A Gaza, les membres de la famille d’Aya, qui ont survécu, ont tout perdu
Réfugiée en France, Aya nous raconte le quotidien de sa famille à Gaza, contrainte de fuir par deux fois depuis le 7 octobre.
- Palestine

Peux-tu te présenter et indiquer ce que vivent tes proches à Gaza ?
Je me fais appeler Aya, je suis née à Gaza alors qu’il y avait encore des colonies et des colons israéliens. Aya est le prénom de mon amie d’enfance tuée à 10 ans par l’armée israélienne, et pour moi, prendre ce prénom symbolise la nécessité de résister comme Palestiniens… J’ai dû quitter Gaza avec ma mère et ma petite sœur, en 2008, deux ans après le blocus total de Gaza par Israël. Nous nous sommes installées en Egypte puis j’ai rejoint la France pour suivre mes études.
Comme pour beaucoup de familles palestiniennes, les membres de la mienne sont dispersés à Gaza, en Cisjordanie et dans ce qu’on appelle les « territoires de 47 » (Israël). A Gaza, les liens communautaires sont étroits ; tout le monde se connaît dans ce territoire réduit. Mes tantes, mes amis sont sur place.
As-tu des nouvelles de ta famille ?
Après le 7 octobre, on appelait souvent ; maintenant, c’est plus compliqué ; il y a des coupures des communications et d’internet. Il faut trouver un endroit où les réseaux fonctionnent.
Depuis 15 jours, ma famille a dû évacuer vers le sud, à Khan Younes, puis fuir à nouveau à cause des bombardements. Nous n’avons pas eu de nouvelles pendant une semaine. Mais on sait maintenant qu’ils sont vivants à Rafah. Ils ont construit une tente. On a perdu des gens proches. On en a reconnu sur les photos de victimes circulant sur les réseaux sociaux. On n’a pas de nouvelles de certains.
C’est difficile de savoir ce qui se passe… 8 000 personnes sont portées disparues. J’ai un copain journaliste photographe, qui le 7 octobre s’est rendu sur la frontière pour informer de ce qui se passait. On ne sait pas ce qu’il est devenu : kidnappé par les soldats, enfoui sous des décombres ? 93 journalistes ont été tués à Gaza depuis un peu plus de 2 mois ; j’ai lu que pendant toute la seconde guerre mondiale, il y avait eu en tout en pour tout 63 journalistes tués !
Qu’est-il advenu de leur maison, dans la ville de Gaza ?
Nous l’avons perdue. Celle de ma grand-mère a été touchée par des bombes. C’est la troisième maison que nous perdons dans la famille. Mes grands-parents étaient de Jaffa, dans les territoires de 47, où mon arrière-grand-père travaillait dans la métallurgie. Lors de la Nakba, leur maison y a été détruite et ils se sont réfugiés à Gaza. En 2002, la maison que nous avions obtenue dans le cadre d’un programme de logement des réfugiés au Sud de Gaza a été également détruite.
J’ai échangé hier avec des Gazaouis qui ont quitté Gaza suite aux bombardements. Ils ont tout perdu, ils doivent faire le deuil de leur maison. Une nièce de 4 ans a été blessée par des bombardements. Ils sont partis à Rafah où ils ont subi un autre bombardement. Le père était conducteur de bus scolaire ; son bus a été détruit, même chose pour la voiture de sa femme. Ils n’ont plus rien et doivent s’exiler une seconde fois.
Nous sommes des réfugiés permanents. Leur famille aussi est originaire de Jaffa ; on s’est raconté ce que nos grands-parents faisaient à Jaffa avant la Nakba…
Lorsque tu parviens à les joindre, que te disent-ils ?
Ils s’expriment avec pudeur, disent que c’est difficile, qu’ils ont peu à manger, qu’il est très difficile de se procurer de l’eau potable, et avec une forme d’humour noir, « plaisantent » sur la complication de trouver des toilettes, l’absence de douches… Les infrastructures étaient déjà très insuffisantes, peu développées, auparavant à Gaza du fait du blocus… Là, c’est une catastrophe sanitaire. Les gens sont dans la survie…
Ils se demandent comment s’en sortir, entre la crainte d’être arrivés à une situation de non-retour où une vie normale ne semble plus possible pour plus de 2 millions de personnes dans un espace restreint où toutes les infrastructures sont détruites, et la volonté de rester quand même, de ne pas revivre le traumatisme de 47 et l’impossibilité du retour.
Lors de la trêve, des milliers sont ainsi revenus vers le nord, même si les soldats ont cherché à les en empêcher ; ils ont construit des tentes dans leur maison détruite…
Comment vois-tu l’avenir ?
Ce qui se passe a remis sur le devant de la scène la question de la Palestine…
Le sort de Gaza concerne tout le monde, tous les peuples ; la cause palestinienne pose le problème d’un monde juste. Les gouvernements sont souvent complices de la politique d’Israël. Il faut continuer à parler de Gaza, à militer pour Gaza, pour le cessez-le-feu…
Je suis déçue de ce que j’entends en France au sujet de la Palestine qui souvent décontextualise la situation. Non, le problème n’est pas apparu le 7 octobre ; non, ce n’est pas un problème de juifs, d’Arabes, de musulmans… J’ai des amis israéliens et cette amitié me touche. Nous sommes restés amis car ils ont reconnu la réalité de ce qui s’est passé à partir de 48, la colonisation, l’apartheid… Pour l’instant, ce message a du mal à arriver à l’ensemble de la population d’Israël. Ça ne se fera pas d’un coup. Il faudra forcer Israël à s’arrêter…
A Gaza, pendant près de 2 ans, de 2018 à 2019, il y a eu chaque mois des « marches du retour » à la frontière avec Israël, des manifestations pacifiques pour revendiquer le droit au retour, des droits égaux pour tous. Des snipers tuaient des manifestants à chaque occasion, mais le mois des milliers revenaient… Les médias ont alors largement fait silence… En 2021, les tensions à Jérusalem avec l’extension de la colonisation ont entraîné des réactions à Gaza. Aujourd’hui, pendant les massacres à Gaza, l’armée réprime en Cisjordanie…
Malgré la séparation physique, qui est un instrument colonial, il y a une identité nationale des Palestiniens. Et ils font le constat que les accords d’Oslo n’ont pas empêché que les annexions continuent, que le projet colonial avec la colonisation de peuplement se poursuit, avec nettoyage ethnique, contrôles, violences, occupations systématiques…
Les « deux Etats », ce n’est pas viable, ça n’a plus aucun sens aujourd’hui… Les Palestiniens n’ont pas d’autres issus que de continuer à résister pour leurs droits, contre la colonisation et l’apartheid…
Propos recueillis le 17 décembre
