Algérie : face aux manœuvres, le Parti des travailleurs décide de retirer sa candidature à l’élection présidentielle

« Les informations en notre possession et les faits recensés établissent l’existence d’une intention avérée de nous exclure du scrutin, (…) ce qui par là-même piétine le droit du peuple de choisir librement entre les programmes », déclare le PT.

Louisa Hanoune, à Alger, le 13 juillet (Capture d'écran)
Par la rédaction d'IO
Publié le 18 juillet 2024
Temps de lecture : 6 minutes

Le Parti des travailleurs a décidé, le 13 juillet, de retirer la candidature à l’élection présidentielle de Louisa Hanoune. Depuis des semaines, le PT alerte sur les conditions qui lui sont faites pour qu’il ne lui soit pas possible de présenter de candidat.

Il faut en effet rassembler 50 000 parrainages de citoyens pour valider une candidature. Il se trouve que ces signataires doivent se présenter, en personne, auprès des autorités pour faire enregistrer et valider leur signature.

Le PT a déjà réalisé à plusieurs reprises dans le passé ce type d’opération de campagne. Mais cette année, les obstacles n’ont cessé de se multiplier. A plusieurs reprises, le PT s’est adressé aux autorités sur ce sujet : le 20 juin, le 26 juin puis le 5 juillet.

Dans un communiqué de compte rendu de la rencontre avec le président de la haute autorité, sont énumérés les faits suivants :

« La perte d’au moins 12 jours sur les 45 jours prévus par la loi pour la collecte et la validation des parrainages en raison des coupures d’internet. En raison de l’utilisation du système électronique et numérisé pour la première fois dans le processus de légalisation des formulaires, toutes les communes, leurs annexes et les délégations locales de l’Autorité électorale nationale indépendante ont été presque paralysées pendant plusieurs jours, ce qui a entravé et perturbé gravement le processus de légalisation des formulaires.

Cela a causé un grave préjudice aux efforts énormes déployés par les militants et les citoyens qui ont signé les formulaires, qui se sont déplacés vers les sièges des communes, leurs annexes et les délégations locales de l’Autorité nationale indépendante, parfois à plusieurs reprises, sans pouvoir faire légaliser leurs formulaires pour les raisons susmentionnées et d’autres raisons, y compris, par exemple : le rejet des cartes nationales d’identité non biométriques, le refus à des milliers d’électeurs d’exercer leur droit de signer les formulaires en faveur de notre candidate sous le prétexte fallacieux que le logiciel de l’autorité n’accepte pas leur numéro d’identification d’électeur, le refus de légaliser les formulaires lorsque la commune d’inscription sur la liste électorale est différente de la commune de résidence, etc. »

C’est pourquoi, dans sa déclaration, le Parti des travailleurs estime qu’il existe une volonté politique d’exclure le parti de la course à la présidentielle, et a décidé de ne pas y participer. Il continuera néanmoins de développer auprès des travailleurs, de la population et de la jeunesse l’ensemble de ses propositions pour sortir de la crise.

 

Extraits de l’annonce de Louisa Hanoune, le 13 juillet

« J’ai convoqué le bureau politique en session extraordinaire avec un seul point à l’ordre du jour : notre appréciation politique du processus électoral relatif à la présidentielle du 7 septembre prochain tel qu’il se déroule en général et en ce qui nous concerne en particulier. 

La discussion a été sérieuse, responsable et approfondie sur la base de données politiques nombreuses intervenues depuis le vote par le comité central et le conseil national du parti en faveur de la participation au scrutin. En clair, notre décision était dictée par le devoir d’assumer nos responsabilités face au contexte mondial et régional lourd de dangers pour les travailleurs et les peuples et par l’urgente nécessité d’apporter les réponses aux questions centrales politiques, économiques et sociales d’actualité. 

Rompre avec les institutions et le régime hérités du système de parti unique.

Quels étaient donc concrètement nos objectifs politiques ?

I- Assumer, comme question centrale, notre responsabilité face au génocide sioniste perpétré depuis dix mois continus à Ghaza en particulier, en Cisjordanie et à El Qods occupées en général, et faire entendre la voix du peuple algérien, étouffée par l’interdiction de manifester. Question centrale pour tous les peuples en général car intimement liée à la défense d’un peuple en danger d’extermination et donc en défense de l’humanité menacée par la barbarie.

II- Assumer notre pleine responsabilité sur le plan interne, pour être la voix des sans voix, ouvrir des perspectives positives, en présentant des alternatives de progrès et de démocratie sur l’ensemble des terrains politiques, économiques, sociaux et culturels, en rupture avec toutes les détresses, toutes les oppressions, toutes les souffrances, en rupture avec le statu quo actuel qui, et cela est établi, est la continuation de l’ordre ancien.

Ce qui exige :

a- La rupture avec les institutions et le régime hérités du système de parti unique, vers la refondation/recomposition politique, constitutionnelle consacrant la pleine souveraineté du peuple, l’arrêt immédiat de la répression, le rétablissement des libertés démocratiques, la libération inconditionnelle de tous les détenus politiques et toutes les victimes accusées de crimes qu’elles n’ont pas commis, l’abrogation des lois liberticides qui criminalisent l’exercice des droits syndicaux, l’action politique indépendante, la liberté d’expression, la liberté de presse, telles que la loi sur les syndicats, l’article 87 bis du code pénal, le code de l’information, etc… ce qui implique la consécration de l’indépendance effective de la justice et la pleine séparation des pouvoirs.

b- La rupture avec toute politique économique régressive ou qui ouvre la voie à la prédation et au pillage étranger et local dont le code des investissements, vers une véritable réforme industrielle et agricole qui préserve la propriété collective de la nation, les nationalisations dans la voie d’un véritable essor économique conforme aux besoins du peuple algérien exclusivement.

c- La rupture totale avec la pauvreté, les précarités, les frustrations et l’exclusion sociales, vers une politique sociale juste répondant aux attentes et aspirations de la majorité du peuple, des travailleurs, de la jeunesse, des très larges couches et garantissant une vie digne pour toutes et tous, avec un vrai emploi, un vrai salaire et des pensions indexées sur le coût de la vie, le renforcement de la nature sociale de l’Etat c’est-à-dire des transferts sociaux, la lutte contre l’inflation par le plafonnement des prix des produits de large consommation dans le cadre d’une politique commerciale consacrant un contrôle effectif de l’Etat sur le commerce intérieur et extérieur pour mettre fin à la spéculation, aux monopoles privés.

d- La rupture avec la criminalisation de la Harga, expression violente de la détresse, notamment parmi les jeunes, en lui substituant l’éradication de ses sources politiques et sociales, sauver notre jeunesse par le sauvetage de l’école et l’université, dont les nobles missions ont été dévoyées, sabordées par des décennies de politiques à la hussarde… sauver notre jeunesse exige plus largement l’ouverture de perspectives réelles,  d’emplois pérennes con-formes à leurs diplômes, de logements, de liberté d’expression politique et culturelle.

Combattre pour la restauration pleine et entière des libertés démocratiques

Nous avons donc débattu de la première étape du processus électoral sur laquelle nous nous sommes exprimés plusieurs fois. Il s’agit là d’un problème éminemment politique et non pas technique, d’une gravité sans précédent et qui avec la programmation de la campagne électorale à la mi-août transformera un scrutin très important, censé marquer une rupture avec les pratiques du passé, en une simple formalité aggravant la défiance et le désengagement populaires exprimés à travers une abstention sans précédent depuis les présidentielles de 2019 (présidentielle, référendum, législatives, locales).

Les informations en notre possession et les faits recensés établissent l’existence d’une intention avérée de nous exclure du scrutin, et donc de la confiscation de notre liberté de candidature ce qui par là-même piétine le droit du peuple de choisir librement entre les programmes.

Par conséquent, conformément à la décision unanime des membres du bureau politique, j’annonce solennellement la non-participation du parti au processus électoral relatif au prochain scrutin présidentiel dans son ensemble : c’est-à-dire l’arrêt de la campagne de collecte des parrainages, la non-participation à la campagne électorale et au vote le 7 septembre prochain. C’est une priorité pour nous de combattre pour la restauration pleine et entière des libertés démocratiques afin que le peuple algérien puisse exercer sa souveraineté, instaurer la démocratie véritable avec son contenu poli tique, économique et social émancipateur.

Le bureau politique salue les militantes et militants qui n’ont ménagé aucun effort dans cinquante wilayas depuis le 9 juin dans une campagne politique exemplaire, propre, pour collecter les parrainages des électeurs, bravant des difficultés innombrables, souvent insurmontables. Il remercie toutes celles et tous ceux, travailleurs, fonctionnaires, cadres, fellahs, petits commerçants, jeunes, retraités… qui se sont battus pour pouvoir nous accorder leurs parrainages, ceux qui, par dizaines de milliers, ont été empêchés de le faire, par leur radiation arbitraire du fichier électoral ou l’impossibilité de s’inscrire, par les longues et répétitives pannes sur le réseau intranet et sur la plate-forme numérique de l’ANIE, ainsi que le recours de certains responsables locaux à des pratiques indignes y compris l’intimidation et la menace.

Nos remerciements aux élus locaux et nationaux non militants au Parti, qui ont accepté de parrainer ma candidature dans un acte de résistance et de démocratie.

Et nous nous adressons aux Algériennes et aux Algériens : c’est vous, et vous seuls qui possédez la capacité de modifier le cours des choses, d’améliorer votre sort, d’arracher vos aspirations politiques socio-économiques et culturelles, par la mobilisation unie car vous êtes le nombre et donc la véritable force porteuse de changement et de progrès, le PT est et restera à vos côtés. »

Alger, le 13 juillet 2024