Sanofi sacrifie le Doliprane® au nom de la rentabilité maximum

Le groupe Sanofi cède, avec l’accord du gouvernement, sa filiale produisant le Doliprane® à un fonds d’investissement américain, alors que les risques de pénurie persistent.

Face aux salariés de l'usine Sanofi de Lisieux (Calvados), le ministre de l'Economie, Antoine Armand (à gauche), est venu défendre la cession de l'entreprise au fonds américain CD&R (photo Lou Benoist / AFP)
Par Marie-Paule LEMONNIER
Publié le 14 octobre 2024
Temps de lecture : 3 minutes

Des millions de patients risquent de se trouver en difficulté, plus de mille emplois sont menacés, mais pour Sanofi, seul le souci de rentabilité compte. La crise du Covid-19 en 2020 avait pourtant mis en évidence, entre autres, les graves conséquences des délocalisations à l’étranger de la production des médicaments, avec la survenue de pénuries majeures en particulier du paracétamol, médicament majeur pour traiter la fièvre.

En juin 2020, Emmanuel Macron avait promis : « Nous lancerons une initiative de relocalisation de certaines productions critiques. On pourra par exemple pleinement reproduire, conditionner et distribuer du paracétamol en France. » avec l’objectif d’une relocalisation de la production de paracétamol « d’ici trois ans », soit 2023. On est bien loin de cet objectif. L’usine de Roussillon en Isère, largement financée par l’Etat et des fonds publics, ne devrait être opérationnelle qu’en 2026 et l’ANSM (Agence nationale de la sûreté du médicament) fait part de son inquiétude dans un rapport du 10 octobre quant à la pénurie de paracétamol cet hiver

Spéculation

C’est dans ce contexte que le laboratoire Sanofi a annoncé le 11 octobre vouloir céder au fonds d’investissement américain CD&R (Clayton, Dubilier & Rice) le contrôle de sa filiale en vente libre Opella qui commercialise une des formes majeures du paracétamol, le Doliprane®. CD&R achèterait 50 % d’Opella pour 15,5 milliards d’euros avec une option pour acheter le reste des actions de la firme dans les 3 à 5 ans (Journal International de Médecine, 11 octobre).

« Derrière tous ces choix, il y a la pression de la rentabilité », analyse Nathalie Coutinet, enseignante en économie de la santé à l’Université Sorbonne Paris Nord sur France Info le 11 octobre.

Pression exercée par les actionnaires qui sont très majoritairement des fonds de pension.  « Toutes les “big pharma” se désengagent de leurs activités générique et grand public (…). La rentabilité de Doliprane est un peu pépère alors que si vous sortez un nouveau médicament, la rentabilité est exponentielle » et ce d’autant plus que les laboratoires investissent de moins en moins en recherche et développement, achètent les nouvelles molécules, déjà testées, à des start-up.

Ainsi, en mars 2024, le groupe Sanofi annonçait la suppression de 331 emplois en recherche et développement alors qu’il bénéficie a minima de 130 à 150 millions d’euros de réductions fiscales liées au crédit impôt recherche. Et qu’en bout de chaîne, le prix du médicament est sans rapport avec le coût de son développement mais le résultat de pures spéculations.

Une opération financière qui suscite à juste titre les plus vives inquiétudes

Le choix de CD&R par Sanofi élimine la société française de capital-investissement PAI Partners, mais qui devait s’associer avec le fonds souverain d’Abu Dhabi, Adia, celui de Singapour GIC, et la caisse de retraite canadienne British Columbia (Les Echos, 25 septembre), ce qui ne garantissait en rien le maintien de la production du Doliprane® sur le sol français. Le cabinet du ministre délégué à l’Industrie, Marc Ferracci, a déclaré prendre acte et de fait donne son accord.

Cette opération financière suscite à juste titre les plus vives inquiétudes, même si le ministre assure que le Doliprane ® restera produit en France et qu’il n’y aura pas de pénurie (Le Figaro, 13 octobre) ce que contredit l’ANSM.

« C’est une très, très mauvaise nouvelle », s’alarme Christophe Quillé, de la CGT de l’usine de Lisieux (Calvados), et salarié de Sanofi depuis 40 ans. « On sait que les fonds de pension américains, ce sont des investissements à court terme » (France Bleu, 13 octobre). Un préavis de grève a été déposé pour le 14 octobre.

Dans un communiqué, le groupe LFI-NFP de l’Assemblée nationale a exigé du ministre de l’Industrie qu’il bloque cette cession et a réclamé la nationalisation d’Opella qui emploie 1 700 salariés.