En « déficit », la caisse de retraite des hospitaliers et des territoriaux  ?

Différents rapports officiels affirment que le déficit de la CNRACL ne va que s'accroître en raison de la « démographie ». Vraiment ? Regardons les faits.

(photo Riccardo Milani / Hans Lucas via AFP)
Par Philippe Navarro
Publié le 21 octobre 2024
Temps de lecture : 3 minutes

Trois ! Il n’a pas fallu moins de trois inspections générales (Finances, Affaires sociales, Administration) pour élaborer un rapport sur la très « gravissime » situation de la CNRACL (caisse de retraite des fonctionnaires hospitaliers et des territoriaux).

C’est qu’en 2023, les cotisations perçues par la CNRACL étaient de 24,4 milliards d’euros, et que cette même année, la CNRACL a versé 26 milliards d’euros de pensions !

Et selon nos éminents inspecteurs, les projections, les estimations, à ce rythme-là, feront qu’en 2030, le déficit serait alors de 10 milliards d’euros contre 1,6 milliard aujourd’hui.

Mais heureusement, nos fins limiers ont trouvé les responsables : « C’est avant tout la dégradation du ratio démographique. Alors qu’il y avait, au début des années 1980, 4,5 cotisants pour 1 pensionné, ce chiffre est aujourd’hui de 1,46. »

Ah, la « démographie », terrible, sournoise. Les gens « vivent plus vieux, l’espérance de vie ne cesse d’augmenter », et comme « les femmes sont très largement majoritaires dans ces deux fonctions publiques, qu’elles ont une espérance de vie supérieure à celle des hommes et que de surcroît, elles bénéficient de départs anticipés dans une proportion importante »

Voilà pourquoi « votre fille est muette » ! Regardons les faits.

Le produits de mesures politiques

Les deux fonctions publiques réunies emploient au total 3,17 millions d’agents. Selon nos inspecteurs, comme le ratio est aujourd’hui de 1,46, que le nombre de pensionnés est de 1,3 million une simple multiplication permet de trouver le nombre de cotisants : 1, 898 million. Il y a donc 1,272 million d’agents au travail qui ne cotisent pas à la CNRACL11,272 million qui travaillent dans les hôpitaux et les collectivités territoriales, et qui ne cotisent pas, auxquels, pour être précis, il faudrait ajouter les centaines de milliers d’embauches qui sont nécessaires et qu’il manque dans tout le pays pour faire tourner nos services. ! Et pourquoi ? La faute à la « démographie » ? La faute à « l’espérance de vie qui ne cesse de croître »2La réalité est différente : les dix dernières années, l’espérance de vie recule. Les hommes ont perdu un mois par an et les femmes, 21 jours par an. ?

Non, tout simplement, c’est le produit de deux mesures politiques :

1- Depuis plus de 30 ans, sans désemparer, tous les gouvernements de gauche comme de droite qui se sont succédé n’ont eu de cesse d’augmenter le nombre de contractuels, qui, eux, ne cotisent pas à la CNRACL puisqu’ils ne sont pas sous statut. On compte 450 000 contractuels dans la fonction publique territoriale, 260 000 dans la fonction publique hospitalière.

2 – Dans sa persistante volonté de remise en cause des services publics et par conséquent du statut des agents du service public, les mêmes gouvernements ont autorisé :

– le recours à l’intérim, autrefois interdit dans la fonction publique ;

– le recrutement sous contrat d’agents à temps non complet, lui aussi autrefois interdit. Mesure honteusement présentée comme une aide pour les « femmes qui veulent aussi élever leurs enfants » !

– Le développement imposé des postes à temps partiel pour les titulaires, qui forcement cotisent dès lors à taux partiels.

En plus des 710 000 contractuels, ce sont donc 562 000 autres agents qui ne cotisent pas à la CNRACL !

Il n’y a donc aucun problème de financement de notre régime de retraite très largement excédentaire dans les faits. Il y a une politique de remise en cause de l’existence du service public, et par conséquent, du statut des agents du service public et de leur système de protection sociale3Pour ne pas alourdir le propos, notons quand même qu’au titre de la compensation, selon nos inspecteurs eux-mêmes, les gouvernements successifs ont ponctionné depuis 1974, 100 milliards d’€ dans notre caisse, la CNRACL, vidant la totalité de ses réserves et la laissant exsangue. Or si dans le cadre de la solidarité ouvrière, la CNRACL, a toujours été d’accord pour payer par exemple les retraites des mineurs, il n’en va pas de même avec le fait que depuis le gouvernement Fabius en 1984, la CNRACL paie les pensions des personnels de l’Eglise ou celle des professions libérales (notaires, avocats, pharmaciens, etc…). Ceci ne relève pas de la solidarité ouvrière mais de la solidarité nationale, donc de l’impôt, pas des cotisations sociales..

Notons, que l’ensemble des organisations syndicales se rendront à l’Assemblée nationale pour participer à une « conférence de refinancement des retraites »4Lorsqu’il s’est agi de manifester le 7 septembre pour l’abrogation de la réforme des retraites, d’aucuns ont évoqué la charte d’Amiens et l’indépendance syndicale… Et là, pour aller à l’Assemblée Nationale, discuter avec la totalité des partis politiques, que devient la Charte d’Amiens ? Bien, après tout, tout se discute. Oui, mais on discute dans quel cadre ? Celui de « il y a un problème de déficit, d’équilibre budgétaire nécessaire des caisses et des régimes » ou celui de la réaffirmation des revendications ? Par conséquent, il devra y avoir un préalable : la réaffirmation des revendications :

– abrogation de la réforme des retraites Macron ;

– défense de la répartition ;

– maintien de la CNRACL et des dispositions statutaires du Code des pensions civiles et militaires ;

– Mise au Statut de tous les contractuels des fonctions publiques