Gaza : « Parce qu’il refusait d’abandonner la vie de ses patients »

« Parce qu’il refusait d'abandonner la vie de ses patients, Israël a emprisonné le Dr Hussam Abu Safiya ». Un article de Gheed Ghanem Qassem, avocate du docteur Abu Safiya, publié sur le site Sabra, en hébreu, le 23 avril.

Gheed Ghanem Qassem, avocate du Dr Hussam Abu Safiya (photo DR).
Par > Verbatim
Publié le 3 mai 2025
Temps de lecture : 4 minutes

Le site Sabra publie des informations sur les situations vécues par la population palestinienne en direction du public israélien.

« Quel est le sens d’un choix professionnel lorsqu’il se fait au prix d’une perte de liberté, d’une atteinte à la sécurité personnelle et de l’effondrement de la vie familiale ?

Comment traiter un médecin dont la maison est bombardée, dont le monde personnel s’effondre sous un déluge de bombes, et qui, malgré tout, s’en tient à sa mission et refuse d’abandonner l’hôpital où il exerce ?

Que signifie le fait que ce même médecin soit obligé d’enterrer son fils dans la cour d’un hôpital assiégé, simplement parce qu’il n’y a pas d’autre endroit où il peut recevoir une sépulture décente ?

C’est la réalité difficile et inimaginable qu’a vécue le Dr Hussam Abu Safiya (52 ans), directeur de l’hôpital Kamal Adwan, dans le nord de la bande de Gaza. Malheureusement, il n’est pas le seul médecin à se trouver dans les prisons et les camps israéliens.

On parle de centaines de détenus parmi lesquels des médecins, des infirmiers et du personnel médical, qui ont été emprisonnés alors qu’ils auraient dû être à leur place, dans les hôpitaux, poursuivant leur travail humanitaire et prodiguant des soins médicaux et de santé à leurs patients…

Le Dr Abu Safiya, pédiatre de profession, a été arrêté le 27 décembre 2024. La raison officielle de son arrestation était le « refus de quitter son lieu de travail », alors que l’armée israélienne exigeait que tous ceux qui séjournaient à l’hôpital quittent immédiatement les lieux.

Le personnel médical de Gaza n’est pas détenu pour avoir commis une infraction pénale avérée, mais parce qu’il a fait valoir son droit – et même son devoir – de poursuivre son travail médical sous le feu, même lorsqu’il lui a été ordonné de quitter les zones de combat. Cela devrait-il vraiment être considéré comme un motif de détention ?

L’histoire du Dr Hussam Abu Safiya illustre la profondeur de la tragédie en cours

Alors que des dizaines de blessés arrivaient à l’hôpital Kamal Adwan, il est resté à son poste. Son fils, blessé lors de l’attaque, est mort sous ses yeux. En l’absence d’un autre lieu de sépulture, il a été contraint d’enterrer son fils dans la cour de l’hôpital.

Peu de temps après, un char militaire a fait irruption aux portes de l’hôpital. Vêtu d’une blouse de médecin, le Dr Abu Safiya s’est rendu de sa propre initiative auprès des soldats. Depuis sa capture, le Dr Abu Safiya a été victime de graves abus. Il a subi de longs interrogatoires, des humiliations, de violents coups et a souffert de froid et de faim intenses.

Il a été détenu pendant des jours dans l’obscurité totale, dans une cellule étroite d’un mètre et demi sur un, sans matelas ni couverture. Il y est resté 25 jours. Au cours d’un long interrogatoire, il a été contraint de faire de faux aveux destinés à le lier à des activités militaires.

Il a été épuisé physiquement, moralement et psychologiquement afin de le contraindre à avouer des faits pour l’inculper et le qualifier de « combattant illégal » en vertu de la loi israélienne promulguée en 2002, qui a été appliquée spécifiquement aux détenus de la bande de Gaza !

Depuis son arrestation, la santé du Dr Abu Safiya s’est gravement détériorée. Il souffre de problèmes de tension artérielle, de graves blessures aux yeux et aux côtes, ainsi que d’un rythme cardiaque irrégulier. Il est obligé de dormir sur le sol de sa cellule froide, il est soumis à une négligence médicale prolongée et systématique.

Comme les autres détenus de Gaza, le DrAbu Safiya ne reçoit presque pas de nourriture – seulement une cuillerée de confiture et une cuillerée de labneh (fromage de chèvre) par jour. Il a perdu plus de 25 kg et ne sait rien du sort des membres de sa famille restés dans la bande de Gaza bombardée.

Détention arbitraire

Plus de cent jours se sont écoulés depuis l’arrestation du Dr Abu Safiya. Jusqu’à présent, aucun acte d’accusation n’a été déposé contre lui, et les « preuves » qui lui sont attribuées – selon le Shin Bet et le parquet – se trouvent dans un dossier secret auquel son avocat n’a pas accès.

Cette méthode – la détention sans procédure régulière et sans divulgation publique des preuves – est déjà devenue la norme pour les Palestiniens de la bande de Gaza.

Ici se pose la question : où est la voix de la communauté médicale israélienne ? Quelle est la position de l’Association médicale ? Des syndicats de médecins ? Des administrateurs d’hôpitaux en Israël ? Le fait que le Dr Abu Safiya soit un médecin de Gaza le prive-t-il de la protection professionnelle garantie aux médecins du monde entier ?

Dans une interview réalisée avec lui depuis l’intérieur des murs de la prison, le Dr Abu Safiya a réussi à transmettre un message résolu : malgré la torture, la famine et les graves blessures dont il souffre, il reste attaché aux valeurs humanitaires auxquelles il croit et sur lesquelles il a été élevé.

Il continue d’exprimer sa profonde préoccupation quant à l’état des hôpitaux de Gaza et au bien-être des équipes médicales qui y restent.

“L’histoire”, a-t-il déclaré, “enregistre la voix de la personne qui s’efforce de s’en tenir à ses principes, et elle transmettra un message à l’humanité sur la manière dont elle devrait se comporter à nouveau.”

Le cas du Dr Abu Safiya illustre clairement qu’il ne s’agit pas seulement de l’arrestation d’un médecin, mais d’un préjudice profond causé à une personne qui est devenue un symbole de la lutte. Israël ne se contente pas de démanteler le travail des hôpitaux : il vise à démanteler le symbolisme du médecin, de l’humaniste et de la personne qui refuse d’abandonner sa conscience, même sous les bombes. La question est de savoir si le monde choisira de rester les bras croisés. En tant que société, choisirons-nous également de rester silencieux ?