Martinique : « À propos du déchoukaj des statues de Schoelcher »
Un procès doit se tenir les 5, 6 et 7 novembre 2025 contre des jeunes militants qui ont déboulonné (déchouké) des statues coloniales en 2020. Alliance ouvrière et paysanne a republié la déclaration distribuée six jours après les faits, en mai 2020.
- Actualité internationale, Martinique

Un procès doit se tenir les 5, 6 et 7 novembre 2025 contre des jeunes militants qui ont déboulonné (déchouké) des statues coloniales en 2020. Alliance ouvrière et paysanne a republié la déclaration distribuée six jours après les faits, en mai 2020. Nous livrons à nos lecteurs cette déclaration de l’Alliance ouvrière et paysanne (Martinique) sortie sous forme de tract le 28 mai 2023, six jours après les faits. Elle a été si bien accueillie que proposition nous a été faite de la diffuser à des milliers d’exemplaires dans les quartiers populaires de toute la Martinique ! Des militants présents à Schoelcher au moment du déchoukaj ont témoigné que les passants, d’abord effarés, ont été fortement réceptifs aux explications fournies par les jeunes déchoukeurs et en ont conclu qu’il fallait à tout prix connaître notre histoire occultée par le colonialisme. |
Deux statues de Schoelcher déboulonnées en 2020*
Le vendredi 22 mai 2020 restera gravé dans l’histoire de la Martinique : deux statues de Victor Schoelcher ont été déboulonnées en plein après-midi ensoleillé par un groupe de jeunes « activistes » qui revendiquent le drapeau rouge vert noir de notre nation Martinique.
Depuis, les prises de position ne cessent d’affluer. Il y a ceux qui, jusqu’au président de la République, condamnent sans appel ce que les médias aux ordres appellent un acte de « vandalisme ». De distingués historiens s’évertuent à démontrer à ces jeunes qu’ils se trompent d’adversaire et qu’il ne faut point diaboliser le décret d’abolition du 27 avril au profit exclusif du 22 mai. Tel historien patriote relie, lui, ce geste aux années 1970, à Rivière Pilote quand de jeunes militants célébraient le 22 mai en peignant en rouge vert noir la statue de Schoelcher, qui a fini par être « légalement » déchoukée par le conseil municipal et son maire Alfred Marie Jeanne, la place où elle trônait ayant été rebaptisée « place du 22 Mai ».
Pour notre part, sans haine et sans passion, nous tenons l’« humaniste » Schoelcher pour un bourgeois et un colonialiste qui a défendu de façon sérieuse et conséquente les intérêts de sa classe.
Schoelcher et la réservation des intérêts de la France bourgeoise et coloniale
Face aux îles anglaises où l’esclavage avait été effectivement aboli en 1838 et qui servaient de refuges aux « marrons de la mer », face à la possibilité qu’une des révoltes d’esclavagisé-e-s, qui n’avaient jamais cessé, débouche sur un nouvel Haïti indépendant, Schoelcher pensait qu’il valait mieux « pran douvan avan douvan pran yo » et préparer par le haut une abolition qui préserverait les intérêts de la France bourgeoise et coloniale. C’est pourquoi la commission qu’il présidait a consciencieusement préparé l’abolition en l’encadrant par une série de décrets destinés à maintenir l’ordre dans une future société post-esclavagiste, mais toujours coloniale et dominée par les mêmes colons.
Ceux-ci ont été grassement indemnisés et poussés à créer leur propre banque. Il s’agissait de les faire entrer dans la modernité capitaliste avec une main-d’œuvre composée des anciens esclavagisés, souvent rebelles et marronneurs, bientôt renforcée par de nouveaux venus encore plus exploités déportés d’Inde et d’Afrique, la division entre ces salariés étant soigneusement entretenue.
Dans les moments décisifs où était menacé l’ordre bourgeois et colonial, l’« humaniste » Schoelcher a toujours choisi le camp de sa classe.
Ainsi en juin 1848 lors de la répression du soulèvement révolutionnaire des ouvriers parisiens combattant, drapeau rouge haut levé, pour une « République sociale » ; ainsi lors de la répression sanglante de la Commune de Paris (18 mars-28 mai 1871) premier État ouvrier de l’histoire de l’humanité avec ses délégués élus et révocables payés au tarif d’un ouvrier qualifié ; ainsi lors de la répression sanglante de l’insurrection du Sud de septembre 1870 précisément provoquée par l’inhumanité du régime d’exploitation et d’oppression raciste qui perdurait vingt-deux ans après l’abolition, certains de ses chefs prônant une République martiniquaise sur le modèle de la République d’Haïti.
Prendre en mains notre propre sort
Nous comprenons l’acte des « déchoukeurs » comme l’expression du ras-le-bol de la jeunesse, de son refus d’un ordre colonial qui ne lui offre aucun autre avenir que le chômage, des boulots précaires et sous-payés, ou l’exil, tandis que gouvernement colonial et caste békée favorisent la venue en Martinique de ressortissants français et européens bénéficiant de privilèges incitatifs.
Il n’est donc pas étonnant que selon un sondage, 54 % des jeunes approuvent leur geste, les 46 % restants craignant qu’il ne serve à rien ou ne soit suivi de représailles.
Ce déchoukaj est le signal fracassant que « l’heure de nous-mêmes a sonné », qu’il est temps de prendre en mains notre propre sort au compte de la majorité populaire et de la jeunesse, avenir du pays.
Que ceux qui s’offusquent de ce crime de lèse-statue s’offusquent encore plus du crime de l’empoisonnement au chlordécone de la quasi-totalité de notre population et se mobilisent aussi fort pour le châtiment immédiat et exemplaire des coupables !
AOP prendra sa place dans le combat pour que les jeunes déchoukeurs ne soient pas livrés en pâture à une répression qui, à la faveur des mesures liberticides prises sous couleur de lutte anti-Covid 19, a vocation à s’étendre à tous les opposants à ce régime à l’agonie.
Nous en tiendrons informés nos camarades de l’Association des travailleurs et des peuples de la Caraïbe et de l’Entente internationale des travailleurs et des peuples avec qui se mène le combat international qui s’impose contre l’oppression et l’exploitation, pour le droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes.
Martinique, Caraïbe, ce 28 mai 2020.
*Les intertitres sont ajoutés par la rédaction d’Informations ouvrières.
