En Serbie, des assemblées dans diverses communes : les étudiants appellent à s’auto-organiser localement

300 000 manifestants à Belgrade, le 15 mars : le récit de deux militants engagés dans la mobilisation.

Une foule immense venue de tout le pays s’est rassemblée devant le Parlement à Belgrade, le 15 mars. (AFP)
Par Interview
Publié le 30 mars 2025
Temps de lecture : 6 minutes

Pourquoi les étudiants ont-ils décidé de manifester le 15 mars à Belgrade ?

A. : Les étudiants de Belgrade ont d’abord marché jusqu’à Novi Sad, puis jusqu’à Kragujevac et Nis. Le 15 février, il y a eu une manifestation massive (100 000 personnes) à Nis, à laquelle ont participé des personnes venues de toute la Serbie, y compris des étudiants qui avaient marché pendant plusieurs jours, parcourant parfois plus de 200 kilomètres.

La manifestation du 15 mars à Belgrade visait à reproduire un rassemblement d’une telle envergure, avec des personnes venues de toute la Serbie. Il est important de souligner que les marches estudiantines diffusent l’esprit de rébellion à ceux qui n’ont pas accès à des informations précises sur le mouvement étudiant. Les médias d’Etat serbes et toutes les chaînes nationales de télévision ne font pas du journalisme mais de la propagande en faveur du gouvernement actuel.

Ces médias présentent les étudiants comme des mercenaires étrangers, des plénums bolcheviques, voire des fascistes.

Les habitants des zones rurales, qui ne reçoivent que ce type d’informations, ont l’occasion de rencontrer et de discuter avec les étudiants qui organisent les blocus lorsqu’ils traversent leurs villages et leurs villes.

Les partis de l’opposition parlementaire voudraient un gouvernement « d’experts » qui préparerait, sous six mois, de nouvelles élections. Les étudiants n’appellent pas à la destitution de Vucic, car cela impliquerait que l’opposition prenne le pouvoir, ce qui signifierait que l’opposition profiterait de la vague de manifestations étudiantes pour prendre le contrôle. Les étudiants ne veulent ni de Vucic ni de l’opposition.

Qu’a fait le pouvoir face à l’organisation de la marche ?

B. : Le 15 mars, les services de bus ont été suspendus, ainsi que les services ferroviaires, sous prétexte d’une alerte à la bombe. La police a arrêté les voitures sur les routes menant à Belgrade et les a obligées à subir des inspections techniques d’urgence.

La veille de la manifestation, Vucic a augmenté les salaires des policiers ayant fait des études secondaires (ceux qui sont dans la rue). Quelques jours avant la manifestation, le gouvernement a installé un camp de tentes dans le parc situé en face du parlement, destination prévue de la manifestation. Le camp était censé être rempli d’étudiants qui demandaient à retourner en classe mais le gouvernement n’a même pas pu rassembler 50 vrais étudiants, alors il a eu recours à de faux étudiants, y compris des membres de l’Assemblée nationale, des employés du secteur public, des responsables du parti, des maires et même d’anciens membres de l’unité d’opérations spéciales (JSO), qui a été dissoute en 2003 après que ses officiers ont été impliqués dans l’assassinat du Premier ministre Zoran Dindic.

La JSO était connue pour ses liens avec le monde criminel et plusieurs criminels connus étaient également présents au camp. Le gouvernement a garé des tracteurs près du camp et du parlement la nuit précédant la manifestation, dans l’intention de provoquer des incidents. Des blocs de béton et des briques ont également été placés autour du camp et derrière le parlement sous prétexte de reconstruire les rues. Tout cela avait pour but d’intimider les gens pour qu’ils ne participent pas à la manifestation et de provoquer des incidents pendant celle-ci.

A. : La manifestation a été si massive que le chemin menant de la scène (lieu pour converger) au Parlement était rempli de monde, ce qui a eu pour effet d’amener la manifestation au Parlement et au parc situé en face.

Y a-t-il des plénums au-delà des universités ?

A. : Des plénums ont déjà commencé à s’organiser dans diverses communes, villages et communautés locales. Les étudiants ont publiquement appelé les gens à s’auto-organiser localement et à travailler ensemble avec les étudiants à partir de maintenant.

B. : Il y a eu des manifestations devant le Parlement, et devant les parlements des villes. Dans un certain nombre d’endroits la police a interagi avec les manifestants, et des gens ont pu rentrer et se présenter devant les assemblées municipales pour remettre leurs revendications. Dans une municipalité, il y a une vingtaine de jours, les habitants sont entrés pour empêcher l’exploitation du lithium. Dans une autre municipalité, les habitants sont venus demander une baisse des impôts et que les aides promises soient enfin versées. Après sept jours, les revendications ont été satisfaites. Dans plusieurs villes, les partisans du parti de Vucic, ne peuvent se rendre dans les assemblées municipales que sous escorte policière. Dans une ville, les manifestants ont lancé des œufs lors de la réunion de l’assemblée municipale, car la municipalité avait fait venir de faux étudiants. Dans une autre ville, la population a demandé la démission du maire car celui-ci avait tenu des propos pour salir les étudiants. Dans les mines de Kobara, près de Belgrade, les syndicats qui existaient étaient gérés par le gouvernement. Les mineurs ont créé un nouveau syndicat, qui recueille des adhésions. Alors la direction des mines a licencié trois personnes.

A Belgrade, les travailleurs des bus, des tramways, des trolleys, se battent contre la privatisation du système des transports. La plus grosse partie est déjà privatisée, et maintenant le gouvernement veut privatiser les trolleys et récupérer le bâtiment servant au dépôt.

Il y a un mouvement important et les conducteurs veulent avoir accès à tous les documents sur cette vente. Après des manifs des salariés des transports, les étudiants se sont mis à travailler étroitement avec les conducteurs, pour trouver les moyens de renationaliser. Il y a donc un groupe de travail en commun avec des travailleurs des transports, des syndicalistes et des étudiants.

Les étudiants se méfient des capitales étrangères, pourquoi ?

A. : Les étudiants s’opposent publiquement à ces projets qui enrichissent l’élite politique et blanchissent l’argent du budget de l’Etat vers des mains privées, ils s’opposent à l’exploitation du lithium, et à la privatisation des pharmacies et de l’EPS (Industrie de l’énergie électrique de Serbie). La Serbie a connu plusieurs expériences très mauvaises avec l’Otan, en particulier les bombardements de l’Otan sur la Serbie en 1999 – qui avaient commencé un 24 mars en faisant plus de 400 morts.

L’opinion publique ne veut pas que la Serbie entre dans l’Otan. Mais des manœuvres militaires communes sont organisées entre les troupes de l’Otan et l’armée serbe. Déjà, le budget militaire représente 2,8 % du PIB. En 1999, le bâtiment de l’état-major, à Belgrade, avait été en partie détruit par les bombardements de l’Otan. Ce bâtiment est devenu un symbole, et maintenant il est question de le céder à Tramco qui appartient à un cousin de Trump. Les étudiants s’opposent à cette cession. Les étudiants appellent à une manifestation devant ce bâtiment à la date anniversaire du 24 mars.

Propos recueillis le 19 mars.

« Ce qui se passe en Serbie déborde maintenant dans tous les Balkans »

A. : Ce qui se passe en Serbie déborde maintenant dans tous les Balkans : nous recevons des soutiens de Macédoine, de Croatie, de Slovénie, de Bosnie. Il y a même eu une manifestation en soutien en Hongrie. Il y a eu les manifestations en Grèce. Dans les autres pays des Balkans, souvent les rassemblements reprennent l’initiative des quinze minutes de silence pour honorer les quinze morts de Novi Sad.

Une tragédie vient d’avoir lieu dans la ville de Kotchani en Macédoine du Nord. Un incendie dans une boîte de nuit a fait 59 morts et 162 blessés, principalement des jeunes, dans la nuit du samedi 15 mars au dimanche. Ce club opérait sans licence. Un ex-ministre était responsable et a été arrêté. Il y a eu des manifestations en Macédoine (lire encadré ci-contre).

Et les étudiants serbes, dès lundi se sont rendus devant l’ambassade de Macédoine à Belgrade. Ils ont observé autant de minutes de silence que le nombre de morts de Kotchani et de Novi Sad. Les étudiants de Macédoine commencent à constituer des plénums.

B. : En Croatie et en Slovénie il y a des manifestations d’enseignants. En Bosnie il y a eu des manifestations étudiantes. Dès qu’ils sont en danger, les gouvernements des pays des Balkans utilisent le nationalisme. Mais le gouvernement du Kosovo soutient le gouvernement serbe. A chaque élection, ceux qui sont au pouvoir créent des situations d’affrontement nationaliste. Vucic fait tout pour susciter des manifestations nationalistes en espérant pouvoir s’y montrer. Il a essayé à Novi Sad mais cela a échoué.

Et c’est la première fois en Serbie que des étudiants musulmans et non musulmans protestent ensemble. Officiellement, le gouvernement a démissionné il y a deux mois. Mais le Parlement n’a pas accepté la démission. Ici on s’attend à la démission du gouvernement dans les jours qui viennent. On a même vu des hauts fonctionnaires du parti présidentiel rejoindre les manifestations. Le pouvoir commence à être détruit de l’intérieur.

Macédoine du nord

Nombreuses manifestations d’étudiants

La boîte de nuit accueillait plus du double de sa capacité au moment de l’incendie. La licence qui datait de 2024 avait été falsifiée et acquise par la corruption. Un rassemblement a eu lieu à Kotchani, le 17 mars pour exiger la « démission collective immédiate de tous les responsables politiques ».
La ministre de l’Education a voulu s’adresser aux étudiants de l’université de Skopje, la capitale, son discours a été interrompu par les cris des étudiants.

Le 18 mars des manifestations ont eu lieu dans de nombreuses villes, Bitola, Strumica, Ohrid, et dans la capitale Skopje. On pouvait lire sur les pancartes « Soit on émigre, soit on brûle », « Votre système tue l’avenir de toute une génération ».