« Tous les accords où le Niger est grugé doivent être revus, c’est ça la souveraineté »

La parole à Amadou Djibo, militant syndical, après, notamment, la nationalisation du secteur de l’eau mettant fin au contrat avec l’industriel français Veolia le 1er janvier.

Manifestation à Niamey, le 3 août 2023, jour anniversaire de l’indépendance du Niger. (AFP)
Par la rédaction d'IO
Publié le 21 janvier 2024
Temps de lecture : 4 minutes

Il y a un an presque jour pour jour, le 16 janvier 2023, l’intersyndicale Unité d’action syndicale, (qui regroupe notamment l’ITN, l’ATN, la CTN et la CSCAT) organisait un mouvement de grève massif et historique contre le gouvernement Bazoum. Au même titre que les revendications salariales, elle exigeait « le départ pur et simple de toutes les bases militaires étrangères et ce dans un bref délai ». Un an après, les bases françaises sont parties du Niger.

Peux-tu revenir sur vos revendications et le rôle qu’ont joué vos organisations syndicales dans la situation révolutionnaire qui a émergé au Niger ?

Amadou Djibo : L’Intersyndicale avait en effet engagé un mouvement de grève pour exiger le respect des accords que nous avons signés avec le gouvernement, portant sur le recrutement dans la fonction publique, le paiement des incidences financières, l’harmonisation du régime indemnitaire, la question de la retraite, etc.

Chemin faisant, le coup d’État du 26 juillet est intervenu. Et les premières déclarations des militaires qui ont pris le pouvoir ont rassuré le peuple nigérien, parce qu’ils ont décidé de lutter contre la corruption et pour une réelle souveraineté nationale. Ils ont dénoncé un certain nombre d’accords léonins et exigé le départ des forces étrangères. Et il se trouve que cette question faisait partie de nos préoccupations. Dans toutes nos déclarations nous avions également demandé le départ des forces étrangères. Ce qui a fait que nous avons décidé avec le peuple nigérien, de soutenir les militaires qui ont pris le pouvoir.

Vous connaissez déjà la situation suite à cette prise du pouvoir. La Cedeao a décidé d’intervenir militairement pour tenter de rétablir l’ancien régime déchu. Et cette démarche a été appuyée par des puissances étrangères, dont la France. Alors nous nous sommes engagés à défendre notre pays, avec l’ensemble du peuple et des organisations de la société civile. Le peuple nigérien a mis en place des brigades de veilles citoyennes pendant cinq mois, jusqu’au départ des forces étrangères françaises de notre pays.

Nuit et jour, le peuple nigérien avec l’ensemble des travailleurs et de leurs organisations, a mis en place des veilles citoyennes pour défendre la patrie.

Dans cette situation, nous avons décidé de taire les revendications, car pour l’instant le pays est sous embargo. Nous ne pouvons pas exiger l’impossible. Nous avons décidé que la question prioritaire et existentielle est celle de la sécurisation et de la défense du pays contre l’agression et les sanctions illégitimes de la Cedeao. Et jusque-là, il faut reconnaître que le pays reste sous sanction. La Cedeao et l’Uemoa ont décidé de geler les avoirs du pays, et ce qui est toujours le cas actuellement. Il n’y a toujours pas de transaction entre la Bceao et les banques du pays. En dépit de cette situation, le peuple est resté résilient.

En tant qu’organisation syndicale, nous avons donc joué un rôle important dans la révolution. Nous étions dans les brigades de veilles, nous avons appelé et participé aux nombreuses marches et meeting, Nous avons fait des déclarations pour soutenir les militaires et alerter l’attention de l’opinion nationale et internationale par rapport aux attitudes de la Cedeao et des puissances étrangères dans leur élan de domination et leur volonté de déstabiliser le Niger et toute la sous-région.

En tout cas aujour-d’hui les bases françaises sont parties, et notre pays a décidé de revoir les accords militaires entre le Niger et les autres pays. De toute façon, rien ne sera comme avant. C’est une révolution qui est engagée au Niger et au Sahel pour une réelle souveraineté de nos pays.

Le Niger a nationalisé le secteur de l’eau en mettant fin au contrat avec l’industriel français Veolia ce 1er janvier. Comment cela a été organisé et d’autres nationalisations sont-elles prévues, notamment dans le secteur de l’énergie ou des mines ?

C’est le régime de la transition qui a œuvré pour que cette société soit nationalisée. Elle est donc devenue la Nigérienne des eaux. Mais il faut dire qu’avant que Veolia ne le prenne en charge, le secteur était déjà exploité par le Niger. Il faut aussi rappeler que le contrat d’affermage qui liait le Niger à Veolia était déjà arrivé à terme.

Et d’ailleurs, les citoyens nigériens dénonçaient depuis longtemps la mauvaise gestion de l’eau par Veolia. Car en dépit de tout, la qualité de la prestation était très déplorable. La Société d’exploitation des eaux du Niger (SEEN) n’arrivait même pas à couvrir la capitale Niamey en eau potable… Sans compter les sommes faramineuses prélevées au travers des factures d’eau. C’était une situation que les Nigériens dénonçaient depuis longtemps. Ça n’a pas été une surprise, nous attendions cette décision. Cela faisait partie de nos demandes, car un secteur si important ne peut pas être laissé à la charge d’une entreprise étrangère, ce n’est pas possible !

Par rapport aux autres entreprises, ce qui est important à noter, c’est que rien ne sera comme avant. Toutes les situations vont être analysées, et s’il y a des accords léonins, nous allons revenir sur tout cela. Dans la nouvelle marche du pays, le Niger n’entendra pas que le peuple soit grugé. Les accords de coopération doivent être gagnant-gagnant. Donc pour l’instant je ne peux pas parler de telle ou telle société, mais tous les accords où le Niger est grugé doivent être revus, car c’est aussi cela la souveraineté.

Notre pays reste ouvert, mais à des partenaires économiques qui respectent les choix stratégiques et économiques de notre pays. Nous n’accepterons plus qu’on dicte à nos Etats la façon dont ils doivent se comporter sur le plan militaire, économique ou culturel. C’est à nos peuples de décider de leurs destins. Ce qu’on attend de nos partenaires, c’est de nous accompagner dans nos choix pour l’atteinte des objectifs que nous nous sommes fixés