Lambert, un militant ouvrier
Ce qu’il a contribué à construire, peut permettre à des générations présentes et futures de militants de s’organiser pour abattre le capitalisme, dans le monde entier.
- IVe Internationale, Pierre Lambert

Militant ouvrier, s’il ne fallait retenir qu’une définition unifiant l’activité de Pierre Lambert, de sa jeunesse à jusqu’à sa mort, de l’adhésion aux Jeunesses communistes en 1933 à la direction de la IVe Internationale dont il était encore membre à la veille de sa disparition, ce serait celle-là.
Un de ses modèles, aimait-il à expliquer, était Gerrard Winstanley un des fondateurs du mouvement des « Diggers » (les bêcheurs), fraction la plus radicale des « Têtes Rondes » qui durant la courte période où l’Angleterre a été une République (1649-1660) prônaient la propriété collective de la terre, le droit de vote pour tous les adultes et un parlement qui ne soit élu que pour 2 ans.
Aucun sentimentalisme dans son engagement, uniquement la ferme conviction que la classe ouvrière finirai par vaincre et renverser le capitalisme. Tôt ou tard.
Il disait souvent : « Est-ce que vous croyez que les travailleurs mènent une grève pour les quelques centimes de l’heure qu’ils vont obtenir alors que la grève va entraîner des pertes qu’ils vont mettre plusieurs mois à rattraper ? Non, dans chaque mouvement, même celui qui semble le plus insignifiant, il y a le refus de l’exploitation, qui ne s’exprime pas par des mots mais par des actes ».
Il le réaffirmait souvent, un militant doit toujours prendre en considération l’intérêt du mouvement, même s’il faut pour cela, s’effacer ou au contraire s’affirmer et défendre sa position. Le compromis ou la rupture ne sont que des instruments du combat et rien d’autre.
D’aucuns, lui ont reproché d’être « manœuvrier ». Il est vrai qu’il n’avait rien de ces généraux qui envoient leurs troupes « au casse-pipe » sans étudier au préalable s’il existe des moyens plus économiques de vaincre. « Nous avons l’Etat face à nous, on ne peut pas le vaincre en tant que parti, c’est la masse qui renversera l’Etat, pas un groupe d’individus, aussi déterminés soient-ils ».
Le refus du dogmatisme
Il étudiait sans relâche ses illustres prédécesseurs, Marx, Engels, Lénine, Trotsky, affirmant que la société décadente dans laquelle nous vivons ne produira plus de tels géants de la pensée et de l’action et qu’il faudra compenser cela par un travail d’élaboration collective.
Si quelqu’un nous a appris à refuser le dogmatisme, c’est bien lui. Il répétait ce que beaucoup d’entre nous avions appris au lycée : « Corneille peint les hommes tels qu’il voudrait qu’ils soient, Racine les peint tels qu’ils sont ». Je crois bien qu’il se situait plutôt du côté de Racine.
Encore une fois, ceux qui lui ont reproché la défense intransigeante de certaines règles communes sont ceux qui voulaient s’émanciper à la fois du contrôle du parti auquel ils avaient librement adhéré et aussi de ceux qu’ils étaient censés représenter. Nombre de ses détracteurs se sont souvent retrouvés par la suite dans un camp où on ne les attendait pas, vu leurs déclarations enflammées.
Sur cette question du dogmatisme, Lambert disait, parlant de Messali Hadj (initiateur et dirigeant de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie et du Maghreb) : « Bien qu’il ne soit pas marxiste, j’ai beaucoup appris de ce dirigeant révolutionnaire ». Cela ne l’a pas empêché de se distinguer de cet homme exceptionnel lorsque celui-ci a emprunté un chemin que Lambert estimait contraire aux besoins de la révolution algérienne. Mais pour autant, et c’était aussi un de ses traits de caractère, il a toujours refusé de se joindre au concert de ses détracteurs.
Pierre Lambert est décédé le 16 janvier 2008, il avait 88 ans. Dix-sept ans auparavant, un de ses fidèles compagnons, Lionel Malapa, mon frère, mourait accidentellement, ce qui l’avait bouleversé. A l’occasion de cet hommage, il me semble important de revenir sur le lien qu’ils avaient établi.
Dans le mouvement ouvrier ou dans le parti, on ne pouvait pratiquement pas parler de l’un sans faire immédiatement allusion à l’autre. Il était tous les deux viscéralement attachés à la formule, « Ni dieu, ni César, ni tribun ». Pierre Lambert sollicitait toujours son avis et bien souvent en tenait compte. C’est toujours la conviction et les arguments échangés qui l’emportaient.
C’est ce qui faisait le ciment de leur lien. Et certainement pas l’allégeance à un chef, ce que Lambert n’aurait pas accepté.
Il ne s’entourait pas de « béni-oui-oui » à sa botte, de gros bras pour de pseudos basses œuvres. Il était friand de contradictions et de discussions passionnées pour qui voulait bien les avoir. En parler, c’est aussi revenir sur la conception qu’il avait des tâches militantes : il n’y a pas dans le parti de « petites mains », il y a une division du travail sans laquelle rien n’est réalisable. Chacun prend sa place et met ses capacités, ses spécialités, ses compétences au service de l’œuvre commune.
S’organiser pour abattre le capitalisme
Lionel n’était pas « le garde du corps » ou le chauffeur de Lambert, il était le responsable de la sécurité de notre organisation, chargé d’assurer la bonne tenue de nos manifestations publiques et de la protection de cortèges syndicaux contre tous les dangers possibles y compris, à une certaine époque, contre la volonté du parti stalinien de faire régner « son ordre » dans la classe ouvrière et ses organisations. Et à ce titre, il assurait la sécurité du principal dirigeant de notre organisation qu’était Lambert.
C’est un homme, rien qu’un homme, avec ses grandeurs et ses faiblesses à qui nous rendons hommage. Il ne voulait être rien d’autre, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir conscience de la place qu’il occupait en étant resté fidèle aux idées et aux combats de sa jeunesse et en les poursuivant malgré la liquidation de générations entières de militants révolutionnaires opérée par le stalinisme et l’impérialisme.
En 1938 il avait rejoint la Quatrième internationale proclamée par Trotsky et toute sa vie il n’a eu pour souci que de permettre son existence et son développement avec des avancées et des reculs et malgré les défaites.
Au regard de ce que nous vivons aujourd’hui, on peut dire sans crainte qu’il a été utile à notre cause, et que ce qu’il a contribué à construire, peut permettre à des générations présentes et futures de militants de s’organiser pour abattre le capitalisme, dans le monde entier.
