Vignerons : « Esclaves au service du négoce ! »

REPORTAGE. 2 500 vignerons ont manifesté à Carcassonne (Aude), samedi dernier, 30 novembre.

Manifestation de viticulteurs à Carcassonne, le 30 novembre (photo correspondant)
Par Jacques Vieules
Publié le 3 décembre 2024
Temps de lecture : 3 minutes

« Esclaves au service du négoce ! » C’est le cri poussé par Frédéric Rouanet, le président du Syndicat des vignerons, pendant son discours. Il y a quelques semaines, les ronds-points du département de l’Aude ont été couverts par les JA (Jeunes Agriculteurs) de sacs-poubelle noirs, floqués, comme autant de brassards noirs annonçant la mort de la viticulture. « Jeunes, on en rêve. Adultes, on en crève ! » disait l’un d’eux.

La manifestation régionale, ce samedi 30 novembre, à Carcassonne, a réuni 2 500 viticulteurs, venus de plusieurs départements, ainsi que de nombreux élus locaux, conseillers départementaux, maires, conseillers municipaux. Ils étaient suivis d’une vingtaine de tracteurs recouverts de panneaux. « On en crève » ! Mais à quels problèmes sont confrontés les viticulteurs ?

La question de la sécheresse

Des élus des Hautes Corbières le disent : « Les vignes meurent du manque d’eau. Au village, on coupait l’eau de 14 heures à 6 heures le lendemain matin. On va passer à Reseau11 (syndicat de provisionnement en eau du département). S’il y avait une volonté politique, le problème d’eau, on pourrait le résoudre. Ça coûte 4 à 500 € le m pour se raccorder à l’eau du Bas Rhône. Les communes n’ont pas les moyens. »

Un viticulteur de la cave de Puilacher dans l’Hérault le confirme : « L’eau du Bas Rhône n’arrive pas chez nous. Enormément de sécheresse ! Il y en a qui produisent 25 hectos à l’hectare. Ça ne passe pas ! »

Les charges augmentent…

Le même : « On produit 200 000 hectos et on en a pour 1 M€ de produits œnologiques. »

Un autre : « Les charges sont passées de 25 à 35 %. Le gas-oil, il est passé de 85 centimes à plus d’1 euro, les phytosanitaires, la main-d’œuvre. 10 % sur le SMIC, tant mieux pour ceux qui bossent, bien sûr. Mais il faut les payer. »

« Le but de ces manifs, c’est de venir chercher du prix ! »

Les prix… Le gros problème, il est là.

« Il nous 15 à 20 centimes de plus par bouteille. C’est le négoce qui doit faire l’effort à l’achat. Une bouteille à 10 €, il nous manque 25 à 30 centimes. »

« Sur les prix, revenir à un prix normal : 100 € l’hecto de blanc, c’est le même qu’il y a 10 ans ! »

« Quant au bio, il faut passer par toute une série d’exigences pour accéder au marché. En fait, le négociant fait ce qu’il veut. »

Ce que confirme Frédéric Rouanet : « Les négociants proposent des prix inacceptables pendant que les vins importés se vendent sous nos yeux à des prix… ». Il le dit : « On veut simplement vivre de notre métier ! Messieurs les négociants écoutez les conditions de prix ». Et de déclarer « l’état de guerre ».

La colère des viticulteurs contre le négoce a déjà conduit, la semaine précédente, à des vidanges de camions-citernes venant d’Espagne à la frontière, au Boulou. Une action coup de poing du Comité d’action Viticole (CAV) a eu lieu samedi, après la manifestation, à Fabrezan, dans un domaine qui se trouve dans le giron de Chais de France, 2e négociant en vin de France et 1er groupe français en termes de vinification et d’exportation de vins.

RN et Macronie contre les prix planchers

Le 4 avril, une proposition de loi LFI visant à garantir des prix plancher a été votée à l’Assemblée nationale. Les macronistes avaient voté contre et les députés du RN s’étaient abstenus. Quant aux députés RN de l’Aude, ils n’avaient même pas fait le déplacement.

La proposition de loi prévoit notamment l’instauration d’un « prix minimal d’achat des produits agricoles » tenant compte des coûts de production, la mise en place de prix planchers révisés au moins tous les quatre mois, la prise en compte d’un niveau de rémunération des agriculteurs équivalent à 2 SMIC dans le calcul des prix, la création d’un « fonds dédié à la transition agroécologique » et à la « production biologique ». Elle a été transmise au Sénat le 5 avril…

 

Pour qui roule le président de la FNSEA ?

« Toute la classe politique, sans exception, nous a apporté son soutien », assure Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, dans le journal Le Parisien, le 2 décembre. Dans le spectre de la « classe politique », une partie semble avoir la préférence de ce dirigeant « syndical », qui se désole en ces termes de la chute annoncée du gouvernement Barnier : « Si la France (…) ne devait plus avoir de gouvernement, ses alliés européens pourraient en profiter pour finaliser cet accord [du Mercosur] sur le dos des agriculteurs français ».

Le même, le 18 novembre, sur BFMTV, déclarait déjà : « Notre objectif n’est ni de bloquer, ni d’ennuyer (…). Il faut que le chef de l’Etat soit conscient qu’on est derrière lui. »

Pas sûr que tous les agriculteurs soient de cet avis…

Yan Legoff