Le coup de gueule de Christine, syndicaliste, membre du collectif CNA des contrôleurs SNCF

17 ans qu’elle arpente les trains, loin de chez elle, pour assurer l’information et la sécurité des voyageurs. Alors, quand des chroniqueurs aux ordres les traitent, elle et ses collègues, de « nantis », elle n’y tient plus ! Elle nous explique pourquoi la grève est massive.

(Photo AFP)
Par correspondant
Publié le 17 février 2024
Temps de lecture : 5 minutes

Incroyable ! Les journalistes n’entendent qu’une seule revendication : la tune !

« La CGT et SUD Rail prennent la SNCF pour une vache à lait et ses clients pour des pigeons », pouvait-on entendre dans la pitoyable rubrique d’Emmanuelle Ducros ce 14 février, sur Europe 1, dont plus personne, après quelques lignes de lecture de sa page Wikipedia, ne pourra nier son amour avec les lobbies industriels et ses « petits » gros scandales.

A ceux et celles qui seraient tentés de conclure comme la « très honnête femme du peuple Emmanuelle Ducros », je vais répondre à sa comparaison aussi malhonnête que vide de sens, qui montre à quel point cette femme est bien plus proche du capitalisme que du peuple.

Je vais faire un point dessus, avant de parler de nos autres revendications qui semblent être oubliées de tous les journalistes qui reviennent sans cesse et inlassablement sur cette question de tune occultant nos revendications spécifiques ASCT (chef.fes de bords).

Emmanuelle Ducros prétend que nous devrions largement nous satisfaire des 17 % d’augmentation pour les plus hauts salaires et 21 % pour les plus bas salaires depuis 2022 alors que l’inflation n’est que de 13 % pour la période.

Pour rappel, de 2014 à 2022 les salaires des cheminots ont été gelés ! Connaissez-vous beaucoup de monde qui accepterait de ne pas se faire augmenter pendant 8 ans ?

Pendant cette période où il y avait encore des cheminots moins payés que le SMIC (oui, oui !), nous avons perdu 1,85 % de pouvoir d’achat par an, qui n’était déjà pas extraordinaire, contrairement à ce que prétendent encore jusqu’aujourd’hui certains médias.

Il est plus simple pour le gouvernement de parler d’inflation mais plus réaliste pour le citoyen de parler pouvoir d’achat. Même si la première influe sur la seconde, ce qui compte pour mes camarades et moi comme pour vous, c’est bien ce que l’on peut faire de cette tune à la fin du mois.

– Le carburant a pris 19 % de 2021 à 2022 ce qui représentait +11,20 € pour 40 litres, suivi d’une envolée des prix en 2023, passant de 1,77 € à 1,94 € pour le gazole et de 1,68 € à 1,93 € pour le sans-plomb.

– L’alimentation prend 12,4 % en 2022 et 17,9 % en 2023

– l’énergie prend 15 % en février 2023 puis 10 % en août 2023 ce qui représente 397 €/ an par ménage et heureusement que c’est régulé nous dit-on !

En 2022 les cheminots, non sans luttes, ont obtenu :

– augmentation générale des salaires de 1,4 % brut annuel auquel se cumule une majoration uniforme de 400 € brut annuel ;

– augmentation de la gratification de vacances de 100 €, +20 € au premier enfant, + 20 € au second, + 10 € à partir du 3e enfant ;

– revalorisation de l’ensemble des EVS de production de + 4 %

– indemnités de nuits, week-end et fêtes, sorties astreintes :  +7 %,

– revalorisation des salaires à l’embauche : classe 2 : + 4 %, classe 3 : + 2 %, classe 4 : + 1 %

– revalorisation de la prime de travail de 5 à 8 % par an, sur 3 ans, à partir de 2023 et annonce de travaux sur la prime de traction.

– allocation de déplacement régime général et roulant + 3 %

– ouverture des discussions sur la revalorisation de l’indemnité résidence lors de la NAO de fin d’année.

Tout ceci représente en réalité 2,1 % d’augmentation pour les plus hauts salaires et 3,4 % pour les plus bas salaires. D’autres sociétés comme Carrefour, Air France, Total, La Poste, Bonduelle, Kronenbourg et Airbus par exemple ont fait mieux.

Alors non, ce n’est pas avec 17 % bruts, composés pour la plupart de primes ne comptant pas toutes pour la retraite qui ne représentent pas la réalité en bas de notre fiche de paye, arrachés après 8 ans de gels de salaires que nous pouvons nous estimer heureux.

Maintenant, parlons des autres revendications.

Lorsqu’Emmanuelle Ducros, bien domptée par la société capitaliste qu’elle représente à peine dans l’ombre, nous parle de grève sauvage, elle entend par là que nous, les 8 000 contrôleurs de France, agissons comme des sauvages. Ça me fait doucement rire. Elle a de ça en commun avec certaines organisations syndicales qu’elle critique.

Rappelons que le CNA est un comité national d’ASCT (chef.fes de bords) constitué en 2022 afin de demander aux organisations syndicales représentatives de porter nos revendications, dont la principale est la reconnaissance de notre classification de roulants— une revendication qui date depuis plus de 20 ans jamais prise au sérieux jusque-là !

Après d’âpres discutions, et encouragées par la période électorale, certaines organisations syndicales nous ont suivis, parfois fébrilement et pas toujours jusqu’au bout, lorsque d’autres nous ont carrément été hostiles, balayant d’un revers de main toute idée de grève catégorielle.

Nous avons tenu ! Je salue au passage le courage de la dizaine de camarades relais entre le CNA, direction et les médias, et qui ont su faire face aux moyens de pressions.

Nous avons obtenu, après la grève de 2022, grâce à la détermination et la solidarité des contrôleurs de France, des mesures et engagements de la part de la direction qui, même s’ils sont loin de répondre à toutes nos revendications, représentaient pour nous tous une belle victoire !

En 17 années de militantisme, c’était ma première victoire !

Oui mais, voilà, encore aujourd’hui, tous les engagements ne sont pas tenus et le combat n’est pas fini.

Je suis rentrée à la SNCF, au contrôle, en 2006. A l’époque, en discutant avec les collègues, j’apprenais que je n’étais pas vraiment considérée comme roulante contrairement aux conducteurs. Ce que je trouvais déjà bien absurde.

Certes, nous n’avons les mêmes formations et responsabilités, ce qui leur justifie un salaire plus élevé, mais par contre, en quoi mes conditions de travail sont-elles différentes que les conducteurs ? J’ai les mêmes horaires décalés et cycles circadiens perturbés. Je subis les mêmes conditions et contraintes.

J’ouvre et ferme ma valise et me promène toute la journée 480 fois par an. Dans 2 ans, j’aurai 20 ans de carrière et j’aurais passé 3 ans à dormir en dehors de chez moi. Je parcours plus de 1 000 km 4 fois par semaine en train et 1,2 km à pied dans chaque train que j’accompagne en veillant à garder mon équilibre et mon sourire.

J’accueille, j’accompagne, renseigne et prends en charge la sûreté et la sécurité à bord des trains de plus de 2000 voyageurs sur 4 jours, que ce soit sous la pluie, le vent ou le soleil.

J’en ai encore plein des comme ça, mais vous allez finir par croire que je m’apitoie. Ce qui n’est pas le cas. J’aime mon boulot et je le fais avec beaucoup de passion.

Nous attendons seulement d’être reconnus et payés à notre niveau.

Nous attendons aussi que l’on reconnaisse qu’il sera difficile voire impossible pour nous d’avoir une fin de carrière dans les trains en toute sécurité pour nous comme pour celle des voyageurs. Nous voulons des perspectives et garanties d’évolutions ou de reconversions professionnelles et un plan de départ prenant en compte la pénibilité de travail reconnue aux conducteurs.

Rien de fou en soi, surtout à côté de ce que viennent d’obtenir comme augmentation les députés et sénateurs. Alors non chère Emmanuelle Ducros, vous ne parviendrez pas à me faire rougir de faire grève encore une fois et entendez-le, nous sommes prêts et toujours très déterminés ! On ne lâchera rien.

Et vous pouvez clamer aujourd’hui haut et fort le fait qu’aucun cheminot ne soit smicard. C’est grâce aux luttes de fin 2022 !

Vive la lutte !