« En défense du marxisme » : une réédition bienvenue
Vient d’être édité dans la collection « Classiques du marxisme » aux édition la Selio un titre épuisé et introuvable, mais fondamental et d’actualité.
- Tribune libre et opinions

Présentation
Cet ouvrage est connu en français sous le titre de En défense du marxisme (1). On peut dire que cette publication constitue en soi un événement politique : en effet, elle remet à la disposition des lecteurs un ouvrage fondamental du marxisme, un « classique » qui était introuvable depuis plus de trente ans.
Publié la première fois aux États-Unis en 1942 sous le titre In Defense of marxism, cet ouvrage rassemble un ensemble de textes rédigés par Léon Trotsky entre 1937 et 1940. Il s’agit d’échanges, discus sions et polémiques, entre Trotsky et des militants de la IVe Internationale. Face à des questions nouvelles, stalinisme, fascisme, marche à la guerre, il faut apporter une analyse qui permet de comprendre ces phénomènes et définir les tâches qui en découle pour l’action.
S’il y a une période d’incertitudes, de changements brusques, de nouveautés incroyables, c’est bien celle-là.
Trotsky fait l’analyse des causes du chaos pour dégager les conclusions qui permettent d’agir dans cette évolution complexe et apparemment imprévisible.
En expliquant sa position sur la nature de l’URSS, il est amené à revenir sur la méthode éclectique de ses contradicteurs, et défend la méthode marxiste du matérialisme dialectique.
La dialectique est la prise en compte que tout est en évolution, de manière non linéaire mais chaotique, obéissant à des lois complexes. Il faut donc de la précision dans l’analyse, sinon on ne peut comprendre cette réalité en mouvement. « Notre pensée, y compris la pensée dialectique, n’est qu’une des formes d’expression de la matière changeante ».
Les brusques tournants de la politique stalinienne désorientent certains responsables de la section américaine. L’alliance de Staline avec les impérialismes français et anglais en 1935, si l’on s’en tenait aux apparences, pouvait passer pour la défense de la démocratie, baptisée antifascisme ; le côté réactionnaire de la bureaucratie était voilé, alors que les procès de Moscou organisaient la terreur contre les travailleurs.
Mais le pacte Hitler-Staline en 1939, puis la guerre avec la Finlande en 1940 apparaissent à ces responsables comme une politique impérialiste de l’URSS. Cela aboutirait en cas de guerre entre Hitler et Staline, à ne pas défendre l’URSS. Trotsky montre que tôt ou tard la guerre se déploiera contre l’URSS, la clarté est donc nécessaire sur la nature de l’URSS. C’est bien ce qui se produira malgré les efforts de Staline pour coopérer avec Hitler de 1939 à 1941.
La guerre avec la Finlande est un élément de la guerre mondiale, la bureaucratie du Kremlin cherche à consolider sa position de neutralité qu’elle espère durable après son pacte avec Hitler. Cette guerre finlandaise a surtout démontré la faiblesse militaire de l’URSS provoquée par la vague d’exécution des généraux et officiers de l’Armée rouge en 1937.
La discussion se développe, Trotsky s’efforce de convaincre l’opposition dans la section américaine. Il élabore la stratégie du parti révolutionnaire, à partir de l’analyse d’ensemble de la lutte de classe internationale à la lumière de la méthode marxiste. Cette méthode n’est pas un dogme, ni une recette. Expression consciente d’un processus inconscient, elle doit saisir la complexité du monde réel, y compris en tenant compte du hasard, « expression contingente de la nécessité ».
« La dialectique n’est pas la clé magique de toutes les questions. Elle ne remplace pas l’analyse scientifique concrète. Mais elle oriente cette analyse dans la bonne voie, lui évite d’errer vainement dans le désert du subjectivisme et de la scolastique. »
Nous sommes à nouveau aujourd’hui dans une période d’incertitudes, de changements brusques, de surgissements de conflits qui dégénèrent. Combinaison de l’économie de guerre, de la casse des acquis sociaux, de la dislocation des échanges internationaux, de la spéculation financière, de la dévastation des bases naturelles de la production, tout cela nécessite d’aborder les tâches de construction et d’action à partir d’un large échange et d’une analyse aussi serrée que possible des évolutions en cours, sans dogmatisme. La méthode du marxisme présentée dans ces écrits de Trotsky peut nous aider à comprendre le monde de 1937 à 1940 mais aussi le monde actuel.
Un ouvrage à lire (ou à relire), qui sera présenté le mercredi 20 mars lors de la séance du Cercle d’études Pierre-Lambert qui lui sera consacré. Il est disponible au prix de 12 euros.
(1) En effet, une édition française, parue sous le titre Défense du marxisme, URSS, marxisme et bureaucratie aux éditions EDI en 1972, est épuisée depuis bien longtemps. Nous comblons ce vide aujourd’hui.
Morceaux choisis Qui chassera Staline ?« Le prolétariat a des raisons suffisantes de renverser et de chasser la bureaucratie stalinienne, corrompue jusqu’à la moelle. Mais, pour cette raison même, il ne peut, ni directement, ni indirectement, en laisser le soin à Hitler ou au Mikado (empereur du Japon – Ndlr). Staline renversé par les travailleurs : c’est un grand pas en avant vers le socialisme. Staline éliminé par les impérialistes : c’est la contre-révolution qui triomphe. Tel est le sens précis de notre défense de l’URSS à l’échelle mondiale. Il s’agit là d’une orientation analogue à notre défense de la démocratie à l’échelle nationale. » (Une fois de plus : l’URSS et sa défense, 4 novembre 1937, pages 22-23.) Un État ouvrier transformé « en diable sait quoi »« Quand un mécanicien nerveux examine une auto qui a servi, par exemple, à des gangsters, pour échapper à la poursuite de la police sur une mauvaise route, et qu’il découvre un châssis déformé, des roues tordues et un moteur abîmé, il est parfaitement en droit de dire : “Ce n’est pas une auto mais diable sait quoi ! Semblable définition n’aura aucun caractère technique et scientifique, mais elle exprimera la légitime indignation du mécanicien devant le travail des gangsters. Supposons pourtant que ce même mécanicien soit appelé à réparer l’objet qu’il a appelé “diable sait quoi”. Dans ce cas, il partira de la constatation qu’il a devant lui une voiture endommagée. Il déterminera quelles sont les parties intactes et les parties abîmées pour décider comment il va s’attaquer à la réparation. C’est la même attitude qu’aura vis-à-vis de l’URSS un ouvrier conscient. Il est parfaitement en droit de se dire que les gangsters de la bureaucratie ont transformé l’État ouvrier en “diable sait quoi”. Mais, quand il passe de cette expression à la résolution du problème politique, il doit reconnaître qu’il est en présence d’un État ouvrier endommagé, dont le moteur de l’économie est abîmé, mais qui continue à tourner et pourrait être complètement réparé en remplaçant quelques pièces. Bien sûr, ce n’est qu’une comparaison. Mais elle mérite qu’on y réfléchisse. (Encore une fois sur la nature de l’URSS, 18 octobre 1939, page 64.) À propos des syndicats« On peut donner d’un syndicat à peu près la définition programmatique suivante : organisation des travailleurs d’un métier ou d’une industrie qui se donne pour objectif, a) de lutter contre le capital pour améliorer la situation des travailleurs, b) de participer à la lutte révolutionnaire pour renverser la bourgeoisie, c) de participer à l’organisation de l’économie sur une base socialiste. Si nous comparons cette définition “normative” et la réalité effective, nous sommes obligés de dire qu’il n’existe pas aujourd’hui au monde un seul syndicat. Mais semblable façon d’opposer les normes et le fait, c’est-à-dire l’expression généralisée du développement et une manifestation particulière de ce même développement, semblable opposition formelle, ultimatiste et non dialectique entre le programme et la réalité est totalement privée de vie et n’ouvre aucune voie à l’intervention du parti révolutionnaire. Alors que les actuels syndicats opportunistes peuvent, sous l’impact de la décadence du capitalisme, et doivent, si nous menons dans les syndicats une politique correcte, se rapprocher de nos normes programmatiques et jouer un rôle historique progressiste. Cela suppose bien entendu un changement complet de direction. » (Un État non ouvrier et non bourgeois, 25 novembre 1937, page 35.) Défendre l’URSS, malgré et contre Staline« Un syndicat dirigé par des gredins réactionnaires organise une grève contre l’admission d’ouvriers noirs dans une branche donnée de l’industrie. Allons-nous soutenir une grève aussi honteuse ? Bien sûr que non. Mais supposons maintenant que les patrons, profitant de cette grève, tentent d’écraser le syndicat et de rendre de façon générale impossible toute autodéfense organisée des ouvriers. Dans ce cas, nous défendrons le syndicat en question, en dépit de sa direction réactionnaire. Pourquoi la même politique n’est-elle pas applicable à l’URSS ? » (Encore une fois sur la nature de l’URSS, 18 octobre 1939, page 70.) Défendre toutes les conquêtes« Il faut prendre l’État ouvrier tel qu’il est sorti de l’impitoyable laboratoire de l’histoire et non tel qu’il est imaginé par un professeur « socialiste » qui réfléchit en explorant son nez avec son doigt. C’est le devoir des révolutionnaires de défendre toutes les conquêtes de la classe ouvrière, même si elles peuvent être déformées par la pression des forces hostiles. Ceux qui ne peuvent pas défendre les positions anciennes n’en conquerront jamais de nouvelles. » (Bilan de l’expérience finlandaise, 25 avril 1940, page 206.) La pensée dialectique pour comprendre et agir« La pensée vulgaire opère avec des concepts tels que capitalisme, morale, liberté, État ouvrier, etc. en tant qu’abstractions immuables supposant que le capitalisme est égal au capitalisme, la morale à la morale, etc. La pensée dialectique analyse toutes les choses et tous les phénomènes dans leur continuel changement, tout en déterminant dans les conditions matérielles de ces changements la limite critique au-delà de laquelle A cesse d’être A et où un État ouvrier cesse d’être un État ouvrier. Le vice fondamental de la pensée vulgaire réside dans qu’elle veut se satisfaire d’empreintes figées d’une réalité qui, elle, est en perpétuel mouvement. La pensée dialectique précise, corrige, concrétise les concepts et leur confère une richesse de contenu et une souplesse, j’allais dire une saveur, qui les rapprochent dans une certaine mesure des phénomènes vivants. Non pas le capitalisme en général, mais un capitalisme donné, à un stade déterminé de son développement. Non pas un État ouvrier en général, mais un État ouvrier donné, dans un pays encerclé par l’impérialisme, etc. La pensée dialectique est à la pensée vulgaire ce que le cinéma est à la photographie. » (L’opposition petite-bourgeoise dans le Socialist Workers Party, 15 décembre 1939, page 84.)
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