes envers Israël, tous les principaux partis parlementaires ont clairement signalé leur engagement en faveur de déportations massives et d’un racisme de plus en plus normalisé.
Bien que les plus vulnérables aux politiques affirmées et exigées par cette résolution soient les migrants de couleur et les réfugiés, son cynisme dans l’instrumentalisation de l’antisémitisme prend aussi en otage tous les Juifs, dont la sécurité est utilisée comme prétexte pour persécuter d’autres minorités.
Nous rejetons l’amalgame de notre identité avec l’idéologie coloniale de peuplement du sionisme et les actions génocidaires d’Israël, que nous condamnons aussi fermement que les Palestiniens qu’Israël opprime et détruit, avec lesquels nous restons solidaires. Cet amalgame est en lui-même un antisémite.
Comme dans les résolutions et déclarations précédentes, la définition opérationnelle de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) est considérée comme la norme pour définir l’antisémitisme. Les écrits de nombreux universitaires critiquant cette définition sont trop nombreux pour être énumérés, et même l’un de ses principaux auteurs, Kenneth Stern, a exprimé sa consternation quant à son utilisation pour étouffer l’opposition aux politiques israéliennes. De même, des experts juridiques, culturels et universitaires ont mis en garde contre cette résolution. Et, comme la fameuse résolution anti-BDS de 2019 du Bundestag, cette nouvelle résolution exploite son statut de déclaration non contraignante pour formuler des demandes qui seraient manifestement anticonstitutionnelles sous forme législative. Comme l’a démontré la résolution de 2019, l’obéissance répressive des institutions allemandes est suffisante pour transformer même un texte sans force légale en une loi de facto, en s’appuyant sur l’effet dissuasif lié à toute accusation potentielle d’antisémitisme. Et alors que cette résolution appelait à combattre le mouvement de boycott, la présente vise à l’interdire.
Bien qu’elle prétende que la liberté d’expression, d’art et de science doit être protégée, la résolution ouvre la voie au renforcement de la répression contre ces libertés, déjà très répandue depuis octobre 2023.
Tous les grands partis se déclarent désormais favorables à l’arrêt du financement de tout projet remettant en question le consensus pro-israélien et à faire taire, dissuader, licencier, voire expulser toute personne associée à de telles activités. La centralité d’un tel financement donne à l’État un immense pouvoir de censure, menant inévitablement à une autocensure accrue de ceux qui souhaitent éviter la répression.
Compte tenu du glissement à droite de la société et de la politique allemande, il ne faudra pas longtemps pour que de tels outils tombent entre les mains des fascistes. Nous voyons déjà l’extrême droite utiliser cyniquement le philosémitisme (qui est en soi un phénomène raciste) comme couverture pour le racisme, et nous savons trop bien que ceux qui cherchent à expulser les musulmans ne tarderont pas à faire de même avec les Juifs. Notre solidarité avec les Palestiniens nous expose déjà à des violences policières, et l’antisémitisme de ceux qui voudraient nous forcer à être sionistes se mêle parfaitement à celui de ceux qui voudraient nous mettre en camps de concentration.
Au lieu d’unir la société dans la lutte contre toutes les discriminations, cette résolution divise les minorités en se concentrant uniquement sur une d’entre elles. Mais la résolution actuelle va bien plus loin, exigeant que l’ensemble de la société allemande accepte le soutien de l’État à Israël et ses innombrables crimes documentés, et que ceux qui résistent à cette doctrine de génocide soient punis par tous les moyens disponibles, bien que leur position ne fasse que refléter le droit international.
L’appel “plus jamais ça” devait être un avertissement contre les crimes mêmes perpétrés par Israël en Palestine ; cette résolution le profane en l’utilisant pour un agenda raciste qui favorise, au lieu de prévenir, l’antisémitisme, et qui nuit aux Juifs ainsi qu’aux autres minorités. Elle doit être combattue par tous les moyens possibles. »
SignatairesA Different Jewish Voice (Pays-Bas) ; Agrupación mexicana de judíxs interdependientes (Mexique) ; Alternative Jewish Voices of Aotearoa (Nouvelle-Zélande) ; Antizionist Jewish Alliance in Belgium – AJAB (Belgique) ; Articulação Judaica de Esquerda (Brésil) ; Boycott from Within (Palestine/Israël) ; Dayenu – New Zealand Jews Against Occupation ; Een Andere Joodse Stem (Belgique) ; Erev Rav (Pays-Bas) ; European Jews for Palestine ; Global Jews for Palestine ; International Jewish Anti-Zionist Network (Canada, Royaume-Uni) ; Israelis Against Apartheid (Israël/Palestine) ; Jewish Call for Peace (Luxembourg) ; Jewish Network for Palestine (Royaume-Uni) ; Jewish Voice for Labour (Royaume-Uni) ; Jewish Voice for Peace (États-Unis) ; Jews for Palestine (Irlande) ; Jews Say No! (États-Unis) ; Jøder for Retfærdig Fred (af 5784) (Danemark) ; Judeobolschewiener:innen (Autriche) ; Judeus pela Paz e Justiça (Portugal) ; Judies por una Palestina libre (Mexique) ; Jüdische Stimme für Demokratie und Gerechtigkeit in Israel/Palästina (Suisse) ; Jüdische Stimme für gerechten Frieden in Nahost (Allemagne) ; Junts – Associació Catalana de Judeus i Palestins (Espagne) ; MARAD, collectif juif decolonial (Suisse) ; Sh’ma Koleinu – Alternative Jewish Voices (Aotearoa/Nouvelle-Zélande) ; Tsedek! (France) ; South African Jews for a Free Palestine ; Union juive française pour la paix (France). |