Chili, 11 septembre 1973 : le coup d’État de Pinochet

Au lendemain du coup d’État au Chili du général Pinochet le 11 septembre 1973, la section française de la IVe Internationale (OCI à l’époque), tenait un meeting le 21 septembre 1973 dans la grande salle de la Mutualité à Paris. Nous en publions ici des extraits.

Les mineurs chiliens manifestent pour une augmentation de leur salaire dans les rues de Santiago le 20 juin 1973. (AFP)
Par Pierre Lambert
Publié le 29 juillet 2025
Temps de lecture : 5 minutes

Au lendemain du coup d’État au Chili du général Pinochet le 11 septembre 1973, la section française de la IVe Internationale (OCI à l’époque), tenait un meeting le 21 septembre 1973 dans la grande salle de la Mutualité à Paris.

C’est Pierre Lambert, au nom du comité central de l’OCI, qui y présenta le rapport. Celui-ci figure intégralement dans le numéro 562 de La Vérité d’octobre 1973, sous le titre « Le Chili et les problèmes de la révolution prolétarienne ». Nous en publions ici deux extraits.

Collaboration ou rupture avec la bourgeoisie

Écoutez camarades ce que dit Le Monde du 18 septembre 1973 : “Les démocrates-chrétiens du Chili commencent à protester contre les méthodes brutales employées par les militaires.

Camarades, ces démocrates-chrétiens, qui sont-ils ? L’ancien candidat à la présidence de la République, M. Radomiro Tomic, a voté avec le Parti démocrate-chrétien de M. Frei l’inconstitutionnalité du gouvernement Allende (ne l’oublions pas ! c’est ce vote que mettent à profit Pinochet et ses complices pour prétendre à la “légalité” du coup d’État)… (…).

Au Nouvel Observateur (…), le 13 mars 1973, un certain Laffonques écrit : “L’Unité populaire sort ragaillardie des élections du 4 mars. Les tenants de la droite n’ont décidément pas de chance. La question essentielle aujourd’hui est donc, pour l’Unité populaire, de réussir enfin à se mettre d’accord sur une ligne politique de combat et de s’y tenir, en donnant de plus en plus concrètement « le pouvoir aux travailleurs », tout en esquivant, grâce aux vertus du système présidentiel, les crocs-en-jambe d’un Parlement encore hostile à 54,7 %. Cette fois, c’est possible – d’autant que le courant « péruvien » qui anime les secteurs progressistes de l’armée chilienne ne s’y opposera pas !

Gardez-nous de nos amis !

Ce même monsieur Laffonques, le 9 juillet 1973, après l’échec de la première tentative de putsch du 29 juin, écrit : “Pourquoi a-t-elle échoué ? L’armée chilienne constitutionnelle a soutenu Allende.

Tous, tous, à l’échelle internationale, ont ligué leurs forces pour endormir le prolétariat chilien, pour lui interdire de comprendre que l’armée “constitutionnelle” était l’armée de la bourgeoisie et des propriétaires fonciers. (…)

Toujours rassuré, alors qu’il ne fallait pas être grand clerc pour savoir que, depuis des mois et des mois et nous l’expliquions – dans Informations ouvrières et dans La Vérité – le coup d’État se préparait. Il ne fallait pas être grand clerc – il fallait simplement ne pas être partisan d’une politique de collaboration de classes – pour refuser de croire ces contes à dormir debout.

Mais voici venu et passé le 11 septembre, Le Nouvel Observateur écrit le 17 : “En même temps, l’action violemment répressive des forces armées contre le peuple, la classe ouvrière et les partis de gauche a commencé au début du mois d’août par une perquisition extrêmement brutale des militaires dans une usine de Punta Arenas, qui avait fait un mort et plusieurs blessés. Les militaires utilisaient les prérogatives que leur donnait une « loi de contrôle des armes » votée en octobre 1972, et à laquelle l’exécutif ne s’était pas opposé.

Ainsi, l’armée n’était pas si “progressiste” et constitutionnelle que le prétendait le dénommé Laffonques les 13 mars et 9 juillet 1973 !

Comment gagner ?

Ainsi, selon Le Nouvel Observateur, Allende avait toutes les cartes entre les mains.

Vous voyez ce qu’il en a fait. En octobre 1972, il a accepté une loi dite “de contrôle des armes” qui légalisait les exactions anti-ouvrières de l’armée “constitutionnelle” et “progressiste”, préparant ainsi le coup d’État du 11 septembre. Il ne s’est pas opposé à cette loi et on a expliqué depuis octobre 1972 jusqu’au 9 juillet 1973 et jusqu’au 11 septembre 1973 qu’Allende tenait le bon bout. Il aurait pu gagner. Oui, Allende aurait pu gagner, mais pour prétendre gagner, il aurait fallu qu’il s’appuie sur les masses pour s’opposer à cette loi réactionnaire qui permettait aux fascistes de l’armée de métier d’entrer dans les usines, de désarmer les ouvriers, d’organiser des attentats contre les travailleurs, il aurait fallu que les dirigeants du PC et du PS rompent avec les partis bourgeois, avec la Constitution bourgeoise, avec le régime de la propriété privée des moyens de production, dont l’armée et la police assurent la défense.

Le Nouvel Observateur poursuit : “L’affaire de Punta Arenas a servi de banc d’essai et de prototype à plus de cent interventions de ce genre au cours du mois écoulé. Et au cours de l’une des dernières, lancée quelques jours avant le coup d’État contre la Sumar, entreprise dominée par les socialistes de gauche, la troupe a dû reculer devant le feu des groupes d’autodéfense, la mobilisation des « cordons industriels ».”

C’est clair. Pendant des mois et des mois, ces gens ont soutenu la politique du gouvernement, non seulement ils l’ont appuyé, mais ils l’ont même poussé à droite. Systématiquement, ils ont caché la vérité aux travailleurs français. Ils leur ont menti (…).

Le rôle international du Parti communiste français

Camarades, le 21 septembre, selon l’Humanité, Marchais déclarait : “Nous nous prononçons résolument pour la voie pacifique du passage au socialisme. C’est la voie la moins coûteuse pour la classe ouvrière, pour le peuple et la nation.” 

Je dois ici m’arrêter un instant parce qu’il y a là un jeu qu’il faut démonter. Lénine écrit en septembre 1917 une lettre au comité central du Parti bolchevique dans laquelle figurent ces lignes : “Je propose qu’après le coup d’État de Kornilov qui a raté, après que les mencheviks et les SR ont armé les travailleurs, après que, de ce fait, ils sont dans une situation de rupture avec la bourgeoisie, je propose qu’une délégation du CC aille rencontrer les dirigeants du Parti menchevique et du Parti socialiste-révolutionnaire (je ne sais s’il est temps encore), je propose qu’ils aillent les voir pour leur dire : « Rompez la coalition », « Prenez le pouvoir sur la base des soviets », « Nous nous engageons à lutter pour le pouvoir sur le plan de la démocratie soviétique, à ne jamais prendre les armes contre vous… » ”

Et il ajoutait : “Ce serait là la voie la plus économique, la plus pacifique, vers la révolution prolétarienne. La voie la moins coûteuse.

À un auditeur négligent, Marchais peut paraître répéter Lénine. Mais Marchais ne dit pas du tout la même chose ! Marchais répète ce qu’il a dit au XX e congrès du PCF : “S’agit-il, dans le cadre du Programme commun, d’instaurer le communisme ou même le socialisme ? Il est évident que non. La société socialiste a pour fondement essentiel la propriété collective de l’ensemble des grands moyens de production et d’échange et l’exercice du pouvoir politique par la classe ouvrière en alliance avec d’autres couches de la population laborieuse. Il suffit de prendre connaissance du Programme commun pour constater que sa réalisation n’équivaudrait pas à l’instauration d’un tel régime.

Il ne s’agit pas d’exproprier le capital, il ne s’agit pas de rompre avec la bourgeoisie, c’est donc un véritable tour de passe-passe que d’utiliser ce que Lénine dressait comme une exigence du parti révolutionnaire, l’exigence des masses laborieuses et y compris de celles qui étaient influencées par le menchevisme, l’exigence des travailleurs dans les campagnes, qui voulaient la terre, l’exigence : Rompez la coalition ! Là était la voie, effectivement la plus pacifique, la moins coûteuse, la moins sanglante et c’est sûr, y compris en France, ce serait la voie la moins sanglante.

Les masses responsables ?

Mais alors, camarades, au Chili ce seraient les masses qui porteraient la responsabilité de n’être pas intervenues ? Marchais oublie-t-il que Fajon (dirigeant du PCF, Ndlr) a été en Amérique latine pour les engager à ne pas riposter à la violence de la bourgeoisie ?

Les événements du Chili, affirme Marchais dans la même déclaration, ne sauraient en aucune façon modifier notre stratégie en France… Nous ne considérons pas que c’est fini au Chili, que la droite a gagné et que la gauche est vaincue. Il est scandaleux d’entendre certains soi-disant révolutionnaires considérer que c’est déjà terminé.

Je ne sais pas quels sont ces “soi­-disant révolutionnaires” qui considèrent que “c’est déjà terminé”, mais il est sûr que la résistance héroïque du peuple chilien est là pour témoigner que tout était entre ses mains pour vaincre, que ce qui a manqué, c’est un parti révolutionnaire, et que ceux qui étaient à la direction, quel qu’ait été leur courage personnel, n’ont pas été à la hauteur du courage et de la conscience politique du peuple chilien.

Mais par contre, ceux qui osent écrire aujourd’hui, en substance, qu’ “en France, on fera comme au Chili, et on verra alors qui sera le plus fort” , ceux-là font retomber la responsabilité sur les travailleurs et le peuple chiliens.