L’Insidieuse militarisation des manifestations prodémocratiques en Israël

Les deux mois de protestation fracturent la société israélienne jusque y compris au sen de l'armée, ainsi que le montre Gideon Levy dans un article publié le 9 mars 2023 dans le journal israélien Haaretz.

L’armée israélienne a tué 7 palestiniens dans le camp de réfugiés de Jenine, le 7 mars (photo AFP).
Par François Lazar
Publié le 16 mars 2023
Temps de lecture : 3 minutes

Nous publions un résumé de l’article de Gideon Levy publié le 9 mars 2023 dans le journal israélien Haaretz. Il montre les contradictions qui traversent le mouvement de protestation qui fracture depuis deux mois la société israélienne, en pointant la place qu’y occupent certains militaires. Samedi 11 mars, ils étaient de nouveau plusieurs centaines de milliers à manifester dans les rues israéliennes contre ce qu’ils considèrent être un coup d’Etat mené par un
gouvernement où les ministres religieux et racistes ont une influence prépondérante. Les manifestations n’arrêtent pas la répression qui frappe les militants palestiniens dans les camps de Cisjordanie.

Le 7 mars, six Palestiniens ont été tués et 26 autres blessés lors d’une opération de l’armée à l’intérieur du camp de Jénine. Depuis le début de l’année, 73 Palestiniens, dont 12 femmes et enfants, ont été tués et plus de 300 blessés par balles lors d’incursions militaires dans les camps.

Dans le même temps, des centaines d’Israéliens, dont nombre se qualifient eux-mêmes d’antisionistes, manifestent quasi quotidiennement aux côtés des
habitants de Cisjordanie directement persécutés par des hordes de colons, qui prônent une nouvelle Nakba1Terme arabe qui signifie la Catastrophe qui fait référence à l’expulsion massive de 800 000 Palestiniens après la fondation de l’Etat israélien en 1948.

Dans la société israélienne, le conflit se joue entre les partisans d’une expulsion massive et violente des Palestiniens, ceux qui entendent poursuivre une politique d’apartheid tout en refusant de la voir, et ceux qui exigent l’égalité des droits de l’ensemble des composantes qui vivent entre la Méditerranée et le Jourdain, c’est-à-dire sur le territoire historique de la Palestine.

F. L.

« Moshe Ya’alon est aujourd’hui l’un des leaders du mouvement démocratique en Israël. Il a alerté du risque que la réforme judiciaire mène à la perpétration de crimes de guerre par Tsahal (l’armée israélienne, Ndlr). Et Ya’alon s’y connaît. Sous son commandement, l’armée s’est déchaînée durant la seconde Intifada.

Nous assistons à la prise en main par des militaires du mouvement de protestation. Hier, c’était d’anciens combattants du Golan, des guerriers de la cyberguerre et des soldats des opérations spéciales. Ils ne serviront pas dans une dictature. Ils ont rejoint les pilotes, les agents du Shin Bet et du Mossad (services de renseignement de l’Etat d’Israël, Ndlr).

Ceux qui se sont exprimés sont bien sûr dignes de respect, comme tous ceux qui luttent contre les dangers d’une dictature.

Le problème commence lorsque des vétérans de l’armée prennent le contrôle du débat. Si l’on a toujours craint que la politique n’envahisse l’armée – ce qui a toujours été le cas –, le risque inverse surgit sous nos yeux, celui d’une militarisation de la politique.

Un ancien chef du Shin Bet peut devenir un guide, un chef du Mossad l’idéologue des démocrates israéliens, et les vétérans des escadrons de la mort des héros de la gauche. Les intellectuels, les représentants des droits de l’homme sont remplacés par des réservistes armés. Ce sont eux qui enseigneront la démocratie à Israël.

C’est bien qu’ils se soient engagés, car ils pèsent dans la société israélienne, bien plus qu’ils ne le méritent. En se joignant à la protestation aux côtés de représentants de la haute technologie et du monde des affaires, ils ont changé la donne. On peut les saluer, mais il faut aussi se demander : où ont-ils appris ce que sont la démocratie et les droits de l’homme ? Dans la ville de Hawara, en Cisjordanie, ou dans le camp de réfugiés de Jabalya, à Gaza ? Dans un centre de détention à Jérusalem, ou dans les souvenirs du raid de représailles de Qibya dans les années 1950 ? »
Gideon Levy