Ahmed Berrahal : « Faire bloc contre ce gouvernement qui prône la haine ! »
Syndicaliste CGT à la RATP, Ahmed Berrahal dénonce la criminalisation par le pouvoir de toute manifestation de solidarité avec les Palestiniens et s’inquiète du climat de haine contre les immigrés que le gouvernement tente d’installer.
- Palestine, Tribune libre
Ta réaction sur le massacre en cours à Gaza ?
Ahmed Berrahal : Je suis horrifié. Mais je dois dire que je suis aussi scandalisé par le traitement qui en est fait ici en France, par le gouvernement, les politiques, les médias français. C’est incroyable de voir comment ils traitent la situation. A les entendre, que des milliers de gens, des femmes, des enfants, meurent à Gaza, ce n’est apparemment pas très grave. Leur ligne, c’est de soutenir l’Etat d’Israël, qui aurait « le droit de se défendre ».
Et on n’a pas le droit de dire autre chose ! C’est du jamais vu ! Où est-on sérieusement ? Dans ce pays, l’Etat interdit des manifestations qui exigent la paix, donc l’arrêt des massacres de Palestiniens. Dans ce pays, manifester pour la paix te coûte 135 euros d’amende ! Mais dans quelle démocratie on est, là ?
Comment peut-on accepter que Gaza soit bombardée, jour et nuit, que tout le monde y soit tué… et faire comme si de rien n’était ?
Pour imposer à tout le monde de laisser faire, il est martelé que le Hamas est terroriste. D’accord. Mais a-t-on le droit de se demander si l’Etat d’Israël n’est pas terroriste en ce moment en bombardant les gens jour et nuit, en tuant plus de 8 000 personnes dont une énorme part d’enfants et de femmes ? Ils n’ont rien demandé eux. Et quasiment personne ne prend leur défense publiquement à la télé.
On entend : « il faut exterminer le Hamas à tout prix ». Ce que je vois, c’est que ce sont surtout des enfants et leurs mères qui sont exterminés.
Et par ailleurs, sur la question du terrorisme, on a toujours intérêt à se méfier. Parce que je sais aussi que les militants en Algérie qui avaient pris les armes contre l’occupant français étaient eux aussi considérés comme terroristes… Ce n’est donc pas si simple.
Ce qui est simple en revanche, c’est que les Palestiniens meurent par milliers. Ce que je vois, c’est que des Palestiniens en Cisjordanie sont aussi tués. Donc là ce n’est pas le Hamas… mais ils sont quand même tués.
Donc concrètement, la France a pris position pour Israël et n’en a rien à foutre que les gens meurent à Gaza. C’est inadmissible.
Quelle est ta position, que faudrait-il dire selon toi ?
Pourquoi la France ne dit pas qu’il faut arrêter de bombarder ? Refuser que des gens soient massacrés, soutenir le droit pour le peuple palestinien de simplement vivre, c’est quand même quelque chose de simple. Ça devrait être une évidence.
Mais non seulement ce n’est pas ce qui est fait, mais en plus il est en réalité interdit de le dire. On est insulté de tous les noms : pro-Hamas, pro-terroristes, etc. Quand on voit comment est traité Mélenchon… c’est hallucinant.
Et cet acharnement médiatique a des conséquences. Quand tu vois le sort qu’a subi Karim Benzema… eh bien après tu te rends compte qu’on n’entend pas beaucoup d’autres footballeurs se prononcer…
Bah oui, quand tu vois ce que ça coûte, bah du coup, c’est vrai qu’il faut oser.
C’est un climat insupportable qu’ils ont installé. Et je dis bien : qu’ils ont installé !
Un climat insupportable : qu’entends-tu par là ?
Quand la France dresse des PV à ceux qui manifestent et exigent la paix, quand on entend certains se prononcer sur des plateaux télé de grande écoute pour le retrait de nationalité française à ceux qui manifestent et que personne sur le plateau ne trouve rien à y redire… Quand je vois qu’à la télé on peut dire qu’il faut « dégommer » les députés LFI et que ça ne pose pas de problème, qu’il n’y a pas de réaction… mais on n’est où là ? Oui ça cultive un drôle de climat. C’est très inquiétant.
Ce qu’on voit, c’est que c’est l’Etat, c’est le gouvernement, ce sont les institutions, qui fabriquent et rapportent la haine dans ce pays.
Les musulmans sont particulièrement ciblés. Être musulman, c’est être considéré, à les entendre, comme un futur terroriste. Pourquoi ? Parce que je soutiens les Palestiniens ? Mais cela n’a rien à voir avec le fait d’être ou non musulman. Moi, je soutiens tout simplement un peuple qui a été chassé de sa terre et qui est massacré ! Où est l’apologie du terrorisme là-dedans ?
C’est ce gouvernement qui prône la haine. La France a basculé dans un régime raciste et autoritaire… Un régime qui divise la population, qui pointe du doigt les musulmans, les immigrés ou enfants d’immigrés… Et qui répriment tous ceux qui refusent.
Et plus ça va, plus que j’en viens à me dire que ce gouvernement n’a plus de limites. Oui ils n’ont plus de limites.
Jusqu’où vont-ils nous entraîner ? Quand ils rabâchent sur toutes les chaînes de télé que Mélenchon est raciste et antisémite… Pour enfin nous expliquer qu’en réalité Madame Le Pen, c’est quelqu’un de bien finalement… Mais on est tombés sur la tête !
Que cherchent-ils ?
La classe ouvrière dans ce pays, c’est beaucoup d’enfants d’immigrés. C’est eux qui sont ciblés les premiers par les patrons. Il n’y a qu’à voir comment ça se passe dans n’importe quel plan de licenciement (et il y en a beaucoup). Et c’est eux que ce gouvernement a décidé de pointer. C’est irrespectueux pour tous ces travailleurs, ces gens qui se lèvent tôt pour aller bosser, qui font fonctionner ce pays mais qui aujourd’hui sont systématiquement considérés comme de potentiels terroristes… C’est vraiment très inquiétant ce qui se passe.
Alors que faire, comment réagir dans cette situation ?
De mon point de vue, on n’a pas beaucoup de choix : dans la classe ouvrière, dans la population, on doit se souder pour faire face à ce qu’ils sont en train de faire. On ne peut pas se déchirer. C’est pour ça que j’en veux beaucoup aux politiques dans la gauche qui ont décidé de s’en prendre à Jean-Luc Mélenchon. Si on n’est pas soudés, ensemble, alors, en face, ils ont un boulevard.
Ça peut être Marine Le Pen au pouvoir demain… Oui, ou simplement sa politique mise en œuvre par ce gouvernement. Et c’est ça, d’ailleurs, qui est en train de se passer. Il suffit d’écouter Macron, Darmanin, Attal parler… Ce sont les propos de Marine Le Pen. Ils ne se gênent même plus.
Oui, on doit faire bloc !
Je me félicite d’ailleurs que les appels à manifester en soutien aux Palestiniens, pour le cessez-le-feu, se multiplient. Avec les partis, les associations, les syndicats. C’est indispensable.
Du côté des syndicats d’ailleurs, j’ai vu ce qui a été fait en Belgique. Les syndicats des aéroports belges qui organisent le blocage de l’acheminement militaire. C’est formidable. C’est comme cela que les syndicats doivent se comporter partout. Et pour cela, bloquer les ports, les docks, les trains… pour que les armes n’arrivent pas. Oui, c’est notre rôle.
Refuser la guerre, c’est le rôle du syndicat. Dans la guerre, ce sont toujours les ouvriers qui y meurent. Des pauvres gens qui n’ont rien demandé. Mais qui meurent pour les intérêts des grands de ce monde. Le syndicat a donc l’obligation de se mêler de cette question-là. Il a l’obligation de prendre part à ce combat contre la guerre.
Et je suis persuadé qu’on peut les arrêter si on procède ainsi. Mais pour cela, il faut être unis. Soudés contre cette barbarie. Contre la catastrophe vers laquelle ils nous entraînent.
On ne peut pas se permettre de ne pas être rassemblés contre la politique en cours, donc contre ce gouvernement. L’enjeu est trop important.
Précisément, tu l’as dit, La France insoumise, Mélenchon sont particulièrement ciblés par le pouvoir (aussi par l’extrême droite et pas seulement) en ce moment…
C’est pour ça que j’insiste : que des politiques de gauche s’en prennent à Mélenchon pour une position qui aurait dû être celle de tous, ce n’est pas acceptable.
Dire en gros « je ne veux pas qu’on bombarde Gaza ! je ne veux pas que les Palestiniens meurent ! », c’est quand même l’évidence. Mais dans la situation, c’est énorme qu’il ait eu le courage de l’exprimer en refusant de donner carte blanche à l’Etat d’Israël.
Il savait, j’imagine, qu’en faisant ça, ça allait lui coûter très cher. Mais il l’a fait ! Il a exprimé à lui seul ce que toute la gauche aurait dû dire. Ce que tous ceux qui normalement défendent les peuples auraient dû dire. Il a exprimé ce que tous ceux qui veulent la paix, et nous sommes très nombreux, voulaient entendre d’un responsable politique de cette envergure.
C’est pourquoi, malgré les attaques, au contraire, c’est un soutien important pour Mélenchon qui grandit dans la population.
Donc la preuve est maintenant faite. Non seulement on doit le soutenir, mais je dis même que c’est avec Mélenchon qu’on peut tous s’unir.