Etat Espagnol : « Ce sont nos gouvernements qui sont responsables, ils sont nos propres ennemis ! »
« Passer de 1,3 % à 2,1 % du PIB entre 2024 et 2025 a représenté une augmentation des dépenses militaires de 10,5 milliards d’euros par an. » La parole à Pablo Garcia Cano, membre du conseil fédéral des CCOO Industrie et secrétaire du comité d’entreprise de John Deere à Getafe.
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Tu as signé l’appel « Pas un centime, pas une arme, pas une vie pour la guerre » et tu prépares en Espagne la conférence internationale qui se tiendra à Paris, le 4 octobre1Le 4 octobre, la vieille du meeting contre la guerre, se tiendra une conférence des signataires de l’appel.. Comment envisages-tu la lutte contre la guerre maintenant que ce n’est certainement pas Trump qui apportera la paix mondiale, comme il l’avait promis, notamment pour son élection ?
Le fait que ce soit Netanyahou qui fasse la promotion de Trump au Prix Nobel de la paix en dit long… Je pense que Trump a contradictoirement provoqué au sein de la majorité de
la population une prise de conscience face à la gravité du moment et à la nécessité de prendre parti dans la lutte contre la guerre, quel que soit le pays. L’essentiel est de constater que les gens comprennent de plus en plus que ce sont nos gouvernements qui sont responsables, ils sont nos propres ennemis ! Et que la mobilisation est essentielle pour exiger que les dépenses militaires ne soient pas augmentées, que des troupes ou des ressources de quelque nature que ce soit ne soient pas envoyées, et que toutes les relations avec Israël soient rompues pour mettre fin au génocide palestinien.
L’accélération des mobilisations aux États-Unis est très importante. La lutte contre la guerre, contre la guerre sociale, se déroule également au cœur de l’impérialisme. Les mesures que Trump entend prendre à l’encontre des migrants ainsi que la réduction des emplois publics, les coupes budgétaires dans l’administration, sont brutales, y compris dans des services dédiés à la prévention et à la réponse aux situations d’urgence, ce qui cause d’importants dégâts supplémentaires, abandonnant la population aux fortes pluies et aux ouragans qui ont frappé le Sud du pays il y a quelques semaines.
La Commission européenne a accepté de dépenser 800 milliards pour le réarmement et la préparation à la guerre. Cela nécessite des coupes sociales. Les citoyens et les travailleurs de toute l’Europe doivent et peuvent empêcher cela en se mobilisant contre nos propres gouvernements.
On entend ici et là que Sanchez, en Espagne, tient tête à Trump et, d’une certaine manière, résiste à l’impérialisme. Qu’en penses-tu ?
Il est indéniable que Pedro Sanchez a été le seul dirigeant d’un pays de l’Otan à avoir déclaré qu’il ne se conformerait pas à l’augmentation à 5 % du PIB exigée par Trump pour les dépenses militaires. Cela contraste avec la servilité humiliante des autres présidents et du secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte lui-même, appelant Trump « papa ». Normalement, il n’y a pas de voix discordantes lors de ce type de sommets, et la nature de l’Otan et de l’Union européenne, entités soumises aux diktats des États-Unis, s’est encore illustrée. Mais Sanchez a avancé un argument de poids pour refuser que l’Espagne augmente ses dépenses militaires à 5 % : il a affirmé que cela ne pouvait se faire sans affecter les dépenses sociales de notre pays.
Déjà passer de 1,3 % à 2,1 % du PIB entre 2024 et 2025 a représenté une augmentation des dépenses militaires de 10,5 milliards d’euros par an, soit près de 50 %, pour atteindre un budget militaire annuel d’environ 33 milliards d’euros. On parle de montants complètement choquants !
Or pour y parvenir, les budgets de certains postes ont en réalité déjà été réduits. Par exemple, les allocations chômage n’augmenteront pas de 50 %, pas plus que les aides au logement pour les jeunes, ni les fonds de santé publique. Autre exemple, le fonds d’aide à la dépendance pour les personnes âgées : eh bien 20 % des demandeurs décèdent avant d’y avoir droit… Que fait-on pour améliorer les choses ? En aucun cas cet argent ne devrait être affecté à de nouvelles dépenses militaires. Dans le fond, le message de Sanchez consiste en un tour de passe-passe : puisque je refuse d’atteindre 5 %, acceptez la hausse à 2 % ! Alors que selon le Centre Delas d’études sur la paix, le budget réel de l’Espagne est déjà proche d’atteindre 2,5 % du PIB pour la défense, ce qui dépasserait les 40 milliards d’euros.
Dans notre pays, 200 milliards d’euros de retraites ont été versés en 2024. Le capital financier doit continuer de trouver insupportable l’adoption, il y a quatre ans, de la loi 21 qui prévoit l’ajustement annuel des retraites en fonction de l’augmentation moyenne de l’indice des prix à la consommation. Cela s’est traduit, par exemple, par une augmentation de 8,5 % des retraites en 2023.
En Espagne, comme dans le reste du monde, il est extrêmement difficile de trouver une organisation syndicale engagée – au-delà des déclarations – dans la lutte contre les budgets militaires, et donc contre le gouvernement Sanchez qui le met en œuvre. Mais comme dans le reste du monde, en Espagne, il existe aussi celles et ceux qui refusent de se taire. Il s’agit d’un mouvement très profond et puissant, notamment contre le génocide à Gaza, en solidarité avec le peuple palestinien. Cette tendance est-elle également observée en Espagne ?
Selon un sondage officiel, 82 % des Espagnols estiment que les actions d’Israël constituent un génocide du peuple palestinien. Notre pays a toujours été très conscientisé contre la guerre en général. Historiquement, l’adhésion à l’Otan et le transfert continu des bases militaires espagnoles aux États-Unis par le franquisme ont rencontré une forte opposition.
Nous avons besoin d’une plus grande implication et d’une plus grande unité des principales organisations syndicales et politiques, ainsi que du reste des groupes sociaux. Que ce soit pour soutenir la Palestine, exiger du gouvernement une rupture totale et concrète de toute relation avec Israël, contre l’augmentation des dépenses militaires à 2 %, 3 % ou 5 %, et contre la guerre en général.
Nous savons, même si le gouvernement le nie, que l’Espagne continue de maintenir ses contrats d’armement avec Israël. Celles et ceux qui alertent sur ce sujet ont raison de le faire. Et ils ont parfaitement raison de le faire quand des chargements militaires transitent par les ports du pays. Les dockers, les travailleurs d’ici devraient faire ce qu’ont fait les dockers de Gêne en Italie, ceux de Marseille en France ou ceux du port du Pirée en Grèce la semaine dernière : bloquer les armes à destination d’Israël. C’est la manière la plus efficace de lutter contre la guerre.
C’est pour toutes ces raisons que ce que nous faisons dans le cadre de l’appel européen et de la conférence de Paris du 4 octobre est si important. Je crois que, depuis différentes organisations, syndicats, partis, groupes sociaux, de nombreux militants et dirigeants, nous faisons tout notre possible pour nous unir dans chaque pays et au niveau international, pour être ce point d’appui et ce levier
permettant une plus grande implication, pour être cette union des forces qui ont
la responsabilité d’organiser une mobilisation unie dans laquelle la grande majorité de la population puisse s’exprimer.
Que peux-tu nous dire au sujet de la tragédie de Torre-Pacheco qui a vu se déchaîner la haine et la violence de groupes racistes d’extrême droite contre les « étrangers » ?
Ce qui s’est passé là-bas place le mouvement ouvrier dans une situation où il doit se préparer à affronter de tels événements en se mobilisant pour exiger du gouvernement qu’il mette tout en œuvre pour empêcher les provocations racistes et les actes de violence de ce type. Vox, le groupe dissident du Parti populaire (PP) qui rivalise avec le PP pour déterminer qui est le plus réactionnaire, propose l’expulsion de huit millions de migrants et de leurs familles…
En réalité, de nombreux secteurs du capital et de l’appareil d’État manifestent un intérêt croissant, et pas seulement électoral, pour utiliser la question de l’immigration afin de dresser et de déstabiliser la classe ouvrière. L’utilisation de l’immigration pour manipuler et diviser la population est très ancienne, mais elle revient aujourd’hui sur le devant de la scène. On sort des informations de leur contexte, on ment et on fomente des complots pour envenimer les esprits. Et tout ça est propagé pour tenter de détourner l’attention de la détérioration des services publics à cause des coupes budgétaires.
L’hypocrisie et le cynisme sont flagrants. Les patrons ont besoin de main-d’œuvre, mais ils la veulent sans papiers pour pouvoir lui imposer des conditions inférieures à celles des autres travailleurs. Pour éviter cela, le gouvernement doit régulariser toutes les personnes qui arrivent illégalement, en leur garantissant les droits fondamentaux, donc l’accès à un emploi légal, avec les conventions collectives, les grilles salariales, etc. qui vont avec.
Nous devons aborder la question sous l’angle des classes sociales, comprendre le contexte économique et appliquer les mêmes critères pour tous : « Natifs ou étrangers : la même classe ouvrière ». Et il ne faut pas oublier que des centaines de milliers d’Espagnols continuent d’émigrer vers d’autres pays !
