Kanaky-Nouvelle Calédonie : dégel du corps électoral, touché… mais pas coulé
Liberté immédiate pour Christian Tein, président du FLNKS, et pour ses camarades !
- Actualité internationale, Kanaky (Nouvelle-Calédonie)

S’il ne s’agissait pas de l’avenir d’un peuple et de sa jeunesse, s’il ne s’agissait pas des onze victimes kanaks abattues par la gendarmerie – après tant d’autres –, s’il ne s’agissait pas du sort de Christian Tein, président du FLNKS, et de ses camarades emprisonnés à l’isolement à 20 000 km de leur pays, s’il ne s’agissait pas… alors les volte-faces pleines de duplicité de Macron, de Barnier et de leurs amis à l’Assemblée nationale, au Sénat et ailleurs pourrait prêter à sourire.
Acte I
Le Premier ministre Barnier déclare à l’occasion de son discours de politique générale (voir par ailleurs) : « Le projet de loi constitutionnel sur le dégel du corps électoral adopté en mai dernier par les assemblées parlementaires ne sera pas soumis au Congrès. » Ce projet qui a suscité la révolte, la mobilisation du peuple et de la jeunesse kanake prévoit, comme on le sait, d’élargir le vote dans l’archipel aux résidents de plus de 10 ans.
Par conséquent de rendre davantage encore le peuple kanak minoritaire dans son propre pays. Barnier annonce donc le 1er octobre le report, jusqu’à la fin 20251La réforme faisait mention, d’une date limite fixée au 1er juillet 2024 pour qu’un accord soit trouvé. Entre-temps, Macron a dissous l’assemblée de fait le texte en l’état le texte est caduque. – date maximale fixée par le Conseil d’État. « Les assemblées auront à se prononcer sur le report par une loi organique et une mission sera conduite par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. »
Exit le projet scélérat ?
Acte II
Nicolas Metzdorf, député macroniste de Nouvelle-Calédonie, l’homme qui a présenté le projet de loi sur le dégel du corps électoral prend alors la parole avec véhémence, parle de « trahison » et menace de voter la censure au gouvernement Barnier. Des poids lourds de ce qui subsiste de la macronie le soutiennent ostensiblement et expriment leur mécontentement. Nicolas Metzdorf ajoute qu’il a eu le président Macron au téléphone et que le président a été surpris par les propos de Barnier. On apprendra le surlendemain par le site en ligne Politico « que le chef de l’État n’était pas au courant des annonces de Barnier (…), il avait demandé à ce dernier de ne pas parler à ce sujet [le corps électoral] ».
Poker menteur et crise du régime
Acte III
Selon l’AFP, « deux députés calédoniens, un indépendantiste et un non-indépendantiste ont profité des questions au gouvernement pour éclaircir sa position sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ». Barnier leur répond qu’il « souhaite prendre le temps de retravailler la question du corps électoral ». Son ministre des Outremers déclare de son côté : « Le Premier ministre s’est exprimé très clairement sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie et sur l’avenir de tous les Calédoniens, je dis bien de tous les Calédoniens. » Une journaliste commente : « Dégel total ? Dégel partiel ? Statut quo ? »
Acte III (suite)
Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, qui avec Gérard Larcher, président du Sénat, va piloter la mission confiée par Barnier, déclare : « Évidemment que la question du corps électoral fait partie des sujets dont il faut discuter. C’est une évidence. On parle de démocratie, cela en fait partie. »
Acte IV
Le 2 octobre, Michel Barnier s’exprime devant le Sénat : « Devraient être abordées l’organisation, les compétences des pouvoirs locaux, la compétence du corps électoral, son élargissement pour les élections provinciales. »
Acte V
On lit dans La Tribune Dimanche (6 octobre), l’interview de Barnier-le joueur de bonneteau, résumant ses annonces du 1er octobre : « Un report des élections qui était prévu et la non-saisine du Congrès pour entériner le dégel initialement prévu du corps électoral (…). Je me rendrai moi-même le temps venu en Nouvelle-Calédonie. »
Alors, quel Barnier dit vrai ? Celui de l’Assemblée, le 1er octobre, celui du Sénat le lendemain, celui de La Tribune, le 6 octobre ? Et quid des déclarations de Yaël Braun-Pivet ? Et du ministre des « Outremers » ? Même Arlequin ne saurait plus où donner de la tête.
Cette séquence nous montre deux choses au moins. La première : l’extrême fragilité et instabilité d’un gouvernement assis sur une tête d’épingle. Il ne tient debout que par la « grâce » d’institutions pourries et à l’immense mansuétude du RN.
Cette séquence montre également que Barnier a beaucoup promis et à beaucoup de monde à Paris et en Kanaky.
En guise d’épilogue (très) provisoire
Quand et combien de temps tout cet enfumage va-t-il durer ?
Nous l’ignorons, bien entendu. Macron et Barnier sont des apprentis sorciers.
Mais ce que nous savons par contre c’est que par-delà les Barnier et leur existence plus ou moins éphémère, l’État colonial français et ses divers comparses, même en crise, dispose d’une longue expérience de manipulation, de trucages de toute sorte, et bien sûr de la répression directe.
Le chantage au chaos qu’il organise lui-même fait partie de la rhétorique ancestrale. Et quoi de mieux que les « discussions institutionnelles » dites statutaires. Il y a plein d’experts sur le sujet : « Les vieux qui étaient déjà là du temps des accords de Matignon et de Nouméa, ils essaient de faire valoir “leur expérience” et de se faire valoir du même coup. » Et les jeunes qui ont fait des thèses sur toutes les variations de « l’indépendance-association » cherchent une place de conseiller dans le cloaque de la Ve République. Place rémunérée de préférence.
Pour notre part, ce que nous savons et que chacun peut constater, c’est que la Kanaky est occupée depuis 171 ans par la France. Département depuis 1946, c’est-à-dire, 78 ans, soit trois générations, le bilan de cette domination c’est la faillite. Songeons qu’il y a 150 ans, plusieurs centaines de milliers de Kanaks peuplaient le pays. Ils sont 100 000 aujourd’hui environ.
Quant à la décolonisation, on le constate, elle va bon train. Le peuple kanak n’a toujours pas la faculté de choisir son chemin.
Ce que nous savons, c’est qu’aujourd’hui, la justice continue son implacable travail. Ce que nous savons c’est que 6 000 hommes armés (gendarmes et police) occupent et quadrillent le pays. Ce que nous savons c’est que Christian Tein et ses camarades sont depuis trois mois et demi au fond d’un cachot et à l’isolement.
Enfin, ce que nous savons, c’est que l’État colonial et ses comparses veulent étouffer les cris du peuple kanak et singulièrement des militants embastillés.
Ce que nous savons également c’est qu’à l’appel du Cicr, des syndicalistes, des militants des droits de l’homme, des organisations syndicales et populaires de Guadeloupe et de Martinique exigent la libération des emprisonnés. Il y a urgence.
