« Au Liban, c’est une guerre de basse intensité qui a lieu »

Nous donnons la parole à Khadije El Husaini, militante pour le droit des femmes et syndicaliste, qui revient sur la situation dans son pays en rapport avec la guerre d’Israël contre Gaza.

La ligue des droits de la femme libanaise au rassemblement devant le siège de l’agence de coopération économique de l’Onu, à Beyrouth, le 29 novembre, journée de solidarité internationale avec le peuple palestinien (Photo DR).
Par Interview
Publié le 24 décembre 2023
Temps de lecture : 4 minutes

Quel est l’impact au Liban de la guerre israélienne contre Gaza ?

Khadije El Husaini : La situation au Liban est catastrophique et la crise économique actuelle, qui a démarré il y a quatre ans vient de prendre un tournant avec la guerre menée par l’Etat d’Israël contre la frontière sud du pays parallèlement à la guerre menée contre la population palestinienne dans la bande de Gaza. Le Liban subit une ingérence de la part des grandes puissances, avec un envoyé spécial, le français Le Drian, comme au temps du protectorat colonial.  

Les mêmes qui sont à l’origine de la crise, ceux qui soutiennent le système communautaire corrompu voudraient maintenant régler nos problèmes. Mais cette ingérence ne dit rien contre les provocations et les menaces israéliennes contre le Liban, qui sont permanentes et qui se sont aggravées depuis le début de la guerre contre Gaza.

On a des survols d’avions militaires, de drones quotidiennement. Tous les jours il y a des tirs entre Israël et le Liban, avec des morts. C’est une guerre de basse intensité qui a lieu en ce moment.

La peur d’une invasion israélienne

La peur d’une invasion israélienne s’est répandue parmi les citoyens de la zone frontalière, comme cela s’était produit dans le passé. Déjà des milliers de familles ont dû quitter leurs maisons et leurs terres au moment où le largage de bombes au phosphore par les Israéliens a complètement ruiné la saison de la récolte des olives. Les Israéliens ont délibérément détruit les vergers. Quant au gouvernement et aux institutions étatiques censés remplir leurs fonctions dans de tels cas, ils ne se sont réunis qu’une semaine après le début de l’offensive israélienne, et bien entendu, leur réunion n’a abouti à rien pour aider les déplacés.

Les Libanais sont en colère. Ils entendent parler dans les médias occidentaux du « droit d’Israël à se défendre », alors que l’agression en cours contre les Palestiniens est une offensive génocidaire.

Les peuples de la région la ressentent comme une menace. Israël qui est le champion international du non-respect des résolutions de l’Onu parle d’imposer le respect de la résolution 1701, qui oblige le Hezbollah à abandonner la frontière sud, mais le Hezbollah est sur une ligne uniquement défensive, et ne cesse de le réaffirmer. Tous ceux qui veulent résister à la menace israélienne sont très vite catalogués, mais la réalité c’est que de nombreux partis libanais sont d’accord avec les diktats des Etats-Unis et de ses alliés, qui ont besoin dans la région d’Etats sous leurs ordres. Ce qui est remarquable, c’est que ceux qui s’opposent à toute forme de résistance et réclament la « paix » sont des gens qui vivent dans des zones qui n’ont jamais été exposées aux frappes israéliennes !

Tu es également secrétaire générale de la Ligue des droits de la femme libanaise. Comment se déroule votre activité dans ce contexte de guerre ?

Notre lutte au sein de la Ligue des droits de la femme libanaise (LLWR) ne se limite pas à revendiquer uniquement les droits des femmes, car nous ne sommes pas un comité féministe.

La Ligue a été créée en 1947 en tant qu’organisation de masse, dont les objectifs les plus importants sont l’établissement d’un Etat civil et la solidarité avec les citoyens, femmes et hommes, dans leur quête pour obtenir leurs droits.

Nous luttons pour réaliser la justice sociale. Nous sommes également solidaires de toutes les causes justes au niveau mondial, et bien sûr nous sommes préoccupées par la question palestinienne.

Lors de la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, nous avons appelé, avec la participation d’autres femmes et organisations sociales, à une manifestation devant le siège de l’agence des Nations unies de l’ESCWA (dont le siège est à Beyrouth – Ndlr) pour dénoncer les crimes de l’occupation israélienne : nous exigeons la fin de l’agression, la levée du siège de Gaza, et que les Nations Unies remplissent leur mandat sans de manière impartiale, c’est-à-dire de la même manière que lorsqu’il s’agit de dénoncer la situation en Syrie ou en Ukraine.

Tu es également membre de la direction de la Fénasol (Fédération nationale des syndicats des ouvriers et employés du Liban). Quelles sont les revendications du mouvement syndical libanais ?

Face à l’effondrement économique et à l’abandon de leurs fonctions par les institutions de l’État, nous essayons de contribuer à alléger le fardeau des citoyens. Nous organisons un comité de suivi des locataires, et nous participons également au comité de défense des déposants spoliés par les banques.

Depuis le 8 octobre, nous participons à une coordination contre la guerre à Gaza et ses conséquences, avec certaines organisations et partis libanais et palestiniens.

Nous aidons les déplacés du sud. Le siège de la Fénasol a été transformé en cellule de crise à partir de laquelle nous suivons les affaires des déplacés.

La guerre à Gaza nous concerne car elle vise directement notre terre et notre sécurité.

Tous les jours nous recevons des menaces d’anéantissement de la part des dirigeants israéliens tandis que la flotte de guerre américaine stationne non loin du Liban.

Nous subissons également un blocus économique. Les Libanais en ont assez de cette ingérence. Les revendications exprimées il y a plus de deux ans, pendant le mouvement du Hirak à commencer par celles s’opposant à la division communautaire et à la corruption restent d’actualité, mais elles sont indissociables de la fin de l’ingérence des grandes puissances qui font tout pour maintenir la division des Libanais.