Après les élections de mi-mandat aux Etats-Unis, rien n’est résolu
La société américaine est divisée comme jamais dans son histoire récente. Il est impossible de prévoir les développements de cette situation dans les deux ans impartis au nouveau Congrès, mais son instabilité est grosse d’explosions sociales à venir.
- Etats-Unis, International

Les élections de mi-mandat, qui renouvellent l’intégralité de la Chambre des représentants, un tiers du Sénat et de nombreux exécutifs locaux, sont généralement un exercice difficile pour le président en place, pour qui elles prennent la valeur d’un plébiscite très souvent perdu.
Le nombre de représentants de son parti baisse généralement fortement, lui faisant souvent perdre la majorité à la Chambre et parfois au Sénat. Jusqu’à leur renouvellement le 3 janvier prochain, le président Démocrate Biden peut s’appuyer sur une majorité Démocrate étriquée au Sénat (50 sénateurs sur 100 avec la vote décisif de la vice-présidente en cas d’égalité) et à la Chambre (222 représentants sur 435, soit une majorité de 9 voix).
Cette année, l’ancien président Républicain Trump a transformé les élections en un plébiscite sur sa candidature à venir pour les prochaines élections de 2024, pariant sur une « marée rouge » (la couleur du Parti républicain) pour porter la candidature qu’il compte annoncer le 15 novembre. La marée rouge n’a pas eu lieu. Le Sénat reste aux mains des Démocrates (avec 50 sénateurs sur les 99 élus, un dernier devant être départagé lors d’un second tour) ; la majorité à la Chambre dépend encore d’une petite quinzaine de scrutins qui ne sont pas encore totalement dépouillés, mais il est maintenant certain que, Démocrate ou Républicaine, elle sera très limitée.
Uene participation électorale forte
Donc oui, Trump n’a pas remporté le succès escompté et se trouve dans une position difficile pour démarrer sa campagne de réélection pour 2024. Ce n’est cependant qu’une partie de l’histoire.
Avec un taux d’approbation à moins de 40 %, ce n’est pas Biden qui a motivé les électeurs à se déplacer. Pourtant, la participation a été forte pour des élections traditionnellement peu mobilisatrices. La participation des jeunes l’a été encore plus nettement : 27 % des 18-29 ans ont voté, au plus haut depuis 30 ans si l’on met des côté les élections de mi-mandat de 2018, où de nombreux jeunes étaient déjà allés voter contre Trump.
Et, dans le même temps, des millions d’Américains ont voté pour des candidats ouvertement trumpistes, avec tout ce que cela comporte de racisme et de défense de l’assaut sur le Capitole. Une carte politique des Etats-Unis montre de vastes étendues rouges dans les Etats ruraux, acquis aux Républicains, et des touches bleues le long des côtes, des grands lacs, au Texas et en Floride également, dans les grandes agglomérations qui votent Démocrates.
Ce n’est pas nouveau, mais cette division du pays prend un contenu inédit après l’assaut sur le Capitole.
Les électeurs Républicains refusent que se poursuive encore et toujours le jeu de l’alternance entre les deux grands partis qui vertèbrent la vie politique américaine.
Dans le même temps, de nombreux électeurs ne déposent un bulletin Démocrate dans l’urne que contre Trump et se reconnaissent plus dans Sanders et son groupe Our Revolution et dans les candidats soutenus par DSA (les Socialistes démocratiques d’Amérique, dont notamment les représentantes Alexandria Occasio-Cortez et Rachida Tlahib), ou dans les manifestations de masse qui ont suivi l’assassinat de George Floyd par la police en 2020, que dans Biden et ses bien modestes promesses qu’il ne parvient même pas à tenir.
Même chose chez les Républicains.
« Le vieux parti est mort, il est temps de l’enterrer », a déclaré le sénateur Josh Hawley, membre de l’aile droite du Parti républicain. Tandis qu’un autre dirigeant du même parti, Larry Logon, dénonce : « C’est la troisième élection de suite que Trump nous fait perdre. »
Appuyé sur les résultats des midterms, une frange des Républicains se cherche un nouveau champion pour écarter l’ancien président. Le Wall Street Journal , voix du capital financier américain, soutien constant des Républicains, qui avait soutenu Trump jusqu’à l’assaut sur le Capitole, avait déjà averti le 11 août : « Un deuxième mandat de Trump n’est pas la dernière chose dont le pays a besoin. Mais ça doit être l’avant-dernière. […] Trump II ne serait pas une réédition de Trump I, qui a été une présidence plus substantielle et plus politique que ce que ne veulent bien admettre ses critiques. Trump II serait une guerre civile de quatre ans. Le Marais ne s’assècherait pas. Il s’approfondirait. La rancœur pourrait tous nous noyer. »
Crise politique, crise des institutions, crise sociale
Mais trouver un candidat associé au trumpisme, pour préserver la portion de l’électorat Républicain qui lui est acquise, et respectueux des institutions (c’est-à-dire n’ayant pas soutenu l’assaut sur le Capitole) relève de la quadrature du cercle. La situation n’est pas meilleure du côté des Démocrates, dont les résultats doivent être imputés exclusivement à l’opposition à Trump.
Les Etats-Unis sont un pays fracturé de bas en haut, une radicalisation s’opère des deux côtés. Le résultat des élections exprime la crise du système des deux partis, donc la crise des institutions américaines.
Et cette crise dépasse largement les institutions ; c’est d’abord et avant tout la crise du capital américain. Parti au G20, Biden a prévu une rencontre avec le président Chinois pour discuter du commerce mondial et des rapports Chine-Etat-Unis.
Et pendant que le Congrès s’embourbe dans cette crise politique, la vie quotidienne des travailleurs américains est marquée par une inflation galopante que les mesures de Biden ne parviennent pas à ralentir, par le fait que la reprise post-Covid s’est faite presque exclusivement sur la base du remplacement d’emplois stables par des petits boulots. La situation sociale se dégrade rapidement, nourrissant le trumpisme d’une part, mais aussi le regroupement de jeunes, de syndiqués, de Noirs et de Latinos qui cherchent à se battre pour défendre leurs conditions de vie. La société américaine est divisée comme jamais dans son histoire récente. Il est impossible de prévoir les développements de cette situation dans les deux ans impartis au nouveau Congrès, mais son instabilité est grosse d’explosions sociales à venir.
« On a tous besoin d’être plus payés »La parole à Liana Nelson-Smith, syndicaliste enseignante à Oakland (Californie) Comment décrirais-tu la situation actuelle aux Etats-Unis, à la moitié du mandat de Biden ? Liana Nelson-Smith : La situation est difficile. A cause de la pandémie, de nombreuses entreprises ont fermé. L’inflation est démente. Tout coûte très cher, l’essence est montée à 6,50 $ le gallon11,65 € le litre., même si elle baisse un peu maintenant. Cela coûte donc très cher de se déplacer en voiture. La violence augmente aussi. Ça fait beaucoup, c’est difficile. On est très contents de ne pas avoir Trump, on est toujours mieux qu’avec Trump. Quelles sont les conséquences de l’inflation aux Etats-Unis ? Tout coûte plus cher, surtout autour de San Francisco. Les prix du logement ont explosé, et on a de plus en plus de SDF. Des gens vivent dans leur voiture, construisent des villages de tentes. C’est une véritable crise. Certains parmi eux souffrent de maladies mentales, mais pas tous. Certains ne peuvent tout simplement pas se payer de logement et vivent dans des tentes.
Cela paraît d’autant plus injuste qu’il y a de nombreuses maisons vides, mais elles coûtent trop cher pour que ces personnes puissent se les payer. Qu’en est-il des salaires ? Je ne sais pas trop s’ils augmentent en général, mais si c’est le cas, ce n’est clairement pas assez. Le salaire minimum fédéral est autour de 15 $ de l’heure, et ce n’est pas assez pour quelqu’un qui n’a qu’un emploi : il est alors obligé de vivre chez ses parents ou en colocation. A moins d’avoir des aides publiques, c’est impossible de vivre seul. Les syndicats se battent-ils pour l’augmentation des salaires ? Ma fille est à l’université de Californie à Santa Cruz, et les travailleurs étudiants sont en grève pour l’augmentation de leurs salaires. Il y a d’autres mouvements de grève. Les pilotes d’avion aussi se sont mis en grève, à Delta Airlines par exemple l’été dernier, en lien avec les salaires et l’organisation du travail.
Les enseignants, bien sûr, sont concernés. L’éducation est un secteur en crise, parce que l’on n’a pas assez de gens qui se dirigent vers cette carrière, et de nombreux enseignants quittent leur poste. On n’a pas assez de gens qualifiés pour enseigner, en particulier pour les enfants handicapés. Cette situation vient notamment du fait que les enseignants ne sont pas assez payés. Comment vois-tu la situation politique dans les deux prochaines années ? Les Républicains semblent sur le point de prendre la Chambre avec une majorité très maigre. J’espère juste, contre tout espoir, que les Démocrates vont faire quelque chose pour améliorer la situation. Ils ont fait quelques bonnes choses avec lesquelles je suis d’accord, comme d’annuler la dette étudiante2C’était une revendication des élus, notamment proches de DSA, de la gauche du Parti démocrate, à laquelle le gouvernement Biden a accédé de façon limitée (avec un plafonnement de l’annulation), notamment parce que la bulle spéculative créée par la dette étudiante menaçait d’exploser avec l’augmentation des taux d’intérêt.. J’en ai bénéficié. Il y aussi l’accord sur les infrastructures. J’aimerais que ce genre de choses continue, mais cela semble mal parti ; les Républicains ne sont pas bons du tout. |