Que réclament les milliers de manifestants contre les “mégabassines” à Sainte-Soline (79) ?

Informations ouvrières a recueilli, à l'issue de la manifestation du 29 octobre, durement réprimée, les propos de Julien Leguet, du collectif "Bassines non merci" et de Lisa Belluco, députée écologiste-Nupes de la 1ère circonscription de la Vienne. Nous publions également un communiqué du comité départemental des Deux-Sèvres du POI.

Lors de rassemblement milliers d'opposant aux "magabassines", à Sainte-Soline (79), le 29 octobre. A droite, la députée écologiste-Nupes Lisa Belluco (photo Antoine Berlioz / Hans Lucas via AFP)
Par Correspondants
Publié le 13 novembre 2022
Temps de lecture : 6 minutes
La parole à Julien Leguet, du collectif Bassines non merci

Ce 29 octobre, 7 000 personnes ont manifesté à Sainte-Soline contre la construction d’une mégabassine. Quel était l’enjeu de cette action ?

Julien Le Guet : Il était double : montrer que ces projets inutiles et coûteux se font dans le dos des populations et obtenir une couverture nationale et internationale. Nos slogans : pas une bassine de plus, arrêt immédiat du chantier, moratoire national. On voulait aussi montrer que le rapport de force est possible malgré les arrêtés préfectoraux liberticides, le dispositif policier et les armes déployées.


De nombreuses organisations ont appelé à manifester au-delà des écologistes. Comment l’expliquer ?

Tout être vivant a besoin d’eau : c’est donc un enjeu vital, une question qui rassemble très largement. Toutes les générations sont concernées. Des mouvements de jeunes étaient présents aux côtés de personnes âgées, tous arborant le bleu de travail. Enorme détermination. Beaucoup d’émotion aussi. Des partis nous soutiennent depuis longtemps : LFI, Les Verts, le NPA, localement le POI et le PCF.


Le gouvernement dit que les mégabassines sont un mode écologique d’irrigation et s’en remet aux protocoles…

Le dispositif technique impose de pomper 90 % dans les nappes phréatiques. Les quatre derniers ministres de l’Agriculture ont tous assuré qu’elles étaient remplies par l’eau de pluie l’hiver. C’est une escroquerie intellectuelle. Avec une pluviométrie annuelle de 800 mm/an, il faudrait 15 ans pour les remplir, mais ça n’arrivera jamais car l’eau sera évaporée avant…

C’est la même eau des nappes qui fournit les châteaux d’eau, les puits, les captages d’eau potable. Mais aujourd’hui, les nappes ne se reconstituent plus car il n’y a plus assez de pluie en hiver.

Donc non seulement on ne peut plus supporter les sécheresses mais ce dispositif va en générer. Les protocoles n’imposent aucune contrainte : à Mauzé, le niveau réglementaire de remplissage pourtant fixé officiellement est dépassé d’un mètre. Rien ne l’interdit, alors que c’est pourtant incompatible avec le niveau historiquement bas des nappes.


Pour Elisabeth Borne, ce chantier est « un bon projet, nécessaire pour aider les agriculteurs à faire face à la sécheresse et mieux réguler l’usage de l’eau »…

Il y a des années, la région avait accepté de financer le projet à condition de consommer moins d’eau, de diminuer les volumes et les surfaces consacrées à l’irrigation. Mme Borne était alors préfète de la région. La vérité, c’est qu’ils veulent soustraire les gros irrigants à toute contrainte. Cet été, les restrictions ont visé les particuliers et les irrigants, sauf ceux connectés à la bassine. L’Etat impose aux partisans d’une agriculture alternative d’adhérer à la coop de l’eau, qu’ils soient ou non connectés à la bassine, tout en les privant d’un tiers de la ressource. Nom frauduleux que celui de cette « Société coopérative anonyme de l’eau des Deux-Sèvres », qui n’a rien à voir avec l’économie sociale et solidaire dont elle se réclame. Aujourd’hui, nombre d’agriculteurs n’ayant pas accès à l’irrigation développent des techniques qui les en affranchissent.

A contrario, l’Etat fait le choix de consacrer les fonds publics à un système qui ne sert que l’agro-industrie, au détriment de l’intérêt des populations.

Le protocole d’accord est une coquille vide, au point que toutes les associations de protection de l’environnement en sont sorties car aucun engagement de réduction de 50 % de produits phytosanitaires n’a été pris par les exploitations concernées.


Darmanin vous accuse d’écoterrorisme. Ta réaction ?

Pétain disait des Résistants qu’ils étaient des terroristes. C’est ce gouvernement écocidaire qui terrorise ! Ceux qui pensent qu’on peut épandre des tonnes de produits sans danger pour ceux qui les utilisent et les populations sont au bout du chemin. Ils sont déconnectés, ignorent ce qu’est un sol, un territoire. On voit où ce système a conduit la paysannerie française !


Quatre manifestants ont été placés en garde à vue. Les avocats ayant refusé la comparution immédiate, l’audience aura lieu le 28 novembre. Quelle riposte ?

Ces camarades sont à l’image de notre mouvement et n’ont rien à voir avec le portrait qu’en fait Darmanin. Un prof de sport serait un terroriste ? Tous étaient là au mauvais moment, comme le confirment les chefs d’inculpation. Le gouvernement nous pousse à continuer. Pas question de laisser nos camarades dans cette galère.

On organise des caisses de soutien et, le 28 novembre, devant le tribunal, nous exigerons « aucune poursuite » !

Notre lutte est légitime, malgré les tentatives de criminalisation du gouvernement, qui ne veut pas entamer de réelles discussions sur le sujet de l’eau et de l’agriculture. Nous allons continuer à mener des actions diverses jusqu’à être entendus, avec une prochaine date de mobilisation nationale. Pas une bassine de plus, ni ici, ni ailleurs !

 
La parole à Lisa Belluco, députée écologiste-Nupes de la 1re circonscription de la Vienne

Le 29 octobre, les médias ont diffusé des images où l’on te voit chercher à parlementer avec les forces de l’ordre, les mains levées, pacifiquement, ton écharpe tricolore bien visible. Tu es immédiatement gazée et matraquée. Ton sentiment ?

Lisa Belluco : Il est clair que les consignes passées aux forces de l’ordre sont de ne pas négocier et de recourir presque immédiatement à la violence. J’en suis peinée car, dans une République démocratique, à mon sens, les forces de l’ordre doivent protéger le peuple. Or, de plus en plus, celles-ci ont pour consigne de protéger des intérêts privés contre la population et n’hésitent ni à taper sur les manifestants, ni à taper sur des élus avec écharpe. Quelle valeur a donc, pour ce gouvernement, le rôle d’élu de la République ? Si, aujourd’hui, ils sont capables de justifier tranquillement que les forces de l’ordre frappent une élue clairement identifiée, demain jusqu’où iront-ils ?

Face aux propos du ministre de l’Intérieur Darmanin accusant les manifestants d’« écoterrorisme », tu as rétorqué avec un bel aplomb : « C’est le gouvernement qui est hors la loi. ». Peux-tu préciser ?

Ce gouvernement a une vision du respect de la loi très flexible selon le sujet en cause. L’Etat vient par exemple d’être condamné pour la troisième fois pour son incapacité à respecter les limites de pollution de l’air. De ce fait, chaque année, 60 000 personnes meurent prématurément en France.

Concernant les bassines, quelle légitimité pour ces installations ? Pomper de l’eau pour la mettre dans de grandes piscines à l’air libre, accélérant ainsi son évaporation et générant un risque de prolifération d’algues et de bactéries potentiellement dangereuses ?

Et ce pour le bénéfice d’une minorité d’agriculteurs. Le tout dans un contexte de changement climatique qui ne permet même pas de garantir qu’on pourra réellement remplir ces bassines l’hiver, alors qu’aujourd’hui une partie de la Vienne et des Deux-Sèvres est encore sous arrêté de sécheresse…


Côté arsenal antidémocratique et répression policière, l’ère Macron ce n’est certes pas « la fin de l’abondance ». Que penser de cette « fuite en avant » du gouvernement ?

Ce gouvernement est minoritaire, aussi bien à l’Assemblée que dans l’opinion publique. Il donne l’impression de vouloir passer un maximum de réformes destructrices avant de quitter le pouvoir. Tout se passe comme s’il fallait absolument détruire toute la structure redistributrice de la France avant de passer la main. Et donc, tous les moyens sont bons pour détruire les services publics, réduire autant que possible la redistribution, stigmatiser les classes sociales les plus pauvres.

Nous voyons sous nos yeux se déployer le projet ultra-libéral. Le risque est qu’il ne reste plus rien de ce qui fait la France sociale et accueillante après le passage d’Emmanuel Macron.

A nous de montrer l’alternative et de lutter dans l’Hémicycle – et dans la rue – pour ne pas le laisser faire.

 

Communiqué du comité des Deux-Sèvres du POI

Mégabassines, c’est le gouvernement le seul responsable : annulation des poursuites, aucune sanction à l’encontre des interpellés !

Le POI 79 apporte tout son soutien aux manifestants anti-bassines interpellés lors de la manifestation de Sainte-Soline, samedi 29 octobre dernier.

Cette manifestation, qui a rassemblé 7000 personnes, fait suite à des mois et des mois de contestation, manifestations, alertes lancées à l’initiative, des militants des collectifs anti-bassines.

Rappelons que le tribunal avait condamné la construction des mégabassines. C’est le gouvernement, qui en persistant dans cette initiative de construction et de confiscation de l’eau au profit des intérêts de l’industrie agro-alimentaire, et en voulant interdire la manifestation, est le seul responsable de cette situation.

Aucune poursuite, aucune sanction à l’encontre des 6 manifestants interpellés. Levée immédiate de leur garde à vue !

La répression que le gouvernement tente de mettre en place pour faire taire toute contestation est à l’image de la violence exercée lors du mandat précédent, à l’encontre des Gilets Jaunes et des militants syndicalistes, lors des nombreuses manifestations contre la politique du gouvernement Macron.

Les 49.3 successifs imposés à l’Assemblée Nationale,  cette semaine pour imposer notamment, le budget de la Sécurité sociale, sont une preuve supplémentaire de la faiblesse du gouvernement d’une part et de sa volonté d’autre part, d’aller au bout dans la destruction des conquêtes sociales.

Il est plus qu’urgent de lui faire barrage : la manifestation nationale du 16 octobre à Paris à l’appel de la Nupes, les grèves et le mouvement dans les raffineries, montrent la voie !

Le POI 79 invite la population à participer à l’assemblée citoyenne de la Nupes, vendredi 18 novembre, à 19h, au centre Du Guesclin, place Chanzy à Niort, pour discuter de ces questions et s’organiser pour rompre avec cette politique.

Niort, le 30 octobre 2022