Le combat de Pierre Lambert pour le « non » au référendum de 1969
« Le corporatisme signifie que nous, organisations syndicales, enverrions des représentants pour faire la loi, c’est-à-dire une loi qui est celle du capital », déclarait Pierre Lambert contre le référendum organisé par De Gaule qui voulait faire siéger les syndicats... au Sénat !
- IVe Internationale, Pierre Lambert, Ve République

Présentation par Pierre Compain Peut-être jamais n’aura-t-il été plus utile que maintenant de se remémorer et de s’approprier l’apport théorique de Pierre Lambert |
Le combat pour le « non » au référendum de 1969
Par Jean-Marc Schiappa
S’il est un apprentissage à tirer du long parcours militant de Pierre Lambert, c’est bien qu’une politique révolutionnaire s’inscrit dans les conditions réelles de la lutte des classes. Les militants révolutionnaires n’ont pas à trier entre les formes, les chemins du combat contre l’exploitation (élections, grèves, manifestations, mouvements politiques, mouvements spontanés…).
Nous agissons avec notre classe, avec la jeunesse et tout le peuple travailleur sans nous soucier de respecter une quelconque orthodoxie et avec une confiance sans faille dans les capacités de notre classe à avancer, si les conditions sont réunies, vers son émancipation.
Les exemples pouvant illustrer cette ligne de conduite sont nombreux, nous en avons choisi un qui illustre bien la méthode de Pierre Lambert soucieux d’aider sa classe par tous les moyens. Le choix n’est pas fortuit : il concerne l’indépendance des syndicats par rapport à tous les États. Question brûlante s’il en est au moment où nous écrivons.
Nous sommes en 1969, un an après Mai 68, la plus grande grève générale que le pays ait jamais connue. Ce mouvement qui a vu la France entière bloquée, industrie, transports, administration, écoles, lycées, université, hôpitaux, etc., s’est soldé par un échec sur le plan de la lutte des classes avec des avancées sociales minimes.
De Gaulle a lancé un appel aux directions du PCF et du PS en décrétant la dissolution de l’Assemblée nationale et l’organisation d’élections législatives. Au nom de la « démocratie », ces partis font rentrer les grévistes, non sans difficulté. De Gaulle et son parti enregistreront une victoire électorale en faisant élire une Assemblée nationale « Bleu CRS » avec une majorité absolue de 377 députés sur les 477 qui y siègent.
De Gaulle voulait faire siéger les syndicats au Sénat
Mais l’inventeur du « coup d’État permanent » ne se satisfait pas de ce succès qui lui paraît fragile. Entre 1968 et 1969, les manifestations ne se déroulent-elles pas sur le mot d’ordre « 10 ans ça suffit, 11 ans c’est trop ! »
Il décide de mettre en jeu sa place à la tête de l’État à travers un référendum. Il demande aux Français de voter pour ou contre une réforme constitutionnelle qui mettrait, entre autres, en péril l’indépendance syndicale en proposant la fusion du Sénat avec le Conseil économique et social, en une assemblée où siégeraient ès qualités les représentants des organisations syndicales ouvrières et patronales, devenant ainsi les coauteurs des lois qui vont régir le pays, ce qui en termes simples s’appelle le corporatisme.
Des milliers de militants syndicaux et autres pressentent les dangers mortels que comporte ce projet de « nouveau régime » et cherchent la voie de l’unité pour la contrecarrer. Pierre Lambert lance l’OCI dans une campagne politique pour le double « non » : non à de Gaulle et non au corporatisme.
Il intervient dans le congrès de Force ouvrière qui se tient au mois de mars 1969, afin que l’organisation syndicale prenne une position claire avec ces mots : « Le corporatisme signifie que nous, organisations syndicales, nous enverrions des représentants pour faire la loi, c’est-à-dire, une loi qui est celle du capital, celle d’un gouvernement qui n’est pas le nôtre et qui ne peut pas être le nôtre. Nous serions obligés, sous l’autorité du préfet de police, de faire la loi et de la faire respecter (…), nous serions ravalés à devenir des auxiliaires de la police et de l’État ».
D’autres interviendront en ce sens dans ce congrès, en particulier le camarade Alexandre Hébert, responsable de l’union départementale FO de Loire-Atlantique et membre éminent du courant anarcho-syndicaliste qui combat dans les organisations syndicales ouvrières.
La majorité du congrès s’engage pour le « non ». La position de Force ouvrière entraîne celle de toutes les autres organisations syndicales. Le référendum connaît une participation record de 80 % du corps électoral, le « non » l’emporte avec 52,41 %.
De Gaulle démissionne et le projet d’intégration des syndicats au Sénat est abandonné. C’est une victoire majeure pour la classe ouvrière qui n’avait pas pu obtenir le départ du général malgré la puissance de la grève de mai 1968.
La Ve République n’en finit pas d’agoniser et ses dirigeants tentent encore et encore, l’actualité le montre, d’appliquer la méthode de leur maître, la seule qui pourrait les sauver : parvenir à atteler les organisations ouvrières au char de l’État.
