Paris, Saint-Brieuc, Saint-Etienne… : à la rencontre des éboueurs en grève
Reportages et interviews transmis par nos correspondants les jours précédents le 13 avril.
- Lutte de classe, Retraites
SAINT-BRIEUC (22)
Sixième semaine de grève
Les éboueurs de l’agglomération de St-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor, sont entrés dans leur sixième semaine de grève pour le retrait de la réforme des retraites.
Jean-Stéphane et Mathias (secrétaires généraux du syndicat CGT Agglo-St-Brieuc) nous racontent :
« A l’appel de la CGT, une AG du personnel s’est tenue le 2 mars dernier. Il a été décidé de démarrer la grève le 7 mars. On s’est tous dit : “L’heure est grave, pour nous avec nos métiers pénibles, pas question de faire 2 ans de plus … !”.
On attendait le moment propice pour partir en grève, et quand on a su qu’il y avait des appels un peu partout, chez les éboueurs, dans les raffineries, les dépôts …, on s’est dit : c’est le moment !
La grève a pris de l’ampleur, surtout à partir du 49-3. Il y a 50 à 60% de grévistes sur une centaine de salariés sur le site des Châtelets. Il faut dire que dans les AG qui se tiennent maintenant chaque semaine il n’y a aucun salarié qui s’est opposé à la grève. La dernière AG a décidé la reconduction jusqu’au vendredi 14 avril, la prochaine AG se tient jeudi 13 avril pour décider de la suite.
Il y a une bonne cohésion des salariés, un piquet de grève en permanence dès 5h du matin. Nous avons lancé une caisse de grève sur Litchi (lien sur Facebook CGT St-Brieuc agglo). On a organisé des roulements pour la grève afin que les gars ne perdent pas trop de salaire. Il faut savoir qu’un ouvrier catégorie C, touche un salaire de 1300 € net; 1900€ pour les plus anciens !
Notre mouvement de grève reste populaire et beaucoup de gens nous disent : “Vous avez raison !”.
Un exemple, on a été reçu par les élus à la communauté d’agglomération : le président de l’agglo nous a dit : “Votre mouvement est illégal … mais la réforme des retraites aussi est illégale !”
L’enjeu de cette grève est de taille : 2 ans de plus avant de pouvoir prendre sa retraite, ce n’est pas rien !
PARIS
A la veille d’un nouvel appel à la grève reconductible
A l’issue d’une assemblée syndicale qui remplissait toute la salle Henaff de la bourse du travail de Paris, une conférence de presse a réuni, le 12 avril :
– Régis Vieceli, secrétaire du syndicat CGT de la filière traitement des déchets et assainissement, principal syndicat du nettoiement à la Ville de Paris ;
– Ali Chaligui, membre du bureau de la CGT des activités déchets (secteur privé) ;
– François Livartowski, secrétaire fédéral de la CGT services publics.
Le but de cette conférence de presse était la présentation de leur appel conjoint à la grève reconductible à partir du 13 avril, dans le cadre de la mobilisation générale pour le retrait du projet Macron sur les retraites.
Aux questions des nombreux journalistes présents, Régis Vieceli a répondu que « qu’elle que soit la décision du conseil constitutionnel, la réforme doit tomber ! ». La mobilisation est telle « qu’aucun syndicat ne peut siffler la fin de la récréation. »
Il a rappelé qu’un éboueur 6 heures par jour sur une benne, qu’un égoutier confronté à l’insalubrité en permanence, ne peuvent supporter 2 ans de travail supplémentaires !
Il a indiqué sa confiance dans la capacité de mobilisation des travailleurs et sa confiance dans la nouvelle direction de la CGT. Il a d’ailleurs annoncé la participation de la nouvelle secrétaire confédérale, Sophie Binet, au piquet de grève de l’incinérateur d’Ivry le lendemain, jeudi.
Ali Chaligui a insisté sur les conditions de travail identiques dans le privé et le public et l’entrée dans la mobilisation du privé depuis le 6 mars.
Il a précisé aussi qu’à égalité de conditions de travail, la retraite est à 62 ans pour le privé et à 57 pour le public. Le droit syndical dans le prive étant plus difficile à exercer que dans le public.
François Livartowski a souligné le caractère inédit de la mobilisation engagée depuis 3 mois et a cité de nombreuses grèves dans le secteur du nettoiement depuis plusieurs semaines en province et en banlieue parisienne, notamment à Saint-Brieuc, Nantes, dans l’Essonne…
« Les blocages ont été renforcés par des salariés d’autres secteurs, des jeunes, des citoyens révoltés par le déni de démocratie. » Et d’ajouter : « Le Conseil constitutionnel n’est pas un Comité de Salut public. La mobilisation de tous est indispensable pour arracher le retrait. »
LIBOURNAIS-BLAYAIS (33)
« Les actions sont quotidiennes »
Rencontre (le 11 avril) avec des militants CGT du Smicval (syndicat de collecte des ordures ménagères du Libournais-Blayais en Gironde).
Les agents en grève et militants occupent un rond-point à Saint-Denis-de-Pile (commune où se trouve le siège du Smicval) et distribuent des tracts à la population pour expliquer le sens de leur grève et appeler les autres salariés et usagers à les soutenir et les rejoindre lors de la journée du 13 avril. Discussion avec le responsable du syndicat :
« Nous avons fait grève les 7 et 8 avril. Aucune collecte n’a eu lieu ces jours-là. Depuis, les actions sont quotidiennes et nous allons poursuivre les débrayages. Nous allons poursuivre le mouvement avec occupations des ronds-points et opérations escargot. Il faudrait un blocage total.
Pour nous, la pénibilité est une question importante que la réforme supprime. Impossible d’accepter cela.
Autrefois, nous pouvions travailler 37,5 années et partir à 55 ans. Aujourd’hui, c’est plus de 40 ans et pas de départ avant 60 ans. Je partirai avec 44 années de cotisation si la réforme passe, j’ai enterré deux copains récemment. Pour nous, il ne faut pas l’oublier, l’espérance de vie est de 10 ans plus faible que dans les autres professions. »
SAINT-ETIENNE (42)
L’assemblée générale définit les revendications
Au petit matin, nous sommes allés vendredi 7 avril, à deux camarades du POI, interviewer des éboueurs en grève. L’historique de la grève nous a été fait par un camarade responsable de la CGT. Le lecteur notera que l’intimidation des grévistes, via notamment des procédures judiciaires, est à l’œuvre dans ce conflit…
La grève a commencé le jeudi 28 mars sur décision d’une réunion interprofessionnelle de la CGT, puis d’une intersyndicale CGT et Sud. La décision a été prise par les éboueurs en assemblée générale de partir en grève jusqu’au lundi 3 avril en l’insérant dans le mouvement d’ensemble contre la réforme des retraites et en y associant les revendications de leur secteur professionnel.
Le lundi, l’assemblée générale des grévistes a décidé de poursuivre la grève jusqu’au jeudi 6 avril, jour de la manifestation. Ce même lundi, deux syndicalistes grévistes étaient assignés en justice devant deux tribunaux, à la fois au tribunal administratif de Lyon et au tribunal judiciaire de Saint-Etienne, plaçant les prévenus devant l’obligation d’être dans deux lieux à la fois ! Le syndicat fut donc dans l’obligation de prendre deux avocats…
Le tribunal administratif exige « arrêt du blocage » de sortie des camions par le piquet de grève et le dispositif palettes + pneus sur le trottoir sous prétexte qu’il pouvait gêner les déplacements des piétons (sachant que les locaux de ce service technique de la ville se trouvent dans une zone pour ainsi dire inhabitée, où les piétons éventuels sont donc d’une grande rareté !). Le TJ prend la même décision…
« Malgré le déblocage du site il ne sort aucun camion ni le lundi, ni le mardi. Les personnels en CDD qui ne font pas grève ne bougent pas et le mercredi 6 avril, seuls 4 camions sortent », nous disent les délégués du syndicat. « Bien sûr la direction joue sur les différences statutaires entre titulaires et CDD en préférant ne pas céder sur les revendications des titulaires, quitte à payer les CDD, non-grévistes et non employés, pour les opposer aux grévistes… »
Des négociations ont pu commencer, malgré de multiples entraves de l’employeur. Mais les délégués des grévistes élus par l’assemblée générale sont partie prenante des négociations sur la base des revendications décidées par l’AG :
1 – contre la modification des tournées,
2 – contre l’embauche systématique de CDD et la titularisation des CDD actuels,
3 – contre les menaces d’aggravation de la pénibilité par le passage de 6 jours de travail à 4 avec des tournées rallongées et sans augmentation des effectifs en personnel,
4 – pour le règlement du problème posé par le plein des camions à gaz à faire dans une station-service loin du site, ce qui prend beaucoup de temps (trajet + clientèle qui fait la queue) et de fatigue en plus, donc demande de cuves à gaz attenant au site technique concerné pour effectuer les pleins.