La guerre à Gaza nourrit la crise politique aux Etats-Unis
La Chambre des représentants adoptent une motion de censure contre Rachida Tlaib démocrate d'origine palestinienne et membre du Parti DSA, pour ses prises de positions en faveur des Palestiniens.
- Etats-Unis, Palestine
« Les Etats-Unis ont joué un rôle critique pour rendre ces terres (la Palestine) à Israël en 1948. » « Israël est un allié essentiel aux Américains et à nos intérêts sécuritaire nationaux stratégiques au Moyen-Orient. » C’est la Chambre des représentants elle-même qui décrit en ces termes la relation des Etats-Unis et d’Israël, dans les considérants d’une motion de censure qu’elle a adoptée contre Rachida Tlaib.
En un mot, Israël est la pointe avancée des Etats-Unis au Moyen-Orient : si ce n’est pas une découverte, le Congrès exprime cela avec une franchise déconcertante. La politique israélienne est un élément de la politique intérieure américaine : la manière dont les Etats-Unis ont pu imposer la trêve de quatre jours au gouvernement Netanyahou en témoigne. Ces relations font cependant que toute crise en Israël est une crise aux Etats-Unis.
Et, de fait, l’impérialisme américain est aujourd’hui divisé sur le point jusqu’auquel il peut aller dans son soutien au gouvernement Netanyahou et à l’écrasement en cours des Palestiniens.
La Chambre a été presque unanime à voter une résolution affirmant que « la Chambre se tient aux côtés d’Israël alors qu’il se défend contre la guerre barbare initiée par le Hamas et d’autres groupes terroristes, réaffirme le droit d’Israël à l’autodéfense, […] se tient prête à aider Israël avec des fournitures d’urgence et tout autre soutien militaire, diplomatique ou de renseignement ». Cependant, ces sentiments sont loin d’être unanimes dans le pays.
En témoignent d’importantes manifestations en faveur de la Palestine avec la présence remarquée de milliers de jeunes juifs, brandissant des pancartes « Pas en notre nom ! », et mettant directement en cause le gouvernement Biden.
L’électorat juif américain est majoritairement Démocrate, et a longtemps servi de base au soutien du Parti démocrate au sionisme, mais il est aujourd’hui divisé. S’y ajoute la façon dont la guerre à Gaza choque les Arabes, les Latinos, qui y voient une expression nue de la politique menée par les Etats-Unis en Amérique latine, dont elle choque l’électorat noir, dont elle choque l’ensemble des électeurs traditionnels du Parti démocrate.
Cela inquiète aux sommets de l’appareil Démocrate : les élections de 2024 s’annoncent serrées entre Trump et Biden, et cela pourrait suffire à faire monter l’abstention de l’électorat Démocrate, et à faire basculer l’élection. Le taux d’approbation de Biden est à son plus bas (40 %), alors que 56 % des électeurs et 30 % des électeurs Démocrates désapprouvent la façon dont Biden gère cette guerre.
51 des 300 employés des instances dirigeantes du Parti démocrate ont ainsi communiqué au HuffPost le 3 novembre une lettre dans laquelle ils pressent Biden de prendre position en faveur du cessez-le-feu.
Cette inquiétude ne se limite pas à des questions d’opportunisme électoral. Le Wall Street Journal du 16 novembre rapporte : « Le président Biden a appris ces derniers temps ce à quoi ressemble la vie pour les présidents Républicains. Une partie de l’Etat profond, pour reprendre cette expression, se révolte contre son soutien à Israël contre les terroristes du Hamas responsables du massacre du 7 octobre. Des dépêches rapportent que pas moins de 500 employés, y compris de haut niveau, de 40 agences, dont le Conseil de sécurité national et le département de la Justice, ont envoyé une lettre à M. Biden lui demandant d’appeler à un cessez-le-feu et à une “désescalade” entre Israël et le Hamas : “Les Américains ne veulent pas que l’armée américaine soit entraînée dans une nouvelle guerre coûteuse et absurde au Moyen-Orient.” »
« L’Etat profond » auquel fait référence ce journal est la théorie conspirationniste d’extrême-droite selon laquelle l’Etat américain serait dirigé en sous-main par des libéraux ayant empêché notamment Trump de déployer sa politique : de fait, une partie de l’appareil d’Etat craint les conséquences de la politique américaine au Moyen-Orient et la déflagration générale qu’elle pourrait entraîner.
Les Républicains aussi sont divisés : si le soutien à Israël ne fait pas débat, la question du financement de l’Ukraine, que le gouvernement Biden cherche à lier à celui d’Israël, entraîne une vive opposition de la minorité trumpiste, qui est nécessaire aux Républicains pour maintenir leur majorité à la Chambre. Et concernant la guerre à Gaza, le Wall Street Journal, qui est la voix du capital financier américain et qui a été le seul quotidien d’envergure nationale à soutenir la candidature de Trump en 2016, écrit dans un éditorial du 27 novembre : « Mais chaque jour que dure la trêve donne plus de temps aux jihadistes pour se regrouper, se glisser hors de Gaza ou préparer des attaques contre les Israéliens. Et plus elle dure, plus augmentent les risques d’un cessez-le-feu, ce qui est ce que le Hamas veut vraiment. »
Les contradictions entre les besoins du capital financier américain de resserrer, au travers d’Israël, la domination américaine sur le Moyen-Orient d’une part, et les possibilités, d’autre part, tant à Gaza même qu’aux Etats-Unis, de le faire entraînent une crise politique profonde qui traverse les deux partis.
L’unité réalisée sur des votes au Congrès ne parvient pas à masquer l’opposition profonde d’une grande partie de l’électorat Démocrate à la politique du gouvernement Biden, alors même qu’aucun recours autre que Trump, synonyme de crise ouverte, n’apparaît du côté Républicain. La guerre à Gaza nourrit la crise politique intérieure américaine, alors même que les manifestations propalestiniennes ne faiblissent pas.