Togo : la police abat sept manifestants

Des manifestations pour « le départ immédiat de ce régime et l’avènement de l’alternance démocratique réelle, et tant voulue, au Togo » ont eu lieu à nouveau du 26 au 28 juin.

La gendarmerie et la police ont été déployés en force dans la capitale togolaise et ont mortellement réprimé les manifestants (photo AFP).
Par correspondant
Publié le 6 juillet 2025
Temps de lecture : 4 minutes

Dénonciations et condamnations unanimes, au Togo, des organisations politiques, associations de défense des droits, conférence des évêques, etc. de la violente répression par les forces de l’ordre et les milices liées au pouvoir, des manifestations déclenchées contre le gouvernement au début du mois (voir Informations ouvrières n° 863) et qui se sont poursuivies, du 26 au 28 juin derniers, à Lomé.

Le bilan des victimes atteste de l’extrême brutalité de la répression : 7 morts dénombrés, dont des corps retrouvés dans la lagune, des centaines de blessés dont des cas graves et des arrestations, des perquisitions « sauvages » de domiciles, des enlèvements, des disparus…

Le gouvernement nie les violences exercées sur les populations et qualifie de « dérapage » le message de Jean-Luc Mélenchon exprimant le 30 juin sa solidarité avec le peuple togolais « qui veut la démocratie, la liberté et la fin de la dictature ». Les médias nationaux criminalisent les manifestants, RFI et France 24 sont interdits pour trois mois depuis le 16 juin par la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC)…

« Face à la situation politique délétère », et rappelant le lourd bilan des victimes de la répression d’État, « le groupe des blogueurs et des artistes », lié aux responsables du déclenchement de la mobilisation actuelle de la jeunesse, lance un « appel solennel » à « toutes les forces vives de la nation », pour une mobilisation générale exigeant, en descendant pacifiquement dans la rue, « le départ immédiat de ce régime et l’avènement de l’alternance démocratique réelle, et tant voulue, au Togo. »

Le « coup d’État constitutionnel », perpétré à la fin du premier trimestre de l’année dernière et instaurant un changement de régime dont le mobile est la consolidation pour une durée illimitée du pouvoir transmis du père au fils Gnassingbé, ce coup de force du parti-État Unir, ne passe décidément pas au Togo : c’est la fin de ce pouvoir dynastique qu’exige l’opinion largement majoritaire au sein du peuple, au sein des organisations politiques et associatives, au sein d’un peuple enfin, qui, en 1992, s’est prononcé à plus de 97 pour cent par référendum, pour la Constitution de la IVe République.

Un bouleversement sociopolitique se prépare au Togo dans les prochaines périodes : la révolte de la jeunesse n’est que l’amorce de l’immense mouvement du peuple pour mettre fin à six décennies bientôt de gabegie, de corruption généralisée et de gouvernements qui, par une soumission aux diktats des institutions économiques et financières de l’impérialisme, ont, avec constance, appliqué des mesures antisociales régressives, entraînant la détérioration du tissu économique national, le chômage, la généralisation de la pauvreté et l’injustice sociale… Sur tous les plans, politique, économique, environnemental, culturel, entre le peuple et les institutions qui prétendent encore le gouverner, le divorce est consommé.

Témoignage d’un syndicaliste

« Ce qui révolte les jeunes de manière absolue : depuis 60 ans rien n’a changé. Avec le père (du président actuel) puis avec le fils. Nous n’avons aucune visibilité sur cet avenir.

C’est pour ça que nous disons : qu’ils s’en aillent !

Il n’y a pas d’emploi. Les gens vont chercher du riz avarié dans des dépotoirs. Les salaires sont dérisoires. La hausse du smic provoque un tassement des salaires qui étaient au-dessus. Les pensions n’augmentent pas.

Il y a un silence radio des organisations syndicales. Sauf un syndicat de la santé qui a menacé de faire grève pour le libération d un infirmier, arrêté devant son hôpital. Il a été libéré tout de suite ! Nous sommes en train de discuter.

Il faut mettre en jeu la solidarité syndicale ou se conformer à notre règlement. Ici, six centrales sur les sept sont regroupées en collectif et avant toute intervention syndicale, il faut une discussion préalable avec toutes pour qu’elles disent si ça leur agrée ou non. Tout ça favorise évidemment le dilatoire…

La révision scélérate et liberticide du Code du travail s’explique aujourd’hui, entre autres comme une préparation du passage en force que sont la révision constitutionnelle et la proclamation de la “Ve République”. C’était pour rogner les ailes aux syndicats à l’instar des organisations démocratiques. Mais on va continuer la discussion pour y aller, dans le sens de la démocratie. »

« Ensemble, soutenons la jeunesse »

Extraits de la déclaration de « Touche pas à ma Constitution », Lomé, 24 juin

« Ce que nous exigeons fermement :

1. La libération immédiate de tous les détenus politiques. Tous. Sans exception. Sans aucune condition.

2. Le respect des libertés publiques. Stop aux arrestations arbitraires. Stop à la répression et aux tortures. Les Togolais ont le droit de parler, de se rassembler et de rêver.

3. Une justice sociale concrète. Emplois pour les jeunes. Réduction du coût de la vie. Transparence dans la gestion publique. Services publics dignes de ce nom.

4. La fin définitive de la dictature.

Ces exigences ne sont pas négociables. Elles sont le minimum vital pour un vivre-ensemble harmonieux, avec des valeurs de démocratie. »

Bilan tragique de trois jours de répression aveugle

Extraits de la conférence de presse, « Touche pas à ma Constitution », Lomé, lundi 30 juin

« Du 26 au 28 juin 2025, le régime de Faure Gnassingbé a transformé les rues de Lomé en champ de bataille. Dans les quartiers de Bè, Tokoin, Agoè, Adakpamé et Adidogomé, nos concitoyens désarmés ont subi l’arsenal répressif d’un pouvoir aux abois. (…)

Le bilan est accablant :

– Sept morts, dont des corps retrouvés dans les lagunes et un lac de Lomé ;

– des centaines de blessés dont plusieurs graves ;

– environ 100 arrestations arbitraires, dont certains ont été libérés, et des disparus ;

– des perquisitions et enlèvements menés par des milices en civil dans les domiciles (…).

Nos jeunes ont écrit une page d’héroïsme. Malgré la faim, malgré le chômage, malgré la peur, ils ont dressé des barricades, non pas de haine, mais d’espoir pour barrer la route à la misère.

Ils ont scandé non pas des slogans de division, mais des appels à la liberté, pour la cohésion nationale. Ils ont subi les forces de l’oppression avec pour seuls outils leur courage et leur soif de justice.

Nos mères, nos pères, nos aînés ont accompagné cette jeunesse dans sa quête légitime. Les évêques, les universitaires, les professionnels de la santé, les syndicalistes, la société civile – tous ont dit NON au coup d’État constitutionnel d’avril 2024 [ce qui] prouve que l’âme togolaise reste forte et insoumise après 58 ans d’un règne dynastique sans pitié.

Faure Gnassingbé veut asseoir sa Ve République par la force. Pour cela, il organise des élections frauduleuses comme d’habitude, et pendant ce temps, le sang chaud de nos compatriotes sauvagement assassinés coule encore sur la terre poussiéreuse.

Le front « Touche pas à ma Constitution » appelle solennellement les partis d’opposition engagés dans ces élections de sang, à se retirer sans délai de ce processus qui tue nos jeunes et endeuille nos familles. Ces élections sont les plus ignominieuses de ces dernières décennies.

Se retirer de ce processus est une des meilleures façons de rendre hommage à nos martyrs. »