« Ne pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages »
L’affaire de l’établissement de l’Immaculée-Conception à Pau (dont le directeur a été suspendu par la rectrice de l’académie de Bordeaux le mois dernier) ne peut être séparée de l’offensive macroniste que le gouvernement Barnier-RN va poursuivre contre l’Enseignement… public !
- Ecole, Laïcité, Tribune libre et opinions

De 1882 à 1940, l’Église catholique finançait ses propres écoles. Aujourd’hui, la parenthèse ouverte par le régime de Vichy qui, le premier, a commencé à attribuer des fonds publics à l’école privée, élargie dans les dimensions que l’on sait par la loi Debré de la Ve République, ne peut que développer l’injustice et la confusion la plus totale si elle n’est pas refermée sans condition par une abrogation nette et sans bavure de la loi Debré et des lois antilaïques qui l’ont suivie.
L’affaire de l’établissement de l’Immaculée-Conception de Pau en offre un saisissant exemple, qui évidemment ne peut être séparée de l’offensive macroniste que le gouvernement Barnier-RN va poursuivre contre l’Enseignement public, et qui suscite son rejet par les personnels, les jeunes et les parents.
Le 11 septembre 2024, plusieurs médias faisaient savoir que le chef de l’établissement privé catholique sous contrat, le « plus grand du Béarn », l’Immaculée-Conception1Pour donner une idée de l’importance de l’établissement, le site de l’académie de Bordeaux indique qu’en 2022, il a été attribué 56 249 euros d’argent public dans le cadre d’Erasmus à l’Ogec (organisme de gestion de l’enseignement catholique) – Ensemble scolaire Immaculée-Conception – Montpensier – Saint-Vincent-de-Paul – Beau-Frêne, à Pau. à Pau, a été suspendu par la rectrice de Bordeaux, représentante d’une ministre démissionnaire, « pour atteinte à la laïcité et aux valeurs de la république ». Il s’agissait donc de faire respecter la « laïcité » par un établissement qui, déjà, s’appelle… l’Immaculée-Conception, à propos de laquelle, à une époque où la bourgeoisie était révolutionnaire, Voltaire pouvait se permettre de rappeler « l’opinion attribuée tantôt à Saint Augustin, tantôt à Saint Ambroise, suivant laquelle “l’ange fit à Marie un enfant par l’oreille” » (Rire et érudition chez Voltaire, de Christiane Mervaud).
De curieuses célébrations des « valeurs de la République »
Une semaine auparavant, toujours pour célébrer les « valeurs de la République », sa collègue, rectrice de Montpellier, s’est permis d’organiser, le 5 septembre 2024, une cérémonie dans un lycée public, le Champollion, à Lattès, en compagnie de la présidente locale du Crif, fédération d’organisations politiques, sociales et religieuses, au mépris de la neutralité de l’institution scolaire publique. 2 La Fnec-FP-FO a interpellé la ministre de l’Éducation nationale à ce sujet.
Un grand portrait de Simone Veil a été peint sur le lycée, ce jour-là. A-t-on dit aux élèves réunis pour l’occasion que Simone Veil avait soutenu, le 24 juin 1984, avec Giscard, Chirac et Le Pen, la manifestation de la droite et l’extrême droite pour « l’École libre » ?
On se souvient également, de la chasse aux élèves portant certains habits dans les établissements publics, par Gabriel Attal, instrumentalisant la « laïcité » pour faire des clins d’œil au RN devenu expert en la matière. Qui peut croire encore aujourd’hui, que les recteurs aux ordres de ce régime antirépublicain qu’est la Ve République, pourraient être un rempart de la loi de 1905 ? Celles ou ceux qui voulaient rester honnêtes ont su démissionner.
Concernant la suspension du chef d’établissement l’Immaculée- Conception, à Pau, la « fédération de l’enseignement privé CFDT, premier syndicat de l’enseignement privé [a pris] acte et se satisfait de la décision de la rectrice de Bordeaux ».
Le syndicat Unsa de l’enseignement privé, « l’un de ceux qui avaient donné l’alerte », selon La Dépêche, dit sa « satisfaction de voir que l’État joue son rôle de contrôle »3« L’obligation de laïcité doit s’appliquer de la même manière partout. Je ne sais pas ce qui s’est passé à l’Immaculée-Conception. Le ministère va vérifier que les règles sont respectées. Si elles ne le sont pas, il y aura des décisions prises. » Ces paroles sont celles du maire de Pau, chef du Modem, François Bayrou dont chacun se souvient qu’il avait voulu en 1994, permettre aux collectivités d’augmenter leurs subventions aux écoles privées en aggravant la sinistre loi Falloux. À Pau, comme dans tout le pays, les faux culs, comptez-vous..
Ils seront suivis par le syndicat CGT de l’enseignement privé, qui rappelle à cette occasion qu’il est pour « un seul service public de l’Éducation, laïque, avec fonctionnarisation de tous les personnels qui le souhaitent ».
Si on en croit la FEP CFDT, cette unification est en bonne voie. En effet, elle est « convaincue que les établissements privés sous contrat s’inscrivent pleinement dans le service public d’éducation ». C’est l’argument principal des défenseurs de la loi Debré pour justifier les milliards de fonds publics attribués à l’école privée au détriment de l’école publique.
Les employeurs, dirigeants de l’enseignement catholique sous contrat, ne lui en savent pas gré. Le collège employeur de la confédération de l’enseignement privé non lucratif (CEPNL), organisation professionnelle « représentante des employeurs associatifs dans le secteur de l’enseignement privé de la maternelle au supérieur », a réagi en accusant la FEP CFDT d’un manque de « loyauté » (sic) et d’être une « cinquième colonne dans l’enseignement libre ».
Mais la « cinquième colonne » de qui ? Certainement pas de l’École laïque dont la FEP CFDT a toujours remis en cause sa « neutralité » qui était le principe de base de ses fondateurs et qui devrait le rester.
« Faire admettre la légitimité » de l’Église dans l’enseignement public
Peut-être est-elle la représentante de ceux qui dans les milieux catholiques défendent toujours, comme en 1984, l’orientation, illustrée par ce proche du Cardinal Lustiger, Jean Duchesne, militant du SGEN-CFDT, cofondateur de la revue théologique mondiale Communio, qui déclarait que « le rapprochement entre les établissements privés et publics » était de l’intérêt de l’Église pour « christianiser la culture » (Le Quotidien de Paris, juillet 1984).
Lustiger, quant à lui, déclarait dans le même journal, que les catholiques avaient bataillé, depuis un demi-siècle « pour faire admettre la légitimité de leur présence dans l’enseignement public, comme enseignants… »
Mais, me direz-vous, qu’en est-il du chef de l’Immaculée-Conception auquel on reproche le caractère « réactionnaire » d’intervenants extérieurs, l’obligation du catéchisme ainsi qu’une vision « vendéenne » de l’enseignement de l’histoire de la révolution4Au sujet de l’enseignement de l’histoire de la révolution française, on peut se demander s’il ne s’agit pas de l’« hôpital qui fait des reproches à la charité ». En effet, nombre de professeurs prennent sur eux pour protéger les élèves de l’idéologie réactionnaire de François Furet qui règne encore sur les programmes officiels, et qui diffuse notamment la haine de Robespierre, et vante les mérites de l’esclavagiste et monarchiste Olympe de Gouge.?
La fédération CFDT et d’autres lui reproche « des atteintes à la mission de transmission des valeurs de la République par le chef d’établissement. » Mais, mesure-t-on le caractère hypocrite de la loi Debré et du Code de l’Éducation qui prétendent faire cohabiter le respect du « caractère propre » de l’établissement confessionnel et celui de « la liberté de conscience » ?
En effet, l’État, par la voix de la Rectrice de Bordeaux, à la suite d’une délibération de l’organe corporatiste qu’est le Conseil académique de l’Éducation5Depuis la réforme Jospin de 1989, une pyramide corporatiste de conseils chapeaute l’Éducation (qui n’est plus appelée nationale) où se retrouvent public et privé, syndicalistes et élus politiques, patrons et associations de toutes sortes. Tout en haut, c’est le Conseil supérieur de l’Éducation où on retrouve d’ailleurs côte à côte la FEP CFDT et les chefs d’établissement du privé catholique. On observe par ailleurs que FEP CFDT et Sgen CFDT y interviennent ensemble, comme s’ils voulaient signifier qu’ils sont prêts à une entrée du privé dans l’enseignement public., décide de suspendre un chef d’établissement privé qui, lui, a été nommé, en revanche, selon le statut de l’Enseignement catholique, par une autorité de tutelle « agréée ou mandatée par l’évêque du diocèse, [qui] garantit l’authenticité évangélique de l’école ». À ma connaissance, le statut de l’enseignement catholique en France est conforme à la légalité de la Ve République, telle que la loi Debré l’a constituée.
Le « collège des employeurs » de l’enseignement privé catholique a décidé, en toute charité chrétienne, de punir collectivement les salariés de l’enseignement privé, en décidant de suspendre « toutes les négociations non obligatoires, de suspendre aussi tous les accords de méthode et de revoir l’intégralité du périmètre des négociations 2024-2025, jusqu’à ce que soit éclaircie par écrit l’unanimité loyale des parties comme condition préalable à toute forme de discussion. »
Curieux secteur professionnel où la lutte des classes est remplacée par un concours de « loyauté » et d’obligation d’« unanimité » entre les « partenaires sociaux ».
Curieux ? Non, si on songe à ce qu’est la doctrine sociale de l’Église, prônant la participation et l’association capital-travail.
Préoccupant, si l’on songe qu’il peut servir de modèle dans l’enseignement public qui est déjà infecté par les mesures de territorialisation de l’École, les nouvelles gouvernances académiques, expérimentation marseillaise d’écoles à caractères propres locaux, et autres « cités éducatives »…tandis que des milliers de postes de professeurs manquent ou sont menacés.
Nullement démoralisant, quand on sait que les jeunes, les parents, les enseignants n’acceptent pas ce gigantesque gâchis.
