Les retraites en débat : trois illustrations européennes

Grande-Bretagne, Suède, Pays-Bas, des modèles pour les retraites ? L'universitaire Joël Sohier, dans un ouvrage intitulé « Le Syndicalisme en France » (éditions Vuibert), nous livre quelques éclairages. En voici quelques extraits.

Campagne contre le passage de la retraite de 65 à 67 ans voulu par le gouvernement néerlandais en 2019 (photo AFP).
Par Joël Sohier
Publié le 21 avril 2023
Temps de lecture : 7 minutes

1 – Le « modèle » libéral en Grande-Bretagne1A partir d’un article de Odile Join-Lambert, Chroniques internationales de l’IRES, n° 102, p. 3-12

Tony Blair, dans la continuité de Margaret Thatcher, a instauré le minimum income guarantee. Le système est fondé sur une faible pension d’Etat (800 euros à partir de 66 ans et pour 35 annuités). Les régimes par capitalisation (régimes professionnels, plans d’épargne individuels) ne parviennent pas à compenser cette faiblesse, ce qui a dégradé les conditions de vie des plus pauvres.

De plus, la crise économique ayant entraîné une chute des actifs financiers, le niveau des retraites s’est considérablement réduit pour l’ensemble de la population :

– en 2005, 12 millions de personnes de plus de 25 ans n’épargnent pas suffisamment pour bénéficier d’une retraite décente ;

– la chute boursière s’est traduite, entre 2001 et 2003, par une baisse de 45 % en moyenne des pensions (Liaisons sociales magazine, janvier 2005) ;

– après l’éclatement de la bulle internet, les fonds de pension manquaient de plus de 220 milliards d’euros pour honorer leurs engagements ;

– fin 2004, la faillite du fonds de pension de l’équipementier T and N concerne 40 000 salariés ou retraités ;

– en 2022, pour honorer leurs engagements, les fonds de pension vendent tout ce qu’ils peuvent vendre (actions, obligations), faisant ainsi s’écrouler les cours.

30 % des retraités sous le seuil de pauvreté

Cette situation tend à ramener le niveau des pensions à celui du « filet de sécurité ». Ainsi, 2,3 millions de retraités (30 %) vivent sous le seuil de pauvreté. Une étude de l’organisation caritative Age Concern montre qu’un retraité sur cinq saute un repas par jour pour faire des économies et que 40 % ont des difficultés à se procurer des biens de première nécessité2Corinne Nativel, La Pauvreté post-industrielle au Royaume-Uni, Ceriscope Pauvreté, 2012 (en ligne).

Cette situation va dramatiquement s’aggraver avec l’arrivée des papy-boomers. Pour y palier, deux mesures sont prévues : porter l’âge légal de départ à 68 ans et raccourcir la durée de cotisation à trente années. Cela ramène le droit à la retraite à un minimum vieillesse. Pour compléter ce minimum insuffisant pour survivre, un plan emplois seniors, parrainé principalement par les grands distributeurs (Marks and Spencer, Tesco…) a été mis en place.

Il conduit à ce que, d’ores et déjà, 10,4 % des retraités poursuivent une activité pour compenser leur pension insuffisante. Sexagénaires, voire septuagénaires, sont ainsi occupés dans les rayons ou postés aux caisses.

En 2020, trois cent mille seniors de 50 à 65 ans ne sont plus en activité et ne recherchent plus d’emploi. Ils préfèrent taper dans leurs maigres économies plutôt que de continuer à s’épuiser dans des petits boulots mal rémunérés et sans la perspective de trouver un vrai travail. Face à cet « exode des seniors », les économistes préconisent de les contraindre à reprendre le travail dans des conditions encore plus dégradées. Bref, comme au XIXe siècle, affamer pour faire chuter le coût du travail par l’emploi des vieux.

2 – Le « modèle » notionnel suédois

Le modèle de retraite suédois a été mis sous les feux de l’actualité française, notamment en 2019, à l’occasion de la réforme voulue par Emmanuel Macron et soutenue activement pas la CFDT et la CFTC. Macron dut alors reculer face à la mobilisation sociale, notamment des secteurs des transports.

Il est donc intéressant de s’y arrêter. Ce d’autant que la CFDT continue de revendiquer une réforme allant en ce sens.

Le système est appuyé sur trois piliers :

– Le premier pilier (65 à 70 % de la pension moyenne) est un système par répartition à cotisations définies, mais à prestations non garanties. Les retraites sont révisées chaque année pour s’ajuster aux rentrées de cotisations et à l’espérance de vie.

– Le second pilier (20 à 25 % de la pension moyenne) est un système de fonds de pension à cotisations prélevées par les employeurs et rendues obligatoires par convention collective.

– Le troisième pilier (environ 5 % de la pension moyenne) est un système par capitalisation pure abondé librement par le salarié.

Fortement appuyé sur l’épargne salariale, le système a pour vocation d’investir les capitaux ainsi accumulés principalement dans les projets économiques nationaux.

Les déclarations de Karl Gustaf-Scherman, ancien responsable de la Sécurité sociale suédoise, sont venues ternir le tableau d’un système idyllique qui, sur le papier, garantit l’équilibre.

Beaucoup de salariés ne peuvent attyeindre l’âge l’égal de la retraites (65 ans)

En 2023, il ressort que :

– Beaucoup de salariés ne vont pas jusqu’à l’âge légal de 65 ans, amputant ainsi significativement leur pension ; ce constat rejoint d’ailleurs celui de l’Allemagne où nombre de salariés partent avec des pensions amputées les contraignant à des petits boulots.

– Les nouveaux retraités partent avec des pensions réduites. En 2019, 72 % des hommes et 92 % des femmes retraités ont vu leur pouvoir d’achat diminué selon une enquête de l’Etat suédois, qui se retrouve contraint d’apporter un complément de 100 euros aux personnes âgées les plus pauvres.

– Les résultats financiers des fonds capitalisés sont très médiocres et ne compensent donc pas la diminution engendrée par l’ajustement automatique des pensions.

Karl Gustaf-Scherman regrette : « Nous n’aidons pas ceux qui en ont besoin. »

3 – Le « modèle » néerlandais d’emploi des séniors

Les Pays-Bas sont largement cités en exemple comme ayant trouvé la solution à l’emploi des séniors. Ils affichent un taux d’emploi des séniors avoisinant les 77 %. (Précisons : est considéré actif quiconque a travaillé en contrepartie d’une rémunération pendant une heure au moins au cours de la semaine précédente.)

Comme en Suède, la retraite est appuyée sur trois piliers :

– La pension publique versée à tout individu de plus de 65 ans. Cette pension s’élève à 70 % du salaire minimum.

– Le fonds de pension professionnelle qui fonctionne par capitalisation. La cotisation est prélevée sur la partie de salaire supérieure au salaire minimum et en exclut les CDD.

– L’épargne retraite individuelle qui concerne les indépendants ou les salariés ne bénéficiant pas du fonds de pension.

Derrière les chiffres, la réalité

Derrière les chiffres officiels qui font des Pays-Bas les champions du taux de chômage le plus bas, se cache une réalité bien moins idyllique, notamment pour les séniors.

– En 2014, selon un rapport de l’OCDE, 57 % des chômeurs de longue durée ont plus de 55 ans. « Le taux de chômage chez les travailleurs plus âgés (55-64 ans) a pratiquement doublé au cours de la dernière décennie. »  

Seulement 3,7 % des chercheurs d’emploi séniors sont recrutés ou embauchés. Les autres doivent persévérer dans la recherche d’emplois inexistants jusqu’à l’âge de la retraite (67 ans), contraints de prendre tout emploi « approprié » sous peine de suppression des prestations sociales.

– La moitié (21 000) des bénéficiaires des aides sociales (5 % de la population active) a plus de 45 ans. Si le chômage officiel est en déclin global, il est à la hausse chez les plus de 45 ans (d’après une étude du Bureau central de statistique néerlandais).

Des séniors particulièrement appauvris…

Pour réintégrer les séniors à la vie active, les gouvernements successifs ont actionné des leviers sociaux et fiscaux. Ainsi, en 2005, un demi-million de Néerlandais en colère sont descendus dans la rue contre la suppression des préretraites. Le rapport de l’OCDE synthétise le problème pour les travailleurs âgés : « chômage de longue durée élevé, embauches limitées et taux d’invalidité important » .

Les Pays-Bas sont ainsi devenus champions d’Europe du temps partiel, qui représente environ 50 % des emplois. Les séniors sont particulièrement touchés.

Beaucoup sont en quête de petits boulots pour compléter une retraite insuffisante. Des structures jobs seniors  ont été créées par des associations, voire des sociétés d’intérim spécialisées.

… et des employeurs exonérés de charges

France 2 nous donne un exemple. Lood, 69 ans, conduit des voitures pour des agences de location. « Sans ce job, je ne pourrais pas vivre à Amsterdam », confie-t-il. Il travaille pour une agence d’intérim qui n’emploie que des séniors parce qu’« ils sont toujours disponibles », selon une manager et… ouvrent à une exemption des charges sociales.

Chris Driessen, de la Fédération néerlandaise des syndicats, relève (novembre 2015) : « Vous pouvez donc soudainement vous retrouver en situation de pauvreté à 55 ans, sans pouvoir accéder aux allocations de retraite avant l’âge de 67 ans. Cela est en train d’arriver à un nombre croissant de personnes. Il s’agit d’un des principaux problèmes sociaux aux Pays-Bas. »

4 – Quelques enseignements à en tirer

Le modèle libéral de Grande-Bretagne tout comme le système universel suédois et l’emploi des séniors promus chez les Néerlandais prennent le contrepied du modèle par répartition promu en France par le syndicalisme Charte d’Amiens.

Lesdits « experts » précisent eux-mêmes à leur propos qu’ils ne sont pas préparés aux évolutions démographiques. Aussi, un débat a-t-il cours dans ces pays, car il n’est pas envisageable de vider les fonds de pension pour payer les retraites. Afin de ne pas avoir à augmenter les cotisations, ils préconisent de diminuer les pensions en cours afin de garantir l’équilibre.

De leur analyse, il ressort que pour les salariés :

– Seul un système à prestations définies peut assurer la stabilité des revenus des pensionnés. La capitalisation individuelle comme collective, associée à un régime universel à cotisation figée, est un miroir aux alouettes. Il ne peut qu’engendrer des pensions erratiques au gré des équilibres économiques et démographiques.

– Seul un système à cotisations obligatoires peut être viable, car les salariés ne cotisent pas, ou trop peu, aux régimes facultatifs. Le troisième pilier suédois reste anecdotique, tout comme ce fut le cas en France pour la CNRV (Caisse nationale des retraites pour la vieillesse) instituée en 1850, mais également pour la retraite surcomplémentaire édifiée en 1947 par l’Agirc (cotisation facultative de 8 %).

– Seul un système contraignant à aller jusqu’à l’âge légal peut à la fois garantir les ressources aux caisses et l’accès à des droits pleins et entiers pour tous les salariés. Encore faut-il que l’âge légal soit suffisamment bas pour être atteignable ! Sinon, les retraites sont réduites et la vieillesse devient une poche de misère.

– Une articulation entre durée de cotisation et âge légal est indispensable. Encore faut-il que la durée de cotisation soit prévue pour être atteignable pour un salarié ayant atteint l’âge légal. Ne pas lier la durée de cotisation à un âge légal permet toutes les manipulations pour retarder l’âge de départ. Elle permet une mise à la retraite avec des pensions tellement amputées qu’on enclenche des plans séniors faits de petits boulots pour survivre avec un complément.

De tout cela, il ressort un débat bien éculé somme toute. C’est celui initié par la CGT qui, en 1910, dénonça « l’escroquerie » de la « retraite des morts » à 65 ans, la retraite dont les travailleurs n’ont pas la jouissance.

Toutes les arguties techniques présentées ne peuvent cacher que la retraite à 60 ans avec 37,5 annuités et un taux de remplacement de l’ordre 70 % du dernier salaire constitue la meilleure base pour négocier le cas de tous ces emplois pour lesquels il n’est effectivement pas raisonnable d’aller jusqu’à 60 ans ; et a fortiori jusqu’à 64, 65, 66…