Pourquoi Israël veut effacer le contexte et l’histoire de la guerre contre Gaza

Nous reproduisons des extraits d’un article d’Ilan Pappé paru le 5 novembre. Ilan Pappé est le directeur du Centre européen d’études palestiniennes à l’université d’Exeter et historien israélien réputé.

Ilan Pappé est membre de la Campagne pour un seul État démocratique (ODSC)(Photo DR).
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Publié le 11 novembre 2023
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Le 24 octobre, une déclaration du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a provoqué une vive réaction de la part d’Israël. S’adressant au Conseil de sécurité de l’Onu, le chef de l’Onu a déclaré qu’il condamnait avec la plus grande fermeté le massacre commis par le Hamas le 7 octobre, mais qu’il souhaitait rappeler au monde que ce massacre n’avait pas eu lieu dans le vide.

Il a expliqué qu’on ne peut dissocier 56 ans d’occupation de notre engagement dans la tragédie qui s’est déroulée ce jour-là. Le gouvernement israélien n’a pas tardé à condamner cette déclaration.

Les responsables israéliens ont exigé la démission de M. Guterres, affirmant qu’il soutenait le Hamas et justifiait le massacre qu’il a perpétré.

Les médias israéliens ont également pris le train en marche, affirmant notamment que le chef de l’Onu « a fait preuve d’une faillite morale stupéfiante ». Cette réaction suggère qu’un nouveau type d’allégation d’antisémitisme pourrait maintenant être sur la table. Jusqu’au 7 octobre, Israël avait fait pression pour que la définition de l’antisémitisme soit élargie afin d’inclure la critique de l’État israélien et la remise en question du fondement moral du sionisme. Désormais, la mise en contexte et l’historicisation de ce qui se passe pourraient également déclencher une accusation d’antisémitisme. (…)  

Ainsi, l’attaque du 7 octobre est utilisée par Israël comme prétexte pour poursuivre des politiques génocidaires dans la bande de Gaza.

C’est aussi un prétexte pour les États-Unis d’essayer de réaffirmer leur présence au Moyen-Orient. Et c’est un prétexte pour certains pays européens de violer et de limiter les libertés démocratiques au nom d’une nouvelle « guerre contre le terrorisme ». (…)

« Le projet culturel sioniste s’est transformé en un projet de colonisation »

Premièrement, il a servi les intérêts de ceux qui, en Grande-Bretagne, souhaitaient démanteler l’Empire ottoman et en incorporer des parties dans l’Empire britannique. Deuxièmement, il a trouvé un écho dans l’aristocratie britannique, tant juive que chrétienne, qui a été séduite par l’idée du sionisme comme panacée au problème de l’antisémitisme en Europe centrale et orientale, qui avait provoqué une vague d’immigration juive malvenue en Grande-Bretagne. (…)

Les penseurs et militants juifs qui ont redéfini le judaïsme comme un nationalisme espéraient que cette définition protégerait les communautés juives d’un danger existentiel en Europe en se concentrant sur la Palestine comme l’espace désiré pour la « renaissance de la nation juive ».

Ce faisant, le projet culturel et intellectuel sioniste s’est transformé en un projet de colonisation, qui visait à judaïser la Palestine historique, sans tenir compte du fait qu’elle était habitée par une population autochtone.

À son tour, la société palestinienne, plutôt pastorale à l’époque et dans sa phase initiale de modernisation et de construction d’une identité nationale, a produit son propre mouvement anticolonial. Sa première action significative contre le projet de colonisation sioniste a été le soulèvement d’al-Buraq en 1929, et elle n’a pas cessé depuis.

Un autre contexte historique pertinent pour la crise actuelle est le nettoyage ethnique de la Palestine en 1948, qui comprenait l’expulsion forcée de Palestiniens dans la bande de Gaza à partir de villages sur les ruines desquels certaines des colonies israéliennes attaquées le 7 octobre ont été construites.

Ces Palestiniens déracinés faisaient partie des 750 000 Palestiniens qui ont perdu leur maison et sont devenus des réfugiés. (…)

Enfin, il y a aussi le contexte historique du siège de Gaza, qui dure depuis 16 ans et dont près de la moitié de la population est constituée d’enfants. En 2018, l’Onu avertissait déjà que la bande de Gaza deviendrait un endroit impropre à la vie humaine d’ici 2020.

Il est important de rappeler que le siège a été imposé en réponse aux élections démocratiques remportées par le Hamas après le retrait unilatéral d’Israël du territoire.

Il est encore plus important de remonter aux années 1990, lorsque la bande de Gaza a été encerclée par des barbelés et déconnectée de la Cisjordanie occupée et de Jérusalem Est à la suite des accords d’Oslo.

L’isolement de Gaza, la clôture qui l’entoure et la judaïsation accrue de la Cisjordanie montrent clairement qu’aux yeux des Israéliens, Oslo signifie une occupation par d’autres moyens, et non une voie vers une paix véritable.

Israël contrôlait les points de sortie et d’entrée du ghetto de Gaza, surveillant même le type de nourriture qui y entrait, la limitant parfois à un certain nombre de calories. Le Hamas a réagi à ce siège débilitant en lançant des roquettes sur des zones civiles en Israël. »