Le projet de loi Darmanin, un nouveau texte de répression

Informations ouvrières publie cette semaine le point de vue de Nicolas De Sa-Pallix, avocat au barreau de Paris intervenant notamment en droit des étrangers, ancien président de la section de Paris du Syndicat des avocats de France (SAF), qui revient sur le contenu et la logique de ce texte.

Centre de rétention administrative (CRA), Vincennes (94) (photo Hans Lucas via AFP).
Par Nicolas De Sa-Pallix
Publié le 12 février 2023
Temps de lecture : 3 minutes

Présentation : Le gouvernement a présenté en Conseil des ministres, mercredi 1er février dernier, son projet de loi Immigration. Le journal patronal Les Echos, l’avant-veille, titre : « Darmanin prêt à durcir son projet de loi » (30 janvier). La veille, le journal Le Parisien (29 janvier) précise : « La droite, par la voix d’Eric Ciotti, a déjà assuré qu’elle voterait contre le texte ». Pour sa part, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, annonce la couleur : « Le gouvernement présentera un texte de vingt-cinq articles qui sera très fort. Il prévoit une simplification drastique du droit, faisant passer de douze à quatre recours pouvant être émis par les étrangers, pour pouvoir mieux expulser. »

Quelles sont les principales mesures contenues dans ce projet de loi ?

Nicolas De Sa-Pallix : Les principales mesures contenues par le projet de loi peuvent se décliner en trois parties.

Le Gouvernement a mis en avant la création d’un titre de séjour appelé « métier en tension »  qui permettra à des personnes en situation irrégulière d’obtenir de plein droit la délivrance d’un titre de séjour d’un an s’ils exercent un métier considéré comme étant « en tension » dans une zone géographique donnée et qu’ils sont en mesure de produire huit fiches de paie en temps plein. Est également prévue la création d’un nouveau titre de séjour intitulé « Talent – professions médicales et de pharmacie » ne concernant que les médecins « quelle que soit leur spécialité », les sages-femmes, les chirurgiens-dentistes et les pharmaciens.

Une deuxième partie concerne la répression des étrangers. Il sera maintenant possible pour les préfectures de procéder au retrait d’une carte de résident pour « menace à l’ordre public »,  au retrait des titres de séjour pour « irrespect des principes républicains »,  sera créée une nouvelle sanction administrative contre les employeurs embauchant des personnes ne possédant pas d’autorisation de travail s’ajoutant aux amendes déjà existantes, et de nombreuses protections contre l’éloignement seront supprimées.  

Une troisième partie vise à l’accélération générale des procédures devant la Cour nationale du droit d’asile ou les juridictions administratives traitant le contentieux du droit des étrangers.

 

La logique de ce texte c’est donc celle d’une plus grande répression des personnes immigrées ?

La logique de ce texte est double. Elle est tout d’abord capitaliste et utilitariste.

La création des nouveaux titres de séjour ne vise pas à la préservation des droits des étrangers ou à leur permettre une intégration plus aisée sur le territoire français mais à répondre aux besoins de la France en termes de main d’œuvre.

La création du titre de séjour  « Talent – professions médicales et de pharmacie » est la plus emblématique en ce qu’au lieu de réfléchir aux raisons du dépérissement de l’hôpital public en France, le Gouvernement va mettre en concurrence les professionnels de santé français et étrangers en sachant que ces derniers accepteront des conditions de travail moins favorables. L’étranger est réifié, est encore moins envisagé comme une personne mais uniquement à travers le prisme de sa valeur marchande et économique. La logique est la même avec le titre « métier en tension » qui ne considère l’étranger qu’à travers sa force de production dans un secteur donné, si tant est qu’il se trouve dans une zone en manque de cette compétence.

La deuxième logique est également répressive, et s’exprime depuis plusieurs années. Tout étranger connu de la justice ou des services de police doit, selon l’intention du gouvernement, être expulsé du territoire français sans qu’il ne puisse plus bénéficier d’une protection.

Pour cela les procédures sont accélérées, ce qui a comme impact de rendre plus difficile la défense de ces personnes et de permettre à l’État de bénéficier au plus vite de décisions exécutoires permettant le placement en centre de rétention et la reconduite de l’intéressé.

On a le sentiment que ce gouvernement, au moment où il est en grande difficulté sur les retraites, n’en finit jamais de draguer la droite pour obtenir son soutien au Parlement. Comment analyses-tu cela ?

Je l’analyse comme une tentative pour le Gouvernement de conserver une majorité à l’Assemblée nationale dans un contexte lui étant bien moins favorable que lors du premier quinquennat.

Les derniers gouvernements nous ont montré un souhait de placer l’étranger comme responsable de tous nos maux. L’étranger est en quelque sorte coupable d’être là, alors qu’il serait bien mieux ailleurs, sauf à posséder des compétences considérées comme utiles ou nécessaires.

Les mesures proposées par le Gouvernement dans ce projet de loi, en tout cas dans sa visée répressive, sont portées par la droite depuis de nombreuses années et visent à flatter un électorat peu informé sur la réalité de la vie des étrangers en France.

Le dernier projet de loi « Asile et immigration » était soi-disant guidé par un souhait « d’humanité et de fermeté ». Nous sommes encore en attente de l’humanité promise.