Kanaky (Nouvelle-Calédonie) : une délégation kanak de retour de l’Onu à Genève
A Ia suite d’une rencontre entre une délégation du CCAT FLNKS et le Comité international contre la répression (Cicr) et avant leur retour dans leur pays, Aude Forest et Désiré Tein ont accordé une interview à Informations ouvrières.
- Actualité internationale, Kanaky (Nouvelle-Calédonie)

Vous êtes de retour de votre délégation à Genève. Comment s’est passé votre plaidoyer auprès des instances de l’Onu ?
Aude Forest : On a passé cinq jours à Genève, cinq jours pendant lesquels on a pu rencontrer différentes ONG et associations pour parler du combat de la Kanaky et notamment des emprisonnements.
Le plaidoyer s’est fait le premier jour de cette session. Et ensuite, pendant deux jours, la France a apporté ses réponses et ses compléments. Au sujet de la Kanaky, la réponse a mis la délégation française présente en difficulté et l’ambassadrice n’a pas clairement répondu aux questions posées par les rapporteurs.
Donc, à la fin de la session, le rapporteur général a laissé un délai d’une semaine à l’ambassadrice pour répondre à la question qui était : « Est-ce que la déportation est une pratique habituelle de la France ? »
La réponse de l’ambassadrice est clairement non. Mais dans quelle mesure la France va-t-elle rectifier les choses par rapport à la déportation, à l’isolement de Christian Tein depuis bientôt 300 jours ?
Ainsi qu’à la criminalisation de l’action politique, parce qu’il y a eu 3 000 interpellations. Il y a 300 jeunes et moins jeunes kanak qui sont incarcérés. On les appelle des prisonniers politiques. Ils sont incarcérés en Kanaky au Camp-Est et dans une quarantaine de prisons un peu partout dans l’Hexagone.
Lors de notre entrevue vous avez parlé du fait qu’il y avait une volonté de Macron de procéder à un « chemin du pardon » en Kanaky. Peux-tu nous expliquer un peu plus de quoi il s’agit ?
Désiré Tein : De quoi s’agit-il ? Le « chemin du pardon », c’est ce qui s’est passé lors de l’avant-dernier passage du président Macron dans le pays, sur la place où il y a les statues de Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur.
Il a lancé ça devant la foule, comme ça, et a annoncé qu’un « chemin du pardon » va être mis en place. Il a ensuite demandé au président du gouvernement de se charger de cette tâche. C’était en 2022.
Après réflexion, et au vu des faits, nous nous sommes aperçus que le pardon qu’il demandait, c’était que ce devait être à nous Kanak de faire une demande de pardon à la France. Alors que c’est la France qui nous a colonisés !
C’est le monde à l’envers. Et ensuite, lors des réunions qu’on a faites, par exemple à l’Union calédonienne, qui est l’une des plus grandes composantes dans le FLNKS, nous avons botté en touche sur cette affaire.
Nous sommes en train de travailler sur la question de la justice transitionnelle, pour l’instant. La personne qui s’occupe de ça, c’est Emmanuel Kouriani qui est en train de finir une thèse là-dessus. Il s’agit de tout reprendre, par rapport à la spoliation des terres, par rapport au traitement que les Kanak ont subi depuis… depuis 1853.
Un dernier point pour reparler de l’actualité. Apparemment il va y avoir des négociations concernant l’avenir de la Kanaky. Peux-tu nous en dire plus ?
Désiré Tein : Depuis le troisième référendum, que nous avons contesté, il y a eu une rupture des discussions entre l’État et les indépendantistes. Parce que le 13 mai est arrivé et là ça a été carrément la coupure. Il y a eu des tentatives de discussion avec les ministres qui ont précédé Manuel Valls, et puis Manuel Valls est devenu ministre de l’Outre-mer.
Comme il était dans l’équipe qui accompagnait Michel Rocard lors de l’élaboration et de la négociation des accords de Matignon, qui ont ensuite débouché sur l’accord de Nouméa, il est venu pour essayer de voir comment il pouvait arranger les choses. Il a fait des propositions, il a lancé une invitation et le FLNKS s’est déplacé avec quatre personnes.
Mais nous, en tant que structure politique sur place, on a dit : « Vous allez écouter mais n’engagez rien dans la discussion ».
Et c’est comme ça que ça a démarré tout doucement.
Les discussions ont repris… Enfin, les discussions… disons que le contact a été repris. Le mot d’ordre du FLNKS est de dire : « Vous y allez, en phase préparatoire. Continuez à voir. Les négociations viendront après mais seulement avec la présence du président du FLNKS [Christian Tein] ».
Voilà où on en est encore aujourd’hui. C’est la condition sine qua non pour pouvoir entamer quelque dialogue que ce soit.
Quelque dialogue que ce soit, parce qu’au bout des dix ans de rééquilibrage des accords de Matignon et les vingt ans d’accord de Nouméa, les Kanak, au niveau social, au niveau économique, ne s’y sont pas retrouvés.
Et l’explosion qu’il y a eu, c’est un peu toutes ces remontées de la population, de la jeunesse. Là aujourd’hui, on se dit « on a fait déjà trente ans avec pas mal de morts, beaucoup de morts de chez nous ».
On a dit qu’aujourd’hui, la démarche à suivre, c’est la pleine souveraineté. Et là, la trajectoire qu’on s’est fixée dans la phase préparatoire, c’est pour aboutir dans les négociations.
On a même fixé une date limite : c’est le 24 septembre 2025 pour la déclaration de la pleine souveraineté. Ensuite, les négociations viendront. Ça va être entre l’État français et la Kanaky, pour la suite.
