« Continuer de faire grandir le mouvement anti-guerre »
Le meeting international contre la guerre, à Paris, le 5 octobre, a été précédé d'une conférence réunissant des militants et élus de 18 pays. Nous publions cette semaine des extraits d'interventions de participants de Grande-Bretagne et du Danemark.
- Actualité internationale, Contre la guerre

Lindsay German, coordinatrice de Stop the War, Grande-Bretagne
« Je voudrais tout d’abord dire que cette journée est manifestement une réussite et que c’est un événement extraordinaire, vu les temps actuels. Et je remercie vivement nos camarades français pour la magnifique organisation qui nous a permis de nous réunir tous ici. (…)
Nous avons avec Keir Starmer un gouvernement travailliste qui est censé avoir une meilleure politique étrangère, qui a toujours soutenu le gouvernement israélien, qui veut consacrer 5 % du PIB britannique à la défense, ce qui sera bien plus que ce que nous dépensons pour l’éducation scolaire. Cela vous montre clairement quelles sont ses priorités.
C’est lui qui, il y a seulement trois semaines, a invité Donald Trump en Grande-Bretagne pour une deuxième visite d’État. Et Trump, nous le savons, ne mène pas seulement des politiques odieuses pour le peuple américain, il est aussi le porte-voix des idées d’extrême droite et fascistes qui se répandent dans le monde entier. Voilà pourquoi il n’aurait pas dû être invité, et nous avons été nombreux à manifester contre sa venue il y a trois semaines.
Mais ce qui est effrayant, c’est que l’Europe se réarme à un rythme que nous n’avons plus vu depuis le pic de la guerre froide et que nous n’avons pas beaucoup vu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Que signifie le réarmement en Europe ? Il signifie l’austérité pour la classe ouvrière et pour les peuples d’Europe. Et il signifie la montée de l’extrême droite. Il permet à l’extrême droite de se développer. Il lui permet de faire des demandeurs d’asile et des immigrants des boucs émissaires. Il lui permet de promouvoir les idées de droite, militaristes et populistes, si courantes dans le monde aujourd’hui.
Regardez ce qui se passe en Grande-Bretagne. Nous avons maintenant un gouvernement qui ne fait jamais rien sans agiter le drapeau. Nous avons un gouvernement qui promeut le militarisme, qui promeut la guerre. Et nous en avons vu les conséquences.
Il y a trois semaines à peine, nous avons assisté à une manifestation à Londres, une ville multiculturelle, qui a rassemblé peut-être 150 000 ou 200 000 personnes d’extrême droite, fascistes diront certains, qui avaient été amenées là par les fascistes.
C’était le résultat de ce qui s’est passé au cours des derniers mois : des manifestations devant les hôtels qui hébergent des demandeurs d’asile, des gens qui plantent des drapeaux partout, même quand la population locale s’y oppose. Nous ne devrions pas être surpris lorsque les arguments avancés par le gouvernement travailliste sont repris par le parti Reform, un parti d’extrême droite respectable, que j’ai l’habitude d’associer au fascisme qui se développe actuellement dans tout le pays.
Nous sommes donc confrontés à une situation très dangereuse en Grande-Bretagne, et nous devons en être pleinement conscients. C’est une situation nouvelle pour nous. Jusqu’à récemment, nous n’avions pas de parti d’extrême droite au Parlement. Nous n’avons certainement jamais vu autant de monde dans des manifestations d’extrême droite.
Et la principale force dont nous disposons actuellement pour lutter contre cela est notre mouvement pour la Palestine. Notre mouvement de soutien à la Palestine est un mouvement extraordinaire. Il s’est développé. Des millions de personnes sont descendues dans la rue au cours des deux dernières années.
Et nous espérons que la semaine prochaine, la manifestation sera encore plus importante que les précédentes. Mais ce mouvement soulève également des questions. Nous nous demandons comment le faire évoluer maintenant. La mobilisation en Italie a conduit à des grèves générales.
En Grande-Bretagne, nous avons peut-être l’un des mouvements syndicaux les plus combatifs d’Europe. C’est le devoir de chacun d’entre nous d’essayer de propager l’idée de la grève générale et de faire passer le message que nous pouvons tous mener des actions syndicales et manifester. Nous sommes également confrontés à une forte répression du mouvement de soutien à la Palestine. (…)
Et pour moi, le grand défi qui nous attend est de savoir comment transformer le mouvement de solidarité envers la Palestine en un mouvement majoritaire d’opposition à la guerre en Europe, au militarisme en Europe et au réarmement en cours.
Ce sont là quelques-unes des questions clés qui se posent à nous. Nous avons déjà obtenu certains tains succès dans ce domaine.
Lors du congrès national du TUC en septembre, nous avons adopté une résolution s’opposant à l’augmentation des dépenses militaires. Ça a été une grande victoire pour nous, non pas parce que cela change immédiatement les choses, mais parce que nos syndicats sont généralement très liés et très fidèles au gouvernement travailliste.
Il était donc très important qu’ils rompent avec ça. C’était important pour nous de le faire. Mais il est tout aussi important que nous relions la lutte pour la Palestine à la question du non à la guerre, pour l’État social.
Pourquoi les gens devraient-ils subir des salaires bas ? Pourquoi leur éducation devrait-elle en pâtir ? Pourquoi ne pourraient-ils pas avoir accès à un logement ? Pourquoi ne pourraient-ils pas bénéficier de soins médicaux parce que la Grande-Bretagne dépense l’argent pour des F-35, des porte-avions et tout le reste ? Il me semble donc que ce sont là les questions que nous devons aborder.
Pour conclure, je dirai ceci : je pense que nous avons besoin d’un mouvement international, mais il ne peut s’agir d’un mouvement à un seul enjeu. C’est tout le système qui déraille. Le système capitaliste mène à la guerre. Il nous pousse à la guerre. Parce que la concurrence est inhérente au système, et c’est la concurrence qui mène à la guerre.
Nous devons donc également lutter contre le système qui engendre la guerre. Cela signifie que nous avons besoin d’un mouvement interna international contre la guerre, solidaire du peuple palestinien, mais qui commence également à organiser notre force en tant que travailleurs afin de lutter contre la classe capitaliste et tout ce qu’elle représente.
Alors, solidarité avec tous ceux qui sont ici aujourd’hui. J’espère qu’à partir d’aujourd’hui et de demain, nous construirons un mouvement permanent, une structure permanente qui nous permettra de coordonner nos actions, de nous organiser efficacement et de vaincre les fauteurs de guerre, notre gouvernement, les agissements d’Israël, Trump, tout ce qui est pourri dans ce monde, et de construire un avenir très différent pour nos enfants et nous-mêmes. »

« Nous devons continuer à faire grandir le mouvement parce que nous avons la capacité de le faire »
Chris Nineham, membre fondateur de Stop the War, Grande-Bretagne
« Salutations de la part de la coalition Stop the War du Royaume-Uni. Je souhaite d’abord remercier tous les organisateurs, parce que je pense qu’il s’agit là d’une initiative nécessaire. En fait, je pense qu’il s’agit d’une initiative qui a pris trop de temps à venir, trop de temps à se faire.
Le manque de coordination internationale jusqu’à aujourd’hui a été une faiblesse stratégique dans le mouvement propalestinien et antiguerre. Et je crois que nous arrivons à un point de bascule de ce mouvement, comme d’autres intervenants ont pu le mentionner. (…)
La première réflexion que je souhaite aborder est que nous devons répondre à la question suivante. Pourquoi nos classes dirigeantes s’efforcent-elles de s’engager et de poursuivre la barbarie qui a lieu au Moyen-Orient, à la vue de millions de personnes à travers le monde ? (…)
La raison pour laquelle notre gouvernement et les autres gouvernements occidentaux soutiennent Israël est qu’Israël constitue une pierre angulaire du projet impérialiste conduit par les puissances occidentales au Moyen-Orient. (…)
Je pense que l’élément principal que nous nous sommes efforcés d’ancrer dans le mouvement britannique est qu’il doit être grand, il doit être profond, il doit être large, il doit mobiliser la plus grande force sociale possible pour être efficace. Il y a toutes sortes de considérations tactiques à prendre en compte, mais ceci doit être notre ligne directrice.
Et je pense que cela implique un grand nombre de tactiques différentes. Cela implique de nous adresser à chaque communauté. La communauté musulmane britannique a été absolument cruciale dans le mouvement palestinien. Sans les liens entre la gauche et les communautés musulmanes en Grande-Bretagne, nous n’aurions pas pu réaliser trente-deux manifestations d’ampleur nationale aussi grandes que nous les connaissons. Nous n’aurions pas pu construire un mouvement que nous considérons sans précédent.
Et cela aide aussi que nous ayons déjà un nombre d’alliances antiguerres préexistantes, incluant la communauté musulmane mais aussi les syndicats. Mais je pense que nous sommes là, comme précédemment dit, à un point de bascule. Et une des caractéristiques de ce point de bascule est que cet énorme mouvement reflète dès à présent dans plein de pays la pensée majoritaire.
Et cela veut dire que nous devons continuer à construire, continuer à aller de l’avant, continuer à faire grandir le mouvement parce que nous avons la capacité de le faire. Et un de ces aspects, un aspect qui est si important pour nous est que les slogans de notre mouvement doivent être aussi simples et directs et rassembleurs que possible.
Nous avons toujours dit que notre slogan principal était « Stop au génocide ». À partir de maintenant c’est « Arrêtez d’armer Israël » et c’est juste. C’est simple, c’est inclusif, et ça a la capacité d’attirer le plus grand nombre de personnes possibles.
Et la raison pour laquelle on a besoin d’un mouvement de masse, un mouvement populaire, un mouvement ample est premièrement parce que je pense qu’il s’agit là de la plus grande menace pour nos gouvernements. Dans un second temps je pense que c’est le meilleur moyen de faire face à la répression montante.
Et troisièmement je pense que c’est ce qui encourage le plus les gens à se diriger vers des actions sur leur lieu de travail comme nous en avons pu en voir de si inspirantes en Italie, en Grèce, et partout ailleurs. Et ça doit être là le point crucial de notre stratégie à partir de maintenant. Je suis d’accord avec ceux qui disent que nous ne pouvons plus attendre les directions syndicales.
Nous devons créer un mouvement de masse suffisamment puissant pour forcer nos gouvernements à changer de direction.
Mon dernier point sera le suivant. Je pense que comprendre le soutien à Israël en tant qu’engrenage d’une machine impérialiste mène aussi à la conclusion que nous devons – et cette conférence le fait très justement, très correctement – faire le lien avec la question plus large du combat contre la guerre.
Nous devons commencer à poser la question des liens avec le soutien occidental à l’Ukraine. Nous devons commencer à faire le lien entre ce qui se passe maintenant en Palestine et les précédents mouvements pour l’Irak, pour l’Afghanistan, en Syrie, et tant et tant d’autres. Parce qu’il existe une conscience antiguerre dans de nombreux pays, et nous devons nous y rattacher. (…)
Je salue cette conférence. Et je souhaite qu’elle soit un pas en avant vers la construction d’une coordination pas seulement au travers de l’Europe mais bien plus vaste, mais aussi plus profonde, plus puissante, et d’un mouvement plus fort. »
« La même militarisation qui détruit Gaza détruit aussi en Europe »
Per Moller Jacobsen, porte-parole de Rodt Venstre, Danemark
« Nous sommes témoins d’un génocide en temps réel à Gaza : un enfer créé par les hommes, où des familles sont broyées sous les décombres, où les enfants sont massacrés, où la mort pleut du ciel. Ce n’est pas de l’autodéfense : c’est une punition collective, rendue possible par les armes et la complicité des États-Unis, des pays membres de l’Otan, et de l’Union européenne.
Mon propre gouvernement, celui du Danemark, n’est pas innocent. Il parle de reconnaître la Palestine, mais seulement si des conditions impossibles sont atteintes. Il dit vouloir une solution à deux États, mais comment peut-on prétendre soutenir deux États tout en refusant de reconnaître l’existence de l’un d’entre eux ?
Quand des enfants blessés auraient pu être soignés au Danemark, le gouvernement a refusé, par peur de l’opinion publique. Il a préféré donner de l’argent à des hôpitaux de Jérusalem-Est, tout en sachant que jamais Israël ne permettrait que ces hôpitaux soignent des enfants gazaouis. C’est de l’hypocrisie déguisée en humanité.
Et pendant ce temps, des milliards sont dépensés dans les bombes et les avions de combat, alors qu’on dit au peuple qu’il n’y a pas d’argent pour les hôpitaux, pour les écoles, pour le logement, pour l’action climatique. Il y a toujours de l’argent pour la guerre, jamais pour le peuple.
Mes amis, la paix n’est pas un aveu de faiblesse. C’est le courage. Le courage de mettre fin au génocide. Le courage de mettre fin à l’occupation. Le courage de placer les vies humaines au-dessus du profit et du pouvoir.
Nos revendications sont claires : arrêt des bombardements. Arrêt du génocide. Fin de l’occupation. Reconnais sance de la Palestine : non pas demain, mais maintenant. N’oublions pas que la même militarisation qui détruit Gaza détruit aussi en Europe.
La guerre en Ukraine, qui s’est transformée en une guerre par procuration entre l’Otan et la Russie, est encore une autre tragédie qui sacrifie le peuple aux intérêts géopolitiques. Mais imaginez juste un instant un monde où tout est partagé, où il n’y a rien à tuer, et rien pour quoi mourir. D’aucuns nous qualifieraient de rêveurs.
Mais si nous nous rassemblons tous pour mettre fin à la guerre à Gaza, en Ukraine, partout dans le monde, alors un jour, le monde sera, enfin, uni. »
